Entre 2004 et 2014 règne le Premier ministre Manmohan Singh, qui dirige alors l’un des gouvernements les plus corrompus de la planète. Les scandales éclatent les uns après les autres. En janvier 2008, au cours de la première visite officielle de Nicolas Sarkozy, Anne Lauvergeon signe un accord de coentreprise dans le nucléaire avec un partenaire local, Reliance Energy, filiale du groupe Reliance, qui défraie la chronique quelques années plus tard en devenant le partenaire de Dassault pour le contrat des Rafale.
Nicolas Sarkozy et Anne Lauvergeon se retrouvent encore à New Delhi le 6 décembre 2010 pour la signature d’un contrat-record. Le montant total des transactions conclues ou « sur le point d’aboutir » entre la France et l’Inde se monte à 15 milliards d’euros, dont environ 7 milliards d’euros pour Areva, qui prévoit la livraison à l’Inde de deux réacteurs EPR. L’accord-cadre est signé entre Areva et l’entreprise publique indienne NPCIL, Nuclear Power Corporation of India Limited.
En fait, ce contrat ne verra jamais le jour. Mais il fait régulièrement reparler de lui : lors de la visite officielle du président Macron, en mars 2018, le projet fait encore partie de ceux « sur le point d’être conclus » entre les deux pays… D’après Brahma Chellaney, ancien membre du Conseil national de sécurité de l’Inde, qui a contribué à la définition de la politique nucléaire indienne jusqu’en 2000, les commandes nucléaires civiles à des entrepreneurs étrangers en Inde « manquent de transparence », comme on dit pudiquement.
Imaginons qu’une partie de l’argent de l’opération UraMin ait été utilisée pour des actions de lobbying en Inde. Quel chemin aurait-il pu suivre ? Rien n’est moins simple dans ce pays, activement surveillé par les États-Unis. La prudence est de mise. Il faudrait peut-être poser la question à Alan Davies, ancien président de la branche Energy and Minerals business chez Rio Tinto, un grand groupe minier anglo-australien, qui a huit années d’expérience en Inde. Alan Davies a dû quitter Rio Tinto en novembre 2016 à la suite d’accusations de corruption en Guinée, dans le cadre du projet de mine de fer de Simandou (cette affaire met également en cause un banquier parisien, proche conseiller du président guinéen Alpha Condé).
Rio Tinto avait défrayé la chronique en lançant en 2007 une OPA sur son concurrent canadien Alcan pour former un des grands producteurs mondiaux d’aluminium. À cause de cette opération difficile à financer, le géant minier a dû se séparer de ses activités de charbon aux États-Unis en 2009. Le hasard a voulu qu’en décembre 2010, au moment de la signature du contrat des deux EPR indiens, Rio Tinto se lance à l’assaut d’une société minière au Mozambique à coups de milliards.
Le 17 octobre 2017, l’autorité boursière américaine siffle la fin de la récréation.
Sa cible, Riversdale Mining, a changé plusieurs fois de nom au cours de sa brève existence. Les actifs miniers en question sont certifiés par le fameux cabinet SRK Consulting, celui-là même qui a signé la certification des réserves d’UraMin… L’OPA de Rio Tinto sur Riversdale Mining prend du temps. Il n’y a pas d’offre concurrente, mais elle permet à des petits actionnaires de monter au capital pour toucher le jackpot. Comme le géant indien Tata Steel, qui augmente sa participation de 2,93 % à 27,14 % du capital.
Début 2011, Rio Tinto boucle son opération d’achat de Riversdale au prix de 3,7 milliards de dollars. Le 30 juillet 2014, Rio Tinto revend la même Riversdale 50 millions de dollars, soit pour un prix divisé par soixante-quatorze ! Le 17 octobre 2017, la SEC (Securities and Exchange Commission), l’autorité boursière américaine, siffle la fin de la récréation. Elle accuse Rio Tinto et deux anciens dirigeants d’escroquerie pour avoir gonflé la valeur des actifs charbonniers du Mozambique et dissimulé des informations lors de leur appel au marché
Peut-être qu’en définitive, Rio Tinto s’est simplement laissé tenter par les merveilleuses ressources du Mozambique. Anne Lauvergeon pourrait certainement aider les enquêteurs américains à y voir plus clair dans cette opération Riversdale, forte qu’elle est de son expérience dans les OPA minières. D’autant qu’elle connaît bien le dossier : elle a été nommée membre du Sustainability Committee (« Comité pour le développement durable ») de Rio Tinto le 15 mars 2014 et à ce titre a empoché 191 000 dollars cette année-là, puis 241 000 dollars en 2015, et 186 000 en 2016… Mise en examen en France le 13 mai 2016 pour « présentation et diffusion de comptes inexacts, diffusion de fausses informations » dans le dossier Areva, elle a alors été amenée à démissionner de ce fructueux mandat.
Nous l’avons déjà dit et nous le répétons, tout cela n’est sans doute qu’un fâcheux concours de circonstances, une étonnante concordance d’événements, le fruit d’un hasard facétieux qui parfois nous joue de vilains tours. Des événements que l’imagination débordante de mon cerveau se plaît à mettre en ordre.
Je souligne au passage, cependant, que j’ai signalé à la SEC les similitudes entre les affaires UraMin et Riversdale.
(à suivre)
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