Un soldat américain pointe son arme vers un passager afghan

Un soldat américain pointe son arme vers un passager afghan à l’aéroport de Kaboul le 16 août, alors que des milliers de personnes affluent à l’aéroport de la ville pour tenter de fuir les talibans. Photo : Wakil Kohsar/AFP

Entre 2008 et 2020, plus de 70 000 Afghans ont été rapatriés de force en Afghanistan depuis des pays européens, dont la France, le Royaume-Uni, la Suède et l’Allemagne, selon les statistiques officielles. 

Après la prise de Kaboul par les talibans le 15 août et la chute du gouvernement du pays à la suite du retrait des troupes américaines, des scènes poignantes ont été observées à l’aéroport international de la capitale alors que des milliers d’Afghans tentaient désespérément d’échapper au nouveau régime fondamentaliste.

En Europe, l’attention se tourne vers la situation des réfugiés. Lors de son allocution du lundi 16 août, Emmanuel Macron a appelé à protéger la France « contre les flux migratoires irréguliers » venus d’Afghanistan. Devant la Chambre des communes mercredi 18 août, le Premier ministre britannique Boris Johnson a laissé entendre que les Afghans qui se trouvent déjà au Royaume-Uni ne seraient pas expulsés, disant : « Nous ne renverrons personne en Afghanistan, mais nous n’autoriserons pas non plus des personnes d’Afghanistan à venir dans ce pays de manière aveugle. » Londres a annoncé vouloir accueillir 20 000 réfugiés afghans, même si seulement 5 000 d’entre eux seront autorisés à entrer dans le pays au cours de la première année.

The number of Afghans removed from Europe with force from 2008 to 2020. Data via Eurostat

Le nombre d’Afghans expulsés de force du territoire européen entre 2008 et 2020. Données via Eurostat.

« Au cours des 12 dernières années, les pays européens ont expulsé 71 065 personnes vers l’Afghanistan, et ce, malgré la situation fragile sur le territoire. Entre 2015 et 2020, 20 % des districts afghans en moyenne étaient sous la coupe des talibans et 40 % étaient disputés entre les talibans et le gouvernement afghan. Les pays européens le savaient parfaitement, et ont désigné des parties spécifiques de l’Afghanistan comme “zones sûres”, le pays ne pouvant être considéré comme sûr dans son ensemble, pour que les déportations se poursuivent », explique Matteo Villa, chercheur à l’Institut italien pour les études de politique internationale.

Ces dernières années, alors que l’Afghanistan devenait de plus en plus instable, loin de diminuer, le nombre de déportations a en fait augmenté. Un pic des expulsions a été enregistré en 2016, lorsque l’UE a signé un accord avec l’Afghanistan permettant aux pays européens d’expulser un nombre illimité de réfugiés. Lors de la négociation de l’accord, l’UE a suggéré de priver l’Afghanistan de son aide s’il ne coopérait pas. L’accord a été signé à un moment d’impasse militaire entre les forces de l’OTAN et les talibans, ce qui signifie que les talibans ciblaient les civils pour semer la terreur et prendre l’avantage. 

Il y a eu 5 100 expulsions en 2020, année où le retrait américain a été négocié par l’administration de Donald Trump

« Les expulsions ont même augmenté ces dernières années, lorsqu’il est devenu évident que les États-Unis sous Trump se retireraient du pays, dit Villa. Plus de 16 000 de ces 71 000 expulsions ont été effectuées entre 2018 et 2020. Alors que les gouvernements européens se démenaient pour prouver, à une opinion publique méfiante, qu’ils pouvaient rapatrier les demandeurs d’asile déboutés, un gouvernement afghan complaisant était la cible de choix. Il est clair (aujourd’hui plus que jamais, mais c’était déjà clair il y a des années) que cette politique a été un échec, condamnant beaucoup de ceux qui avaient réussi à se rendre en Europe à retourner vivre sous ce qui est redevenu un régime oppressif. »

Le Royaume-Uni, qui a été un allié militaire clé dans l’invasion menée par les États-Unis en 2001, a rapatrié 15 755 Afghans entre 2008 et 2020, soit plus que tout autre pays européen. En 2016, l’ex-Première ministre britannique Theresa May a remporté une bataille juridique pour pouvoir recommencer, après une brève interdiction ordonnée par les tribunaux britanniques, à expulser des individus en Afghanistan, y compris des enfants, alors même que les pertes civiles augmentaient.

En tout, la Suède a expulsé 9 970 personnes vers l’Afghanistan, l’Allemagne 8 665, la Grèce 6 890 et la France 6 115 entre 2008 et 2020. 

« L’Europe, qui est l’une des régions les plus riches du monde, a les moyens et le devoir d’offrir une protection à ceux qui fuient le danger, estime Satbir Singh, directeur du Joint Council for the Welfare of Immigrants. Mais malgré le fait qu’une petite minorité des réfugiés du monde entier fuient vers l’Europe, nos gouvernements refusent trop souvent des personnes vulnérables, notamment des Afghans dont la vie est clairement en danger. Le Royaume-Uni, en particulier, a la réputation de fermer la porte à ceux qui sont dans le besoin, refusant l’asile à environ 60 % des Afghans depuis 2008. Et à ce jour, près de 3 000 Afghans sont toujours dans l’incertitude, attendant de voir si leur demande d’asile est acceptée. Il est clair que le Royaume-Uni et le reste de l’Europe doivent faire des efforts pour offrir une protection aux personnes qui fuient le danger. Au lieu de relever le pont-levis, les nations européennes devraient s’unir pour accueillir les réfugiés afghans et soutenir ceux qui sont déjà ici en leur accordant immédiatement l’asile. »

Selon Villa, il faut maintenant se concentrer sur les Afghans dont la demande d’asile a été rejetée, mais qui n’ont pas été renvoyés en Afghanistan : « Au cours des mêmes 12 années, 600 000 personnes ont demandé l’asile dans les pays européens. Parmi elles, 290 000 ont été rejetées. Le nombre de personnes renvoyées implique qu’il y a au moins 220 000 Afghans en Europe dont la demande d’asile a été rejetée mais qui n’ont pas encore été renvoyés en Afghanistan. Les gouvernements européens devraient leur accorder de toute urgence des visas humanitaires et une voie crédible pour rester légalement ici, plutôt que de reprendre les déportations et de les ramener dans un pays dont le régime fait preuve d’un manque total et absolu de respect pour les droits humains fondamentaux. »

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