Marisela se met à la recherche de Rubí et passe au peigne fin sa ville natale de Ciudad Juárez, à la frontière d’El Paso, au Texas, craignant qu’elle ne soit tombée entre les mains de trafiquants d’êtres humains. Sans l’aide de la police, elle retrouve Sergio et inonde son quartier d’affiches offrant une récompense pour toute information concernant la disparition de sa fille. Finalement, un témoin se présente, disant avoir entendu Sergio demander de l’aide à des gens pour dissimuler le cadavre de sa petite amie. Arrêté et placé en garde à vue, Sergio avoue à la police où se trouve le corps. Des mois après sa mort, la dépouille de Rubí est enfin retrouvée à moitié brûlée dans une décharge. Elle n’avait que 16 ans quand elle a été tuée.
Le cas de Rubí est malheureusement loin d’être rare à Ciudad Juárez. La ville la plus peuplée de l’État de Chihuahua a un lourd passé de féminicides : plus de 370 femmes y auraient été assassinées entre 1993 et 2003. Véritable épicentre du trafic de drogue au Mexique, son taux de criminalité déjà élevé a grimpé en flèche durant la guerre contre la drogue menée par le président Felipe Calderón entre 2006 et 2012. Selon la Banque mondiale, le taux national d’homicides au Mexique était de 22,5 meurtres pour 100 000 personnes en 2010. Dans le Chihuahua, il était de 188 pour 100 000. La moyenne mondiale à l’époque était de six décès pour 100 000 personnes.
C’est dans ce climat de violence que Marisela organise une série de manifestations à travers le pays pour demander l’aide des autorités qui, jusqu’alors, n’ont pas levé le petit doigt. Ces longs mois de mobilisation débouchent sur le procès de Sergio. Lorsqu’on lui demande de s’adresser à Marisela avant sa condamnation, Sergio s’excuse de lui avoir causé « cette immense douleur que personne ne peut réparer ». Après une pause, les juges l’acquittent à l’unanimité.
Pour la famille, cette décision est incompréhensible. Sergio est passé aux aveux, s’est excusé et a indiqué avec précision l’endroit où se trouvait le corps, mais les juges affirment qu’il n’y a pas assez de preuves pour le condamner. Il est finalement condamné en appel quelques mois plus tard, mais il a déjà pris la fuite.
Entre-temps, les Escobedo apprennent que Sergio a rejoint Los Zetas, l’un des cartels les plus dangereux et les plus brutaux du Mexique. Les menaces de mort commencent alors à pleuvoir, mais Marisela refuse de se cacher. Au lieu de cela, elle décide d’organiser une manifestation dans un endroit public : la place située devant le palais du gouvernement de Chihuahua, où, quelques semaines plus tôt, un nouveau gouverneur conservateur a prêté serment. Élu car il promettait la loi et l’ordre, César Duarte accorde à Marisela une audience avec le procureur général. Elle lui détaille ses connaissances sur l’affaire et les cartels, ce qui, selon son avocat Gabino Gómez, signe son arrêt de mort.
Le soir du 16 décembre 2010, une voiture s’arrête devant son stand alors qu’elle rassemble ses pancartes et ses pétitions avec son frère Ricardo. Repérant l’assassin, Marisela traverse la rue en courant et est exécutée sur le pas de la porte du palais. Une caméra de surveillance enregistre l’événement.
La nation est choquée à l’annonce de sa mort. En avril 2011, sous une pression croissante, Duarte annonce que la police a procédé à une arrestation. Le suspect, José Enrique Jiménez Zavala, aurait avoué avoir tué Marisela, en plus d’un autre meurtre. Pourtant, Ricardo, le seul témoin oculaire dans l’affaire, ne reconnaît pas Jiménez. De son côté, la famille a un autre suspect en tête : Andy Barraza Bocanegra, le frère de Sergio. Non seulement il a menacé Marisela avant sa mort, mais Ricardo l’a aussi reconnu parmi une liste de photos. Malgré ces preuves, Barraza ne fera jamais l’objet d’une enquête officielle. En décembre 2014, Jiménez est retrouvé mort dans sa cellule de haute sécurité dans d’étranges circonstances.
Le documentaire présente de nouvelles preuves de corruption et de dissimulation aux plus hauts niveaux du gouvernement de Chihuahua. Il décrit également la violence, sous toutes ses formes, à laquelle les femmes sont confrontées dans le pays. Plutôt que de se concentrer sur un seul ennemi – le patriarcat, le gouvernement ou les cartels – le documentaire analyse le danger qui imprègne les expériences des femmes.
Malgré toutes ces incohérences, les affaires de Marisela et de sa fille sont officiellement classées. Comme le révèle le documentaire, la plupart des personnes impliquées dans leurs meurtres sont maintenant mortes ou en prison. Et pourtant, il semble qu’il n’y ait toujours pas de justice pour les protagonistes, ni pour les dix femmes tuées chaque jour au Mexique, puisque 97 % des féminicides dans le pays restent impunis. Au cours des cinq dernières années, le taux d’homicides au Mexique n’a fait qu’augmenter, et 2020 devrait être l’une des années les plus sanglantes jamais enregistrées.
Inspirée par Marisela, la famille Escobedo se bat toujours. En 2019, elle a déposé une plainte contre le Mexique à la Commission interaméricaine des droits de l’homme. Juan Manuel, le fils de Marisela, mène maintenant la bataille. « Elle s’est battue jusqu’à son dernier souffre et est morte au front a-t-il déclaré lors de ses funérailles. Notre mère était une héroïne. »
Le documentaire « Marisela Escobedo : Une tragédie en trois actes » est disponible sur Netflix.
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