En tant que partenaire de Black History Month Belgium, VICE vous propose une série d’articles en accord avec les thématiques mises en avant cette année :  le passé et le futur des cultures noires.

Comme beaucoup de trucs en Afrique, l’histoire du pagne africain est fort marquée par la colonisation. Par exemple, il y a pas mal de chances que ce qu’on pense être un pagne traditionnel soit en réalité un textile produit aux Pays-Bas. En réalité, le wax a été importé par des marchands néerlandais au 19e siècle pour les répandre dans les colonies africaines. Le procédé de fabrication vient d’Indonésie, une autre colonie hollandaise. Le problème, c’est qu’aujourd’hui, le wax a éclipsé les autres tissus traditionnels africains, comme le pagne.

Le lien entre la domination actuelle du wax sur le marché et celle de l’héritage colonial est évident. S’intéresser aux vrais tissus traditionnels, c’est aussi remettre en question la domination occidentale sur l’Afrique.

VICE a interviewé l’anthropologue Stella Nyanchama Okemwa, qui a passé plus d’un an au Kenya pour étudier ces tissus, leurs symboles et histoires.

L’exposition Pagne Africain : A Pan-African Fabric Exhibition, curatée par Stella Nyanchama Okemwa, est à visiter au Modemuseum à Hasselt jusqu’au 25 avril. 

VICE : Salut Nyanchama. Pour commencer, tu peux m’expliquer ce qu’est un pagne ?
Nyanchama :
Les pagnes sont des vêtements principalement faits de coton et teints à partir de mélanges de plantes, d’Indigo, de boue fermentée et de cire. Les imprimés peuvent symboliser le statut, la hiérarchie et l’allégeance à certaines tribus. Les couleurs aussi ont une signification spécifique : le noir représente la longévité, la maturité et le deuil, et le vert la fertilité et les forces génératrices, par exemple. 

Qu’est-ce qu’on sait sur son origine ?
Il y a beaucoup de choses qu’on ne sait pas sur les tissus africains, on ignore tout de leurs origines et de comment ils ont évolué. Une grande partie de l’histoire du pagne a été reconstituée ethnographiquement à partir de la transmission orale, d’excavations archéologiques et de l’héritage culturel qui a persisté dans le temps et les explorateurs européens ont été les premiers à archiver des informations sur les textiles d’Afrique. 

Le wax est le plus connu de ces textiles.
Beaucoup pensent que le wax est le seul tissu africain, mais y’en a plein d’autres. On a le faso dan fani, forêt sacrée, kikoi, kitenge, khanga, bogolanfini, pour n’en nommer que quelques-uns. Dans les années 1800, le wax a pris en popularité en Afrique de l’Ouest et domine les tissus depuis des années maintenant. Le wax est une manière de travailler le coton : on utilise de la cire pour teindre le tissu. Une technique appelée le batik, maîtrisée par les Hollandais·es. C’est donc un produit exporté et ré-importé en Afrique.

« Le wax est l’emblème même de la colonisation des tissus africains. »

Je suis particulièrement intriguée par les khangas, utilisés comme des moyens de communication – parfois même politiques. C’est quoi l’histoire derrière ce tissu ?
C’est justement comme ça qu’a débuté ma passion pour les tissus. À la base, les marins portaient des petits foulards autour du cou appelés Lesso, mais ils étaient trop petits. Ils ont commencé à en coudre plusieurs ensemble, ce qui a donné le khanga. Plus tard, ils les ont personnalisés en y inscrivant des proverbes, des phrases poétiques ou des métaphores. 

La société au Kenya est très structurée et comporte énormément de règles à respecter, au risque d’être marginalisé·e. Certains sujets sont tabous pour les femmes, donc elles utilisent les khangas pour exprimer leurs sentiments face à des personnes spécifiques mais aussi la société au sens large. Par exemple, certains portent la phrase « Mwanamke mazingira tuanataka, usawa, amani, maendelo » (Nous [les femmes] voulons l’égalité, la paix et le progrès). 

Les élites s’étaient emparées de la pratique, puis les pauvres s’y sont mis aussi afin d’émettre des commentaires à propos de la bourgeoisie. Les khangas sont devenus un moyen de communication, tant pour véhiculer des messages de soutien, d’amour, de remerciement ou d’information. 

Les khangas ont de multiples fonctions, Ils peuvent aussi être utilisés comme linge de maison. On les offre également pour toutes sortes d’occasions, et c’est même indispensable d’en ramener un quand on rend visite à quelqu’un. C’est pourquoi ils sont toujours vendus par deux : un pour soi et un à offrir. On en voit aussi lors de rassemblements politiques, pour montrer son soutien à un candidat particulier ou pour attirer l’attention sur une question d’importance générale. Quand Barack Obama a été élu et réélu Président des Etats-Unis, des milliers de khangas bleus ou rouges portant son visage et les inscriptions « Hongera Barack Obama » (Félicitations Barack Obama) ont été produits.

Le pagne est aussi beaucoup utilisé comme foulard et n’avait pas la même signification selon le point de vue des colons ou des esclaves. Tu peux nous expliquer cette différence de point de vue ?
Au temps de la colonisation et de l’esclavage, les maîtres voulaient imposer le foulard aux Noires pour les désexualiser et montrer leur asservissement. Mais pour les esclaves, c’était un rappel de la valeur traditionnelle du foulard – un objet royal qui date de bien avant la colonisation.

Aujourd’hui encore, certains descendantes africaines portent des foulards sans savoir comment il est arrivé là. Dans l’Afrique sub-saharienne, le port du foulard représentait la modestie, la spiritualité et la prospérité, c’était une forme de communication non-verbale du statut de la femme

La raison pour laquelle il y a un tel écart entre le discours colonial et le point de vue africain vient de ce qu’on appelle « l’injustice épistémologique », c’est-à-dire l’effacement de certaines voix du discours dominant. Dans certaines cultures, il y a des sujets personnels qui relèvent du « non-articulé ». Autrement dit, des choses dont on ne parle pas avec les étranger·es car ça ne les regarde pas. Quand les ethnologues venaient interroger les femmes africaines, elles décidaient volontairement de ne pas participer à la conversation. Elles choisissaient de s’auto-exclure du débat car elles refusaient d’inviter les Blanc·hes dans leurs discussions personnelles. C’était un acte de défiance. Les Blanc·hes ont donc continué à écrire l’histoire sans savoir de quoi iels parlaient.

« C’est désolant de voir les Blanc·hes s’éprendre d’une fascination pour nos tissus et vouloir discuter de la valeur du pagne africain, comme si on ne la connaissait pas déjà. »

Le problème est donc que l’histoire a été écrite d’un point de vue eurocentré ?
C’est pas étonnant qu’il y ait si peu d’informations sur le pagne africain. Le coton éthiopien existe depuis le 1er siècle, mais les Africain·es n’ont pas cette culture de l’histoire écrite. Les Blanc·hes, trop étriqué·es d’esprit, se sont alors permis·es de leur renier toute forme d’intelligence. C’est une forme de colonisation que même nos tissus soient décrits à travers le white gaze. Même les symboles utilisés, dont les signes adinkra, n’ont été reconnus que très tard alors qu’ils constituent un vrai langage codifié, au même niveau que les hiéroglyphes. D’ailleurs, il reste encore des écritures qui n’ont pas encore été découvertes à ce jour.

C’est donc la colonisation qui a donné lieu au wax hollandais
C’est l’emblème même de la colonisation des tissus africains. Les Hollandais·es ont réussi à maîtriser la technique de l’imprimé sous cire et à fixer les couleurs. Iels prennent la matière première, le coton, et les motifs d’Afrique qui leur coûte trois fois rien, pour imprimer des tissus africains aux Pays-Bas, et ensuite les revendre à des prix exorbitants en Afrique. Ça fait partie des pratiques d’extractions qui ont lieu en Afrique, il en va de même pour le cacao. 

Il faut mettre fin à l’African Dutch wax. Ces vêtements viennent d’Afrique, on détient tous les savoirs et techniques pour les faire nous-même. Que les Africain·es aient besoin des Blanc·hes pour imprimer leurs vêtements est une idée complètement erronée. Nous étions les premier·es à teindre nos vêtements avec des produits naturels, comme la boue fermentée, des herbes et des fleurs. C’est désolant de voir les Blanc·hes croire qu’iels font redécouvrir les tissus africains. Iels se sont épris d’une fascination pour nos tissus et soudainement veulent discuter de l’importance et de la valeur du pagne africain, comme si on ne la connaissait pas déjà.

Tu penses quoi des designers qui utilisent les motifs africains dans leurs collections ?
Pour moi, la haute couture a le droit de s’inspirer de la culture noire, parce que oui, c’est beau. Après, il faut aussi faire preuve de respect et de reconnaissance, d’inclure et d’impliquer les personnes concernées. L’important c’est de reconnaître et partager l’histoire et les signification des motifs et tissus utilisés pour que le public ne pense pas que ces pièces sortent d’une usine quelconque. 

Il faut qu’il y ait de la reconnaissance et de la gratitude, par un addendum ou une explication sur l’origine lors d’une présentation. C’est une question d’honnêteté et d’éthique. Les créateur·ices africain·es ne sont pas protégé·es par le copyrighting. Mais ce n’est pas parce qu’iels ne sont pas titulaires du copyright sur leurs concepts, que ces créations ne leur reviennent pas de droit

« Le copyright, c’est une affaire de pouvoir, et il est en train de dépouiller l’Afrique de ses propres créations. »

Le problème du copyright, c’est qu’il doit être écrit noir sur blanc.
Exactement. Le copyright est un concept très occidental et beaucoup de personne ne savent même pas qu’elles doivent faire enregistrer leurs œuvres. Sans le copyright, n’importe qui peut s’approprier n’importe quoi, juste parce qu’iels ont déposé la demande en premier. C’est une énorme faille dans le système. C’est la course, les gens se ruent sur les copyrights et volent énormément de choses. C’est comme ça que Monsanto a breveté des graines de plantes africaines, que les Chinois·es ont copyrighté les khangas et les paniers kenyans appelés kiondos. Ce qui veut dire que les Chinois·es peuvent produire des kiondos dans des usines et que le Kenya ne pourra pas revendiquer que c’est un produit kényan.

Tous nos tissus africains risquent d’être légalement appropriés par des grandes multinationales. Le copyright, c’est une affaire de pouvoir, et il est en train de dépouiller l’Afrique de ses propres créations.

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