Les 23 et 31 janvier et le 2 février, des manifestations, issues d’un mouvement de protestation d’une ampleur inédite depuis plusieurs années, ont éclaté en Russie. Des milliers de personnes ont envahi les rues pour protester contre l’incarcération et le jugement d’Alexeï Navalny à son retour au pays, après cinq mois de convalescence en Allemagne où il se remettait d’un empoisonnement dont il accuse Vladimir Poutine.
Dans la foulée de ces arrestations, des images diffusées par des détenus ont commencé à apparaître sur les réseaux sociaux, dévoilant des conditions de détentions déplorables, qualifiées de “torture” par certains d’entre eux. Ces images et témoignages datent du début du mois, mais que sont devenus ces manifestants incarcérés? Interrogée par Le HuffPost, Galia Ackerman, journaliste, auteure et spécialiste de la Russie, nous a éclairés sur la situation.
“Il y a eu près de 11.000 manifestants pro-Navalny arrêtés pendant les manifestations, il y en a eu tellement que les prisons ont été saturées et les conditions de détention horribles”, nous explique la spécialiste. Après ces interpellations massives, l’organisation OVD-Info, spécialisée dans le suivi des manifestations, s’était en effet alarmée de traitements dégradants infligés aux manifestants. Pour preuves, des témoignages de personnes enfermées des heures dans des fourgons cellulaires et les images d’actions policières brutales ont fleuri après la manifestation du 2 décembre.
Des protestataires appréhendés ont “passé la nuit dans des conditions difficiles”, a déclaré à l’AFP un responsable de l’ONG, Grigori Dournovo, expliquant que certains ont dormi par terre ou n’ont pas pu aller aux toilettes. La chaîne de télévision Dojd avait diffusé mardi 2 février une vidéo Instagram d’un manifestant: “Plus de 40 heures se sont écoulées depuis notre arrestation (…) Nous ne sommes pratiquement pas nourris. Ces neuf dernières heures, on est dans un car, obligés de rester debout”, déclarait-il. Nous endurons la torture.”
Le blogueur russe Ilya Varlamov a publié dans un post le 4 février, repéré par nos confrères de Courrier international, des photos issues d’un canal Telegram de manifestants appelé Protest MSU. Il explique qu’à cause de prisons “surpeuplées”, certains manifestants ont été enfermés dans un centre de détention pour migrants dans la banlieue de Moscou.
Des images filmées dans ce centre et divulguées par le média britannique The Guardian montrent des individus entassés dans les véhicules de la police pendant plusieurs heures, ou dormant à même le sol dans un couloir.
Amnesty International dénonçait à ce sujet la privation de liberté de personnes “dont le seul crime est d’avoir participé à des rassemblements pacifiques”, et des conditions de détention qui “s’apparentent à de la torture et à de mauvais traitements”
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Deux poids, deux mesures pour les proches de Navalny
Ces images datent des jours suivant les manifestations du 2 février. Depuis, nombreux sont ceux encore incarcérés, nous informe Galia Ackerman. “On ne connait pas le chiffre exact, mais on peut dire qu’il y a encore plusieurs centaines de manifestants pro-Navalny toujours en prison à ce jour. Évidemment une grande partie a été relâchée sous 24 à 48 heures, mais les proches d’Alexeï Navalny eux sont toujours emprisonnés”, explique-t-elle.
Selon la spécialiste, les premiers libérés sont passés devant un juge et ont généralement reçu un avertissement. Certains ont pu écoper de quelques jours de détention, jusqu’à 15 jours, ce qui peut se décider de façon administrative avec la “justice rapide”. Ensuite, des dizaines, “on ne sait pas combien exactement”, ont subi des procédures judiciaires plus lourdes, jugés pour appels à des manifestations non autorisées et mise en danger de la sécurité publique. Ce dernier point notamment à cause de la crise sanitaire et des risques de contaminations lors des manifestations. “Ces personnes-là ont eu des peines bien réelles”, note la journaliste.
Ensuite, elle explique que “ceux qui ont touché des représentants des forces de l’ordre, par exemple en essayant d’arracher leurs amis des mains des policiers, ont ou vont écoper de peines de prison réelles”. Ce alors même que les manifestations pro-Navalny étaient pacifiques selon Galia Ackerman. “Il n’y a pas eu de policiers blessés ou de dégradations”, assure-t-elle. Pour l’anecdote, l’auteure explique que lorsqu’un manifestant avait voulu monter sur un banc pour scander des slogans lors d’un rassemblement, il avait préalablement enlevé ses chaussures.
Notre interlocutrice soulève par ailleurs une autre problématique moins visible: même s’ils sont libérés, pour de nombreux manifestants, l’histoire ne s’arrête pas là.
“Il y en a qui, à la suite de leur interpellation, vont perdre leur travail, car ils ont jeté l’opprobre sur leur employeur, leur entreprise. Ils vont être isolés, certains peuvent tout perdre. C’est la double peine”.
Enfin, il y a ceux qui sont actuellement toujours emprisonnés, les proches de Navalny. Et quand bien même les charges retenues contre eux ne reposent pas sur des preuves solides, il y très peu de chance que leurs avocats arrivent à avoir gain de cause.
“Les avocats sont surtout là pour rassembler les pièces, faire des dossiers pour pouvoir porter plainte auprès de la Cour Internationale des Droits de l’Homme, explique la spécialiste. Mais aujourd’hui, la Russie n’a plus peur de montrer qu’elle n’est plus un État de droit, donc il y a peu de chance que les décisions de la Cour européenne soient respectées. Désormais, la loi russe primera sur l’européenne”.