J’ai senti le petit pincement au plexus alors que je rabattais la porte du lave-vaisselle: la panique.
Il n’y a encore pas si longtemps, cette demande soudaine m’aurait collé des sueurs froides. J’aurais retourné la maison, vidé les tiroirs, regardé sous les lits.
Vous avez envie de raconter votre histoire? Un événement de votre vie vous a fait voir les choses différemment? Vous voulez briser un tabou? Vous pouvez envoyer votre témoignage à temoignage@huffpost.fr et consulter tous les témoignages que nous avons publiés. Pour savoir comment proposer votre témoignage, suivez ce guide!
Mais pas cette fois. Sur l’étagère du bureau, j’ai pris la boîte posée exactement à l’angle droit qu’elle forme avec le mur, j’ai récupéré ledit carnet, et l’ai tendu triomphalement.
Mon fils, je l’ai trouvé en moins de 4 minutes, presque sans ulcère. Tu ne sais pas ce qu’il m’en a coûté d’années de lutte contre mon double maléfique, bordélique, procrastinateur (il y a un monstre qui se cache tout au fond de moi, je le sais).
Bordélique?
Je vis cependant à une époque formidable où l’informatique me sauve: je bénis le prélèvement automatique, sans lequel je croulerais sous les rappels d’impayés, je suis fan des prises de rendez- vous par internet, des mails, des SMS, qui m’évitent des heures d’angoisses avant de réussir à passer un appel, je voue un culte au e-shopping qui me permet de consommer sans sortir ou presque de chez moi… Ces nouvelles technologies qui effraient, accusées de couper le contact avec le monde, me sont indispensables pour y vivre (il y a un monstre qui se cache tout au fond de moi, je le sais).
Asociale? Je l’ai longtemps pensé
J’ai quelques amis d’enfance dans mon quartier. Ça devient plus compliqué en grandissant, je ne comprends pas les gestes, les intentions. Je passe vite soit pour une idiote, ou pour une fille trop sérieuse. Qui comprend trop vite, et à la fois, d’une lenteur exaspérante. Le soir, avant de faire mes devoirs, mille choses futiles m’absorbent et calment un peu mon anxiété. Certains professeurs s’arrachent les cheveux: a des capacités, mais ne participe pas. Doit participer davantage (“Dis-le si tu ne comprends pas! Parle!”).
À l’école, je ne suis pas la fille la plus populaire. Moi, je veux qu’on m’aime. Je veux plaire comme plaisent les autres filles. Comme Lily.
Jolie, toute simple et souriante, riant aux éclats à la moindre occasion, charmante et aimée de tous. C’était comme ça que je voulais être. Lily m’aimait bien, nous passions beaucoup de temps ensemble, j’avais tout loisir de l’observer, et d’apprendre.
Sourire comme elle. Aimer ce qu’elle aimait. Adopter ses goûts, ses opinions, son langage, ses attitudes. C’était si simple de devenir une autre, qui savait se montrer agréable, sociable, se faire aimer (“Mais souris bon sang!), de laisser derrière moi un vieux costume poussiéreux, et porter, désormais, les habits tout neufs et légers empruntés à une autre.
Ce que je me suis forcée à être, j’ai fini par le devenir. Lily fut mon premier modèle, il y en eut d’autres. Dans un groupe, je repérais celle qui était appréciée, qui avait du succès, qui séduisait. Toutes ont joué un rôle dans la construction de mon personnage, que j’ai appris à composer, à modeler, à affiner. Petit à petit, cadenassée, ma voix s’est éteinte, laissant la place à celles que j’avais voulu être. Tellement plus intéressantes. Nettement plus adaptées.
Cependant, la méthode a ses failles. Certaines situations m’échappent. Comme un script où des lignes manquent, je ne sais pas toujours comment jouer la scène. C’est alors que, parfois, je réapparais… Vous me reconnaitrez: je suis gauche, maladroite, mal à l’aise, fuyante, perdue. Je rougis. Je suis silencieuse, timorée, ou bruyante et volubile. Je souris bêtement ou n’ai aucune réaction. Une nécessité vitale me poussera à m’isoler pour me contenir, pour échapper à un monde pas fait pour moi (il y a un monstre qui se cache tout au fond de moi, je le sais).
J’ai plus que jamais la plus grande admiration pour ceux qui savent être eux-mêmes aisément, sans effort, sans prétention. Qui vivent sans cette sensation d’imposture. Est-on condamné à être soi-même? Peut-on choisir? À qui parlez-vous? Qui croyez-vous connaître? Qui suis-je?
Je suis la fille que tout le monde aime bien. Celle qui s’adapte à tous les contextes, famille et amis, boulot… Je cumule à moi seule les qualités de chacun de mes modèles.
Je suis un caméléon.
Sociopathe? Évoqué…
Seuls ceux qui voient mes failles, qui sentent la supercherie, ne savent pas quoi, mais quelque chose, confusément, les dérangent. Ceux-là ne m’apprécient pas beaucoup. Leur clairvoyance m’oblige à sortir du bois, et je me retrouve sans arme (il y a un monstre qui se cache tout au fond de moi, je le sais).
Il n’y a cependant un endroit, une place où jamais je ne triche. Où rien ni personne ne joue ni ne parle à ma place. Dans les bras de mes amants, c’est bien moi qui frémis…
C’est de trois petites initiales, un beau jour, que la lumière est venue: TSA. Trois petites lettres que j’avais tellement eu de mal à cacher, ensevelies sous les années. En rajoutant beaucoup de lettres, on obtient trouble du spectre de l’autisme.
Oubliez le glam: je n’ai pas de talent particulier.
Ne m’invitez pas au casino, je ne compterai pas les cartes et je ne sais pas combien il y a d’allumettes dans cette boîte. Asperger, sans les paillettes.
Mon fils, tu vois, je savais bien qu’un monstre était caché au fond de moi. J’ignorais simplement, jusqu’à ce jour, qu’il s’agissait d’un spectre.