OUTRE-MER – Les indépendantistes calédoniens n’ont jamais eu autant de pouvoir depuis près de 50 ans. L’élection ce mercredi 17 février d’un gouvernement majoritairement indépendantiste arrive à un moment crucial – à l’échelle locale comme nationale – alors que se profile la question d’un troisième référendum pour statuer sur l’indépendance de l’archipel.
A l’issue du conseil des ministres, Gabriel Attal a, au nom du gouvernement, “salué” les résultats de l’élection en Nouvelle-Calédonie, affirmant que “quelque soit sa composition”, la porte de l’Etat lui “reste plus que jamais ouverte”.
Une bonne volonté affichée mais obligatoire, quand on connaît l’enjeu: à partir du 4 avril prochain, le Congrès calédonien pourra demander à l’Etat d’organiser un troisième et ultime référendum d’ici à 2022 sur l’indépendance dans le cadre de l’accord de Nouméa.
La tenue d’un référendum plus que probable
Dans l’accord conclu en 1998, la Nouvelle-Calédonie peut demander jusqu’à trois référendums pour statuer sur son indépendance. Pour ce faire, la demande doit venir au minimum d’un tiers des élus du Congrès au minimum, soit 18 sièges. Les indépendantistes du FLNKS avaient d’ores et déjà annoncé qu’ils le feraient, tandis que les non-indépendantistes plaident pour une “solution négociée”.
Depuis les élections du Congrès en 2019, la tenue de ce référendum est de moins en moins hypothétique: les indépendantistes n’y sont pas majoritaires mais détiennent 24 sièges sur 54, donc plus du tiers nécessaire.
Depuis ce 17 février, ils tiennent aussi les rênes du gouvernement, avec 6 ministres sur 11, grâce à la formation Eveil océanien (parti des 12% de Wallisiens vivant sur l’archipel). Le parti se revendique “indépendant (politiquement, NDLR) et non-indépendantiste”, mais il a malgré tout conclu une alliance avec les tenants de l’indépendance, en grande partie motivée par leur position commune sur le dossier de la reprise de l’usine de nickel du Sud.
Opération séduction nécessaire
Pour la première fois depuis 40 ans, les indépendantistes ont une chance de prendre des mesures concrètes, sans se résigner à un simple rôle d’opposition, explique au HuffPost Christiane Rafidinarivo, politiste, chercheur invité au CEVIPOF Sciences Po.
“S’ils gardent ce pouvoir jusqu’au référendum, ils pourront faire état d’un bilan gouvernemental”. C’est-à-dire qu’ils pourront vanter leur action sur les problématiques de la société calédonienne, dont au moins deux sont d’une importance capitale.
Tout d’abord, la reprise de l’usine de nickel du Sud. Ce dossier sensible au possible est à l’origine de la chute du précédent gouvernement. Il est d’autant plus crucial que l’économie du nickel constitue la richesse principale de l’archipel: celui qui a la main dessus sera donc un acteur important avec qu’il faudra compter. A fortiori dans le cadre d’une politique indépendantiste.
Ensuite, souligne Christiane Rafidinarivo, ils pourront travailler à réduire les inégalités entre les populations kanaks – les habitants d’origine de l’archipel- et les populations européennes issues de la colonisation. Le sujet est explosif depuis toujours, les Kanaks s’estimant lésés à tous les niveaux, politique, économique ou social. “Les indépendantistes pourront prendre des mesures qui peuvent améliorer cet aspect, peut-être plus rapidement qu’auparavant.”
Fort de 6 ministres sur 11 – et s’ils parviennent à élire un président de leur couleur politique – les indépendantistes pourront donc se lancer dans une opération séduction à visage découvert. “La balle est plus que jamais dans le camp des indépendantistes. On verra les décisions qui seront prises mais s’ils travaillent à une solution d’une indépendance en partenariat avec la France, ils peuvent l’emporter. S’ils travaillent à une solution d’indépendance classique ‘à l’algérienne’, là ça ne passera pas”, analyse Alban Bensa, anthropologue spécialiste de la Nouvelle-Calédonie et de la question kanak.
Quels espoirs de résultat?
Deux référendums sur l’indépendance ont déjà eu lieu sur l’archipel, en 2018 et en 2020. A chaque fois, le “non” l’a emporté. Mais alors que le 1er référendum avait accouché d’un maintien dans le giron français à 56,7%, le deuxième a vu l’écart se resserrer, avec 53,3%. Les pro-indépendantistes ont progressé de 3 points (de 43,3% à 46,7).
“L’écart s’est réduit parce qu’ils y a eu plus de vote des Kanaks et une mobilisation des jeunes”, détaille Alban Bensa. “Mais aussi parce qu’il y a eu des gens d’origine non-kanake qui ont voté pour l’indépendance, parce qu’ils se disent qu’eux n’ont pas d’avenir en dehors de la Nouvelle-Calédonie.”
Le vote au 3e référendum se fera aussi avec les Calédoniens agriculteurs, éleveurs, “une population blanche pauvre qui souffre des inégalités énormes”. “Ils peuvent se dire que si les indépendantistes leur donnent des garanties, ils peuvent construire avec eux un nouveau pays. Mais ils vont demander à ce que la France les assiste dans ce processus, et la difficulté sera là: ça n’existe pas une indépendance en partenariat.”
Le nouveau gouvernement calédonien portera-t-il cette indépendance nuancée? C’est une possibilité, selon Alban Bensa. Les 6 membres indépendantistes nouvellement élus sont “sur cette base”.
Sans s’avancer sur cette question explosive, le ministre des Outre-mers Sébastien Lecornu a dit espérer que l’arrivée du nouveau gouvernement “sera l’occasion de reprendre” le dialogue sur le référendum, au point mort depuis des mois.
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