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Récemment, j’ai fait la connaissance d’un jeune médecin, non pas dans la lumière trop vive d’un cabinet, mais dans la noirceur d’un club. L’esprit éthéré, le corps transpercé par la musique, on est rapidement devenus amis. Régulièrement, je me suis mis à sortir avec son groupe de potes, tous médecins eux aussi. J’ai été saisi par leur intensité dans la fête, la fréquence frénétique de leurs sorties, l’usage important qu’ils font des substances illicites.

Un lundi d’après-soirée, alors que je subissais dans mon canapé, j’ai pensé à ce pote qui, au même moment, était en train d’ausculter des patient·es, tout en devant sérieusement bader. Pour la première fois, l’image de l’être irréprochable s’est fissurée. Et ça m’a soudain semblé con d’avoir adhéré à ce mythe. C’est pourtant évident que les médecins, comme tout le monde, consomment de la came, à la différence qu’il semble y avoir pour eux une injonction sociétale qui tend à prétendre le contraire. Et même, ces spécialistes doivent particulièrement savoir comment les drogues fonctionnent.

J’ai voulu questionner tout ça et interroger des jeunes médecins sur leur rapport à la fête, à la drogue, à l’addiction. Toutes les personnes avec qui j’ai parlé me disent que la consommation de drogues dans le milieu médical est courante, mais qu’en parler reste compliqué. Comme si évoquer l’humanité d’un médecin revenait à enlever son statut sacré à toute une profession. Évidemment, personne n’a envie de penser que son psy, alors qu’on lui confie notre désarroi, a encore l’esprit grillé du week-end ou que le médecin qui doit s’occuper de notre grand-mère a pris son dernier rail il y a moins de douze heures. Je ne dis pas que c’est systématique, mais c’est une réalité qui existe et reste tabou.

Laetitia* (26 ans), travaille dans un hôpital, en deuxième année de spécialisation en psychiatrie

VICE : À quelle fréquence tu fais la fête ?
Laetitia :
Pour le moment, je dirais que je sors au moins une fois par semaine. Parfois plus.

Quand tu sors, tu consommes quoi ?
Presque à chaque fois de la cocaïne, et parfois un peu de MDMA.

Selon toi, y’a beaucoup de docteur·es qui consomment des drogues ?
Quand j’ai commencé à étudier la médecine, j’en savais rien, je crois que j’étais un peu naïve. Mais en réalité, énormément de docteur·es consomment. C’est quelque chose de tellement commun.

Pourquoi, selon toi ?
Je pense que beaucoup de docteur·es cherchent les extrêmes et veulent tester les limites, et avec ça vient la prise de risques et de drogues. Y’a aussi énormément de pression avec le travail ; c’est un moyen de lâcher prise et de s’en foutre. Je vois tellement de situations difficiles, beaucoup de misère, donc quand le week-end arrive, je me dis, fuck it, j’ai besoin d’oublier tout ça pour un moment. Et puis les docteur·es connaissent leur corps et comment les drogues agissent. En tant que psychiatre, je sais très bien comment les drogues fonctionnent par exemple, on nous a appris énormément sur le sujet, et je crois que c’est ça aussi qui a suscité mon intérêt. T’apprends ce que ça fait en théorie et ça te donne envie d’essayer.

Est-ce que t’as déjà eu le sentiment de t’être perdue dans la drogue ?
Oui, ça m’est déjà arrivé. Quand j’avais 23 ans, j’ai traversé des mois compliqués suite à des circonstances difficiles dans ma vie personnelle. J’ai commencé à faire la fête deux à trois fois par semaine. À chaque fois, je prenais de la MD, de l’ecstasy, de la 3-MMC et j’ai été complètement submergée. Mon corps et mon esprit n’arrivaient plus à récupérer et je me suis sentie tomber de plus en plus bas.

Comment t’as géré ça ?
J’ai pas fait d’overdose, mais j’étais pas loin. J’ai abusé de la MDMA et mon niveau de sérotonine était tellement bas que je me suis retrouvée à l’hôpital. J’ai vraiment eu le sentiment de toucher le fond et j’ai réalisé que je pouvais pas continuer comme ça. J’ai été voir un psychologue, un psychiatre aussi, et j’ai beaucoup parlé avec mes ami·es. Doucement, j’ai commencé à aller mieux. J’ai aussi sorti de ma vie plusieurs personnes qui consommaient beaucoup et qui étaient devenues toxiques pour moi. 

Aujourd’hui, est-ce que tu dirais que t’as des addictions ?
Non, mais je sais que je suis sur le fil, je joue avec les limites. D’ailleurs, ces dernières semaines, j’ai à nouveau eu peur. J’ai eu le sentiment que j’étais en train de perdre le contrôle, mais dès que j’ai senti qu’il y avait un risque, j’ai repris rendez-vous avec mon psychiatre. Ça m’a beaucoup aidé.

Est-ce qu’il t’est déjà arrivé de consommer des drogues en dehors d’un moment de fête ?
Pendant mes études, j’ai pris de la Rilatine pour arriver à étudier pour un examen. Mais à part ça, j’ai jamais pris de drogue dans un contexte qui n’était pas récréatif et entouré d’ami·es.

Tu te fais tes propres prescriptions parfois ?
Oui, surtout des somnifères pour pouvoir dormir quand je sors et que je me retrouve à consommer un peu trop tard. J’ai besoin de savoir que je peux dormir, sinon je me sens nerveuse. Je me suis aussi déjà prescrit mes propres antidépresseurs. C’est pas à cause des drogues, mais clairement, elles n’aident pas dans la dépression.

Comment tu gères les lendemains de soirée, surtout quand tu dois aller bosser ?
Jusqu’à présent, j’ai jamais raté un jour parce que je suis sortie, même si j’ai conscience que les lundis, je fais sans doute pas le meilleur travail que je puisse faire. Je travaille avec des patient·es qui ont des troubles de la personnalité et certain·es ont des comportements narcissiques, essaient de te manipuler, de te descendre, il faut vraiment être fort·e pour tenir. Récemment, je me suis aussi retrouvée à pleurer devant l’un de mes supérieurs qui me disait simplement de faire attention d’arriver à l’heure. Je me sentais émotionnellement très instable au point de ne pas arriver à garder mon sang-froid au travail. Ça m’a choquée de réaliser que je n’arrivais plus à contrôler mes émotions. 

Comment tu vois ta consommation évoluer ?
J’ai bien vu ces derniers mois que ça devenait de plus en plus hors de contrôle et que ça pouvait devenir un problème. Y’a quelques semaines, j’ai fait une petite intervention pour moi-même et j’ai téléchargé une application qui te permet d’enregistrer et de surveiller ta consommation. Ça s’appelle I am sober, tu peux voir les jours où t’as pas consommé. Pour le futur, je veux vraiment avoir une consommation plus modérée, ne plus être dépendante et pouvoir sortir sans penser à consommer des drogues. Et puis arrêter la cocaïne aussi, c’est clairement quelque chose que je veux. 

Simon* (28 ans), travaille dans un cabinet de médecins généralistes, en deuxième année de spécialisation en médecine générale.

VICE : Tu fais souvent la fête ?
Simon : Oui, généralement toutes les semaines.

En dehors de l’alcool, quel genre de drogue tu consommes habituellement ?
J’utilise pas mal de produits différents : ecstasy, MDMA, 2C-B, kétamine, speed. Je fume des joints aussi. Après, je fais pas tout ça en même temps. J’essaie de faire une tournante et de garder du temps entre les prises d’un même produit. Ça m’arrive aussi parfois de prendre des psychédéliques, des champignons et du LSD, mais ça, jamais dans un contexte festif. 

Est-ce qu’avoir étudié la médecine a une influence sur ta manière de consommer ?
Oui, clairement, ce que j’ai appris sur les drogues, je l’utilise pour ma propre consommation. Je réfléchis à comment les drogues sont absorbées par le corps, leur concentration dans le sang, comment elles sont éliminées et quelles sont les conséquences de tout ça.  C’est vraiment des informations que j’utilise quand je consomme et je remarque que ça me pousse à gérer ma consommation différemment.

Est-ce que t’as déjà eu peur de te perdre là-dedans ?
Y’a eu des moments dans ma vie où je me sentais pas bien et où je me suis mis à consommer plus de drogues, pour compenser. J’avais pas le sentiment d’avoir perdu le contrôle, mais j’utilisais les stupéfiants comme un moyen d’échapper à tout ce qui n’allait pas. Je consommais toutes les semaines, plusieurs fois par semaine. Là, je dirais que je me suis peut-être un peu perdu. Mais j’en avais conscience. Je savais que j’allais mal mais je savais aussi qu’arrêter de prendre n’allait pas régler le problème parce que c’était lié à d’autres facteurs. Il fallait que je gère les choses à la source et c’est ce que j’ai fait. J’ai commencé à voir un psy et le résultat, c’est que j’ai arrêté avec cette consommation un peu abusive.

Est-ce que t’as déjà eu peur de devenir accro à un produit ?
Je suis conscient des problèmes d’addictions et de ce qui peut y mener, c’est quelque chose auquel je reste attentif. Il m’arrive de faire un check avec moi-même, de regarder comment s’est déroulé ma semaine, comment je me suis senti, si j’ai fumé, quels étaient les effets. Je reste attentif, mais pas craintif.

Qu’est-ce que tu cherches quand tu consommes ?
Ça dépend du moment. Dans cette période de ma vie où j’allais mal, je cherchais vraiment l’excitation et l’amusement d’une manière très superficielle. C’était pour moi un moyen de me sentir heureux, même si c’était faux. J’utilisais pas les drogues pour les bonnes raisons. Mais quand je vais bien, j’utilise la came d’une tout autre manière. J’adore danser et je cherche ce lien plus intense avec la musique. Juste être dans le moment présent, dans un monde différent où je peux lâcher prise et oublier le stress. J’ai aussi déjà pris de la drogue avec des ami·es ou de la famille proche et ça aide à retrouver une connexion qu’on a parfois perdue. Les produits comme l’ecstasy ou les psychédéliques te rendent très honnête et te font perdre ton ego. Parfois, ça permet d’ouvrir une conversation là où y’a eu un trauma, de la colère, de la douleur, et de débloquer des choses que j’ai gardé enfouies.

Comment tu vois ta consommation évoluer ?
Je pense que les drogues vont continuer à jouer un rôle dans ma vie pour une longue période encore. Y’a déjà eu beaucoup d’évolution dans ma consommation, de l’exploration en passant par des moments d’excès, jusqu’à aujourd’hui, où j’ai le sentiment d’avoir une consommation plus consciente dans laquelle je connais les produits et je sais mieux quand les utiliser et quand les éviter. Je peux m’imaginer à 60 ans en train de fumer un joint ou d’avoir un trip avec des ami·es.

Est-ce qu’il arrive que des médecins utilisent des drogues au travail ?
Y’a des histoires de chirurgiens qui opèrent sous coke et les gens le savent, mais personne n’ose vraiment dire quelque chose. L’addiction, ça n’épargne personne. Et puis, plus la pression est grande, plus le risque est important, surtout si on parle de cocaïne. C’est aussi arrivé à un ami anesthésiste de venir au travail en étant encore high et d’avoir endormi un patient, avant d’être renvoyé chez lui. Personne n’a osé lui dire pourquoi, mais tout le monde savait. Le problème, c’est que personne ne confronte la chose, c’est un tabou. Je crois pas qu’on doive être dans une logique de punition, mais il faut faire face au problème. Parce que c’est inacceptable et dangereux.

Toi, t’as déjà utilisé ton statut de médecin pour accéder à des produits ?
J’ai jamais prescrit de drogues ou produits qui pourraient agir comme une drogue, à personne, bien qu’on me l’ait déjà demandé. Pour moi-même, par contre, ça m’est arrivé une fois. En tant que médecin généraliste, on a un kit avec des médicaments qu’on peut utiliser s’il y a une urgence. Dedans, y’a de la morphine et de la benzodiazépine et ils allaient périmer. Avec mon coloc, on avait envisagé de les utiliser plutôt que de les jeter. Honnêtement, heureusement que rien ne s’est mal passé parce qu’après, j’ai vraiment regretté. Je me suis senti super irresponsable, j’étais pas content de moi. Aujourd’hui, ça n’arriverait plus.

Léo* (27 ans), travaille dans un hôpital, va débuter sa spécialisation en médecine générale

VICE : Tu sors beaucoup ces temps-ci ?
Léo :
Chaque week-end, parfois plusieurs fois par week-end. C’est assez récent que je sorte autant, mais ça fait quelques mois maintenant que c’est le cas. C’est dans ce contexte que j’ai commencé à prendre des stups.

Quel genre ?
Principalement de la MD et puis parfois du poppers, parce que c’est drôle, et aussi de temps en temps de la coke, même si ça, j’aurais jamais pensé en consommer.

Pourquoi ?
J’ai fait des stages où j’ai été confronté à des patient·es qui avaient consommé de la cocaïne et qui avaient de vrais problèmes alors qu’ils ne l’avaient fait que quelques fois. Je sais que ça peut affecter ton corps de manière grave assez rapidement. Mais ça m’a pas empêché d’essayer. Je crois que je préfère mourir à 70 ans et avoir vécu de manière libre et intense, que d’avoir 90 ans et avoir toujours été sain et dans le contrôle. J’aurais le sentiment d’être passé à côté de quelque chose. Je veux m’autoriser à expérimenter et voir ce que ça fait. Après, tu peux décider si ça en valait la peine ou pas. Et si c’est le cas, je le refais à nouveau.

Est-ce que tu dirais que tu consommes de manière raisonnée ?
Au début, c’est ce que je voulais. Par exemple, je savais qu’il valait mieux attendre six semaines entre deux prises de MD. Mais maintenant, je ne respecte plus ça, je fais les choses en fonction de ce que je ressens, en évaluant comment je me sens. Si je vois que ça va, je continue, si je remarque que je commence à me sentir émotionnellement instable, je fais une pause.

Comment ça se fait que ta consommation a évolué ?
Je crois qu’au début, j’avais de l’appréhension, je savais pas à quel point ça serait fort. Ça m’est arrivé de ressentir très intensément la descente. Je me sentais vide et très triste, mais je savais que c’était la drogue. Et je me suis dit « OK, je peux supporter ça », parce que je savais que c’était pas causé par quelque chose de négatif dans ma vie. C’est sans doute pour ça que je me suis permis d’en prendre plus. Et puis je suis dans une phase où j’ai envie de perdre le contrôle. Avec mes études, je me suis rarement autorisé ça.

Tu dirais que sortir et consommer, c’est une manière pour toi de lâcher prise ?
C’est une manière d’être plus impulsif. C’est quelque chose que je voulais dans ma vie, cette capacité à lâcher. À travers la fête et les drogues, c’est quelque chose que j’arrive à faire. Dans mon travail, je peux pas être impulsif et j’ai le sentiment que toutes mes études n’ont été qu’une longue planification pour décider ce que je ferai plus tard. Je veux vivre maintenant.

T’as déjà eu l’impression de t’être perdu dans les drogues ?
Non, j’ai jamais senti ça, mais j’ai vraiment conscience que c’est un risque qui existe.

Comment éviter ça selon toi ?
Je me questionne souvent sur ma consommation et j’essaie de rester critique envers moi-même. Parfois, tu tombes et c’est comme ça que tu peux avancer. J’apprends beaucoup de ce processus.

Martin* (29 ans), travaille dans un cabinet de médecins généralistes, en troisième année de spécialisation en médecine générale

VICE : Ça dit quoi, niveau sorties, en ce qui te concerne ?
Martin :
Je sors presque tous les week-ends. J’ai toujours aimé faire la fête. Quand j’étais plus jeune, j’allais dans les soirées des mouvements de jeunesse, ensuite ça a évolué vers les bars et maintenant, je sors souvent dans les clubs pour des soirées techno.

Quand tu sors, tu prends des drogues ?
Je dirais que je consomme presqu’à chaque fois de l’alcool. Et puis je prends aussi de l’ecstasy ou de la MD. Au début, je consommais occasionnellement, tous les 3 mois, et puis c’est passé à toutes les 3 semaines. Ça dépend un peu. J’ai aussi déjà essayé les champignons et tenté la cocaïne quelques fois – sans jamais trop aimer ça. Et puis j’ai aussi testé la 4-MMC.

Est-ce que c’est un sujet dont tu peux parler au boulot ?
Ça dépend si t’es ami·e avec tes collègues ou non. Personnellement, j’en parle pas, vu que je suis toujours en train de faire ma spécialisation.

Est-ce que t’as déjà eu peur de devenir accro à quelque chose ?
Je crois pas que je suis enclin à l’addiction. Mais y’a eu un moment où j’ai eu le sentiment que j’utilisais trop de drogues, trop souvent. Mes potes me l’ont fait remarquer et j’ai commencé à me poser des questions et à m’imposer des limites. Je sais que l’environnement dans lequel j’évolue va jouer un rôle important. Et sortir tous les week-ends a clairement un côté addictif.

Ce moment où t’as eu le sentiment d’avoir abusé, il était lié à quoi ?
Je crois que c’était un moyen d’échapper à ce qui se passait dans ma vie. Je traversais une rupture difficile et j’ai commencé à sortir de plus en plus. Au début, c’était fun, excitant et puis tu commences à ressentir de plus en plus les effets secondaires : la descente, la gueule de bois, le manque de sommeil. J’ai pris conscience que je ne faisais plus grand-chose d’autre de mes week-ends que faire la fête et qu’il fallait que je réévalue ma consommation.

Comment tu gères la descente quand tu dois retourner au boulot après un week-end à sortir ?
Ce qui m’affecte le plus, c’est le manque de sommeil et la difficulté à me concentrer. Mais je travaille 4 jours par semaine donc je sais que je peux récupérer. Généralement, je ressens pas plus de conséquences que ça sur mon travail.

Comment tu vois ta consommation évoluer ?
C’est pas quelque chose qui va devenir plus régulier. Mais je crois que c’est là pour rester en tant qu’option, différente de l’alcool. Je veux continuer à utiliser des drogues d’une manière responsable. Je me vois pas faire ça quand j’aurai 50 ans, mais tant que je sors, je crois que l’option restera présente. Et si c’est quelque chose que je veux faire et qui n’est pas problématique, je continuerai.

*Tous les noms ont été modifiés pour protéger leur identité.

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