TWITCH – L’objectif était de montrer que les députés sont “comme tout le monde”. Et que “comme tout le monde”, ils jouent aux jeux vidéo. Le “show-match” de League of Legends entre les députés Denis Masséglia (LREM) et Ugo Bernalicis (LFI), diffusé en live sur Twitch, aura surtout montré qu’ils maîtrisent le langage des gamers à la perfection.
Pour leur duel, ils ne se sont pas contentés d’une course sur l’un des circuits psychédéliques de Mario Kart. C’est sur League of Legends, ou LoL pour les intimes, qu’ils ont voulu s’affronter. Un jeu multijoueur de stratégie et d’action par équipes, qui compte 100 millions de joueurs dans le monde.
Un e-sport dont les compétitions officielles sont parmi les plus suivies de toute l’industrie et dont les règles -pour les néophytes- ne coulent pas de source. “C’est un peu comme le rugby, il y a deux lignes de cinq et il faut s’attaquer, se pousser, se défendre, se battre”, tente de simplifier le streamer Jean Massiet, qui caste (commente en direct) l’évènement sur son compte Twitch.
Pas si simple. Dans l’arène, il y a bien deux équipes de cinq joueurs. Ce soir il y a d’un côté, les “Carapateurs en Commun”, qui réunit le député LFI Ugo Bernalicis et des sympathisants gamers, rencontrés sur la plateforme Discord. Ceux-là mêmes qui en 2017, avaient bénévolement créé le jeu en ligne “Fiskal Kombat” pour soutenir Jean-Luc Mélenchon. David Guiraud, responsable de la jeunesse de LFI et “squatteur de CNews”, comme le surnomme Ugo Bernalicis, fait aussi partie de l’équipe.
Face à eux, les “Hérauts en mouvement”, menés par Denis Masséglia, député marcheur et président de la commission sur les jeux vidéo à l’Assemblée nationale, à laquelle appartiennent les deux élus. Objectif du jeu vidéo: combattre l’équipe adverse à coups de sorts et détruire son nexus (sa base).
Tout en tuant les sbires qui vous foncent dessus et en récoltant du gold, qui permet d’acheter des objets. Objets qui permettent d’améliorer son personnage et ses sorts. Ah et il y a des tours aussi, qui peuvent attaquer. Et des dragons qu’on appelle drakes. Vous suivez? C’est pas grave, nous non plus. “Ce jeu c’est aussi simple que l’Assemblée nationale, en fait”, commente Chafo sur le chat.
Opération “normalisation”
“Viens mon Denis!” lance Jean Massiet au député LREM à son arrivée sur le plateau. Le tutoiement est de mise, entre “copains”. Car Jean Massiet, qui s’apprête à commenter le jeu, est un ancien collaborateur ministériel, reconverti en 2015 dans la vulgarisation politique sur Twitch. Un changement de cap opéré après l’attentat de Charlie Hebdo.
Passionné de jeux vidéo, il se laisse happer par Twitch, où il passe des heures à regarder des streamers commenter des jeux qu’il ne connaît pas. Il décide alors de caster à son tour ce qu’il connaît le mieux: la politique. Il décide de décrypter en direct les questions au gouvernement à l’Assemblée nationale, à l’attention de ces jeunes éloignés de la politique, mais “sans paternalisme”.
C’est donc tout naturellement qu’il se retrouve à jouer régulièrement en ligne avec les deux “députés geeks” de l’Assemblée, le plus souvent à des heures tardives. “Les politiques, ils font caca pareil, sourit-il. Le soir, quand ils rentrent chez eux, quand ils sont fatigués, ils jouent aux jeux vidéo comme vous et moi.”
Et ils ne sont pas les seuls à s’afficher comme des gamers: en octobre dernier, l’élue démocrate Alexandria Ocasio-Cortez, par exemple, membre du Congrès américain, joue à Among Us sur Twitch devant plusieurs centaines de milliers de spectateurs.
Bien entendu, les deux élus se défendent d’une éventuelle “opération de com’”. “Bon, on essaye quand même de racler des voix”, plaisante Ugo Bernalicis. Sur les dix joueurs au total, il n’y a que deux femmes. “C’est la mieux classée, elle va nous carry (nous porter)!” souligne Denis Masséglia.
“Tu as gardé ta cravate?”
“Avant d’être des représentants du peuple français, vous êtes des gros nerds”, résume donc Jean Massiet en introduction. À ses côtés, est assis un nerd encore plus nerd: le youtubeur et streamer GoB, de son vrai nom Julian Tréguer, jeune champion qui connaît l’univers de LoL sur le bout des doigts.
Il a l’air aussi largué en politique que nous en LoL – bon, en vrai, un peu moins. “Je connais quelques présidents, plaisante-t-il à moitié. La politique, objectivement, c’est pas un truc qui m’intéressait plus que ça. Je me suis renseigné vite fait, ça s’arrête là.”
“Tu as gardé ta cravate, toi?” lance Jean Massiet à Denis Masséglia. “Tu sais que je n’avais pas de costumes avant d’être député, en profite pour raconter ce dernier en souriant. Je n’avais que des t-shirts des baskets. J’ai dû m’adapter.” Même s’il joue à LoL ce soir, il n’en oublie pas pour autant sa fonction, qu’il se doit d’incarner “en costume”.
Après avoir égrainé le palmarès de gamer des deux élus -Denis Masséglia a même fait partie d’une des meilleures “guildes” mondiales de World of Warcraft- la partie peut démarrer. Enfin, “la game”. Le jeu se déroule en BO3 (“best of 3”, en trois manches). Les députés s’affrontent 4 minutes en face à face, pour savoir quelle équipe va démarrer.
Sous l’écran qui diffuse les images des personnages qui s’agitent et lancent des boules de feu, le nombre de viewers augmente, jusqu’à atteindre durant la partie plus de 3000 personnes. Un bon chiffre pour la production. Durant le jeu, les députés sont mutés, concentrés sur leur stratégie. Pas de politique, ce soir c’est du “pure gaming”.
En revanche, dans les commentaires, les blagues fusent, plus ou moins fines. Et ne manquent pas de rappeler les différends politiques des deux adversaires. Denis Masséglia perd la première game. C’est l’équipe insoumise qui commence, donc, avec un avantage. “Je ne dirais pas que c’est un échec, je dirais que ça n’a pas marché”, commente pio4891.
“LREM ils aiment ça, le gold”
Sur les 100 “champions” (ou personnages) que propose le jeu, chaque équipe doit en choisir cinq. Comme certains champions sont trop forts ensemble, l’idée est de “pick” et “ban” (empêcher l’équipe adverse de prendre les personnages avec lesquels ils sont forts).
Le personnage “fétiche” de Denis Masséglia est un monstre nommé Warwick, “attiré par le sang, dont l’odeur le rend fou”, mélange de rat et de loup-garou. ”Ça va se flame (se battre)!” s’anime GOB. Mais toujours dans un esprit “GM” (“Good manners”, de “bon ton”).
Le contraste entre les deux élus est frappant: le député marcheur est concentré, courbé sur son clavier. Face à lui, Ugo Bernalicis a l’air plus détendu. Et pourtant. Le député LREM a feinté, il s’est entraîné avec d’autres personnages et surprend les insoumis, qui peinent à éviter les last hits (dernier coup à un monstre ennemi pour lui prendre son gold) et à infliger des mid life (enlever à son ennemi la moitié de sa vie) à leurs adversaires.
“LREM ils aiment ça le gold”, commente Telisan26. “Quand il s’agit de déposer des amendements, ça va, mais pour jouer correctement, y’a plus personne, s’amuse Jean Massiet. On veut du SEL (des larmes)!” L’équipe des Carapateurs en commun est en difficulté. “Est-ce qu’on peut avoir une liste d’union de la gauche et avoir 30 joueurs à gauche?” demande sur le chat Solgarat.
“On revit le premier tour de 2017”
LREM remporte la première game. “Vu l’écart de gold moi je veux voir les comptes de campagne” écrit PolKaoS. Des supporters de la majorité présidentielle inondent le chat de messages, postés en rafales: “LREM sur la faille, LFI au bercail”, “Denis qui carry, à moitié dans mon lit”.
La seconde game a commencé, et le personnage d’Ugo Bernalicis vient de mourir d’une “petite engage (attaque) assez énervée”. Les sympathisants de LFI s’agitent sur le chat. “Est-ce que ça veut dire que LREM passe plus de temps derrière LOL qu’à potasser les projets de loi?” demande LaLik9. “Putain on revit le premier tour de 2017″, se désespère Alkatrazz93. “C’est la technique de la nasse”, conclut Volrod382_.
Au bout de plus de deux heures de jeu, l’équipe des Hérauts en mouvement finit par l’emporter. “Good Game” (beau match). Le député LREM, en nage, laisse enfin paraître un sourire. “Je tiens à préciser que la Kayle (un personnage féminin aux “ailes de feu divin”), c’était une femme. Elle est trop forte”, souligne-t-il.
“Si vous nous regardez et que vous êtes politique, élu, sénateur, député, maire, et que vous jouez aux jeux vidéo, écrivez-moi, lance Jean Massiet en fin de partie. On est chauds”! L’audience était ce soir au rendez-vous. Pour les autres, il va falloir réviser le vocabulaire du jeu vidéo, car on est clairement dans les “bushs” (dans LoL, les fourrés dans lesquels les joueurs peuvent se cacher).
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