VICE lui a tapé la discute. C’était presque comme dans le bon vieux temps, mais en plus sobre.
Cette interview a été réalisée avant le début du second confinement lors d’un événement privé organisé dans le respect de la distanciation sociale.
VICE : Depuis combien de temps travaillez-vous au Fuse ?
Conchita : Je suis arrivée à Bruxelles d’Espagne le 1er juillet 1960. Il y a vingt ans environ, je tenais une boulangerie juste en face du club. Je travaillais déjà en parallèle pour le Fuse pour faire leurs flyers et laver les t-shirts du personnel. Ensuite, quand j’ai pris ma pension, on m’a demandé de venir ici pour remplacer quelqu’un et je ne suis jamais partie. Ça fait maintenant 18 ans que je travaille au Fuse.
Comment ça se passait avant, quand il y avait des soirées tous les week-ends ?
Je travaillais les jeudis, les vendredis et les samedis. Les soirées commençaient à 23h, et finissaient vers 7h30. Donc je nettoyais les toilettes à fond à 22h, et une fois tout le monde parti. Je travaillais évidemment toute la nuit et rentrais chez moi vers 8h30-9h ; parfois même 10h. Depuis que le club a fermé, je travaille dans des maisons.
Ça doit changer de l’ambiance du club…
La différence est énorme. Dans une maison on travaille beaucoup plus, c’est bien plus fatiguant. Je travaille chez le frère d’un dj tous les jeudis, je dois m’occuper de tout et c’est beaucoup plus dur. Tandis qu’ici, je m’occupe surtout des toilettes des hommes et de la caisse, donc je suis généralement assise. Évidemment, tout dépend de la clientèle. Il y a des client·es gentil·les et poli·es, mais ce n’est pas le cas de tout le monde. C’est très gênant à dire, mais il arrive que certain·es me traitent de tous les noms.
« J’ai vu une fille courir dans les toilettes, baisser son pantalon et pisser n’importe où, ou d’autres qui chient sur le palier, ou qui badigeonnent le mur des toilettes avec du caca. »
Pourquoi les client·es vous insultent ?
Le fait qu’on oblige les client·es à payer cinquante centimes pour aller aux toilettes, ou trois euros pour toute la nuit, ça les énerve. Je me suis déjà pris des « putes, salopes, connasse », « tu fais les chiottes et tu ne sais rien faire d’autre ». On entend de tout. Alors souvent, je donne des coups dans les jambes de ces personnes-là avec ma raclette ! Ou alors je leur réponds « c’est de ta sœur que tu parles ? ».
Vous aimiez travailler ici malgré le comportement des gens ?
Oh oui, moi je m’en fous ! Je ne me laisse pas faire. Ça m’est arrivé de monter jusqu’à la piste de danse pour rattraper les malpoli·es. J’en ai déjà vu certains pisser depuis le haut des escaliers et ça coulait jusqu’à l’entrée des toilettes. Donc là, je monte et je les remets à leur place.
« J’avais exactement le même rythme de vie que les jeunes qui font de la musique ou qui font la fête. »
Qu’est-ce que vous faisiez quand des personnes prenaient des drogues dans les toilettes ?
Je ne me mêlais pas de tout ça. Il y a des gens de la sécurité qui s’en occupaient et que j’étais censée appeler, mais je ne le faisais pas. Il y avait toujours plein d’histoires ; j’ai tout vu ici ! J’ai vu une fille courir dans les toilettes, baisser son pantalon et pisser n’importe où, ou d’autres qui chient sur le palier, ou qui badigeonnent le mur des toilettes avec du caca. Mais ça ne me dérange pas. Je faisais la caisse et quand je devais nettoyer, je nettoyais. Malgré tout, je préférais travailler ici.
Donc vous viviez la nuit et dormiez le jour ?
Après avoir arrêté la boulangerie, j’ai commencé à travailler la nuit et je dormais un peu la journée. J’avais exactement le même rythme de vie que les jeunes qui font de la musique ou qui font la fête. Mon mari à la maison n’aimait pas trop ça, mais moi j’ai toujours aimé venir ici.
« Ça me manque d’être ici, de me disputer un peu avec les gens chiants ou de discuter avec les gentils. J’aimerais que le club rouvre. »
Et cette ambiance vous manque ?
Oui beaucoup. C’est dur de rester sept mois à la maison. Ça me manque d’être ici, de me disputer un peu avec les gens chiants ou de discuter avec les gentils. L’ensemble me manque, j’aimerais que le club rouvre.
Vous touchez des aides du gouvernement depuis le confinement ?
Non pas du tout. J’ai ma petite pension d’indépendante qui n’est pas terrible. C’est environ 1 050 euros, ce n’est pas suffisant pour vivre quand on compte 400 euros de loyer, 150 d’électricité, l’assurance, et tout le reste. Je suis contente d’avoir le Fuse car ça arrondit mes fins de mois et ça me permet d’offrir des cadeaux à mes petits enfants.
« Avec moi, si on n’a pas 50 centimes, on ne va pas aux toilettes, et si on est désagréable, on se prend un coup de raclette. »
Vous faites donc vraiment partie de la famille du Fuse.
Oui, en septembre j’ai fêté mes 80 ans et j’étais sur la page Facebook du Fuse. Plus de 2 000 personnes m’ont souhaité mon anniversaire, j’ai reçu des messages de personnes aux États-Unis et de partout. C’était inimaginable !
On me connaît depuis longtemps parce qu’à chaque fois que le club faisait un évènement, c’est moi qui était devant le Fuse et qui faisait sonner la cloche. Je me suis occupé des soirées homos qui accueillaient plein de personnes de l’étranger (La Démence, ndlr.). Tout le monde connaît Conchita, c’est comme ça. Certain·es m’appellent aussi « la vieille » ou « mamie », mais normalement c’est « Conchita ». Et avec moi, si on n’a pas 50 centimes, on ne va pas aux toilettes, et si on est désagréable, on se prend un coup de raclette.
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