Si nous avons voyagé aussi loin, ce n’était pas pour explorer la réserve, mais pour découvrir la gastronomie locale. Nous avons séjourné à Longyearbyen, la principale ville de l’archipel. Comme on pouvait s’y attendre, la ville est déterminée à tirer le meilleur parti de sa renommée. Presque tous les commerces s’annoncent comme étant les plus septentrionaux : traversez la rue principale et vous verrez le supermarché le plus septentrional du monde, à côté du coiffeur le plus septentrional, à côté du musée le plus septentrional, à côté du food truck le plus septentrional.
Pour nous faire une idée de ce qu’est la cuisine arctique authentique, nous avons ciblé trois endroits les plus au nord : l’épicerie, un restaurant traditionnel et un restaurant gastronomique.
D’abord, nous sommes allez au supermarché. Il y avait une gamme de produits bien plus large que ce que nous avions imaginé. Qui aurait cru qu’il serait si facile de trouver des fruits et légumes décents au pôle Nord ? Après le rayon des fruits et légumes, deux délices locaux ont attiré notre attention : du renne séché et de la baleine fumée.
Les bâtonnets de renne emballés sous vide, auxquels nous avons ajouté du sel, du poivre et du speck, étaient relativement bons. Mais ne vous attendez pas à ce que les saveurs soient puissantes. Les yeux fermés, il était difficile de les distinguer des saucisses fumées standard emballées sous film plastique, même s’il est vrai que nous avons pris un certain plaisir à déguster Rudolphe à quelques pas de la maison spirituelle du Père Noël.
La baleine, c’était une autre histoire. Elle avait un goût étrange, comme du poisson avec un arrière-goût de steak. Tout aussi déroutant. Elle était à la fois tendre et moelleuse – et vraiment salée. Associée à un fromage norvégien, recommandé par le boucher du supermarché, c’était un en-cas étrangement réussi.
Après avoir goûté à certaines des spécialités les plus inhabituelles du supermarché, il était temps de dîner comme un local. Le problème, c’est que la plupart des restaurants de Longyearbyen servent le genre de pizzas et de hamburgers que l’on peut trouver partout sur Terre. Ce que nous voulions, c’était une expérience gastronomique plus authentique.
Les habitants nous ont conseillé de nous rendre au Mary Anne’s Polarigg, un restaurant familial. Petite précision : la végétation ne pousse pas au Svalbard, à l’exception d’une poignée de plantes minuscules et de champignons qui pointent leur nez chaque année en août et septembre. Ce n’est donc pas un endroit pour les végétariens et les vegans.
Dans toute la région, les menus regorgent de rennes, de phoques, de baleines et de lagopèdes, le seul oiseau qui fait de l’archipel sa demeure toute l’année. Le propriétaire du restaurant nous a assuré que tout était d’origine locale et que « manger ces animaux est la chose la plus naturelle qui soit ici ».
La chasse est en fait très réglementée. Chaque citoyen résident a le droit de tuer un renne par an pour sa consommation personnelle, tandis que certains chasseurs ont une limite de 25. En gros, tout ce qui est chassé au Svalbard est consommé au Svalbard.
Le renne était servi avec des légumes trop cuits, mais il était nettement plus savoureux que le bâtonnet acheté au supermarché. Le phoque était la spécialité de la maison. Le personnel a tenu à souligner que l’animal est « très différent ici de tout autre endroit sur Terre ». Car ici, en effet, les phoques mangent des crustacés, alors qu’au Groenland et dans le reste de la Norvège, ils se nourrissent de poissons. Cela leur donne un goût similaire à celui des baleines, bien qu’un peu plus fort et plus amer. Si fort, en fait, que lorsque le chef cuisinier est arrivé à Longyearbyen et a goûté du phoque pour la première fois, il pensait manger du bœuf.
Nous avons ensuite pris un repas au Huset Svalbard, le seul restaurant de la ville à posséder un compte Instagram. Le chef de l’établissement essaie de pimenter les choses en changeant le menu tous les trois mois, mais il y avait encore de la place pour du renne lors de notre visite. Cette fois, il s’agissait d’une tarte au cœur de renne fumé, servie sur une mousse de champignons que le chef avait cueillis lui-même le mois précédent. Tous les autres légumes doivent être commandés sur le continent, et il faut parfois attendre un mois pour que certaines livraisons arrivent.
Pour le chef Frederik, la gastronomie arctique n’existe pas. Ce qu’il cuisine, c’est ce que l’on mange ici, au Svalbard. La gamme est peut-être limitée, mais c’est l’occasion pour lui de faire preuve de créativité. La nourriture traditionnelle du Svalbard ne peut être trouvée que sur l’île, et il n’y a pas de marché d’exportation pour les produits locaux.
Le plat suivant comportait encore du renne : un carpaccio de renne enveloppé dans un rouleau de renne avec des algues séchées et du caviar de saumon. Du pain et du beurre garnis de cuisse de renne râpée étaient servis en accompagnement. Et oui, j’ai demandé deux fois pour être sûr : une partie de la patte avant du renne était vraiment râpée sur du beurre.
La seule chose que Frederik ne sert pas au Huset Svalbard, c’est la baleine. En effet, le seul pêcheur local qui fournit de la viande à la communauté utilise de la dynamite dans le cadre de son processus de pêche, et Frederik n’est pas d’accord avec ses méthodes.
Frederik a dû écourter notre dîner privé car les premiers clients de la soirée commençaient à arriver. En sortant, nous avons demandé au chef de nous donner trois adjectifs pour décrire la cuisine du Svalbard. « Stimulante. Limitée. Libératrice. »
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