Le 31 mars 2021, le Conseil de l’Europe avait déjà alerté dans son avis “Protection des droits de l’homme et” pass vaccinal”” sur l’utilisation éventuelle de certificats de vaccination, comme celle de données relatives à l’immunisation, ”à des fins autres que strictement médicales, par exemple pour donner aux personnes concernées un accès exclusif à des droits, services ou lieux publics”. Il relevait que celle-ci soulevait de nombreuses questions de respect des droits de l’homme et devait être considéré “avec la plus grande prudence”. Cette position trouve un écho dans sa résolution 2351 “Vaccins contre le covid-19: considérations éthiques, juridiques et pratiques”, qui présentait comme élément permettant de garantir un niveau élevé d’acceptation des vaccins le fait “de s’assurer que les citoyens et citoyennes sont informés que la vaccination n’est pas obligatoire et que personne ne subit de pressions politiques, sociales ou autres pour se faire vacciner, s’il ou elle ne souhaite pas le faire personnellement”.
La frontière étant mince entre les restrictions apportées aux libertés et la pression exercée pour se faire vacciner, les juristes s’en sont émus dans de nombreuses tribunes, témoignant de leur vigilance à préserver les libertés et égalités, valeurs cardinales du pacte républicain.
Les droits de l’Homme
La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen insiste à de nombreuses reprises sur ces valeurs: ainsi “Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits” (art. 1) et “La Loi est l’expression de la volonté générale. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents” (art.6). La rupture du principe d’égalité peut également avoir des conséquences pénales puisque toute discrimination au sens du Code pénal (article 225-1) est passible de peines correctionnelles, notamment lorsqu’elle porte sur l’état de santé d’un citoyen.
Le droit international envisage également ce sujet, sous un prisme différent en érigeant un principe de non-discrimination. L’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme dispose que “La jouissance des droits et libertés… doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation”. Le Protocole nº 12 à ladite Convention européenne des droits de l’homme, plus large encore, interdit tout acte de discrimination lié à la “jouissance de tout droit prévu par la loi” et prévoit que “Nul ne peut faire l’objet d’une discrimination de la part d’une autorité publique, quelle qu’elle soit” (article 1).
Un exercice d’équilibriste
L’exercice d’équilibriste qui consiste à protéger la santé publique tout en minimisant les atteintes portées aux droits et libertés individuels est désormais dévolu au Parlement, avant d’être soumis, n’en doutons pas, au Conseil constitutionnel, voire faire l’objet de recours en droit international. Relevons cependant que le fait de permettre de substituer à la preuve de la vaccination le recours à des tests permet de modérer le grief de discrimination, même s’il est contraignant et coûteux à terme pour ceux qui s’y prêtent.
Le Conseil constitutionnel a déjà eu l’occasion de se prononcer dans sa Décision n° 2021-819 DC du 31 mai 2021 portant sur la Loi relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire, saisi de l’analyse des dispositions permettant au Premier ministre, au cours de la période allant du 2 juin au 30 septembre 2021, de subordonner l’accès à certains lieux, établissements ou événements impliquant de grands rassemblements de personnes pour des activités de loisirs ou des foires ou des salons professionnels à la présentation soit du résultat d’un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19, soit d’un justificatif de statut vaccinal concernant la covid-19, soit d’un certificat de rétablissement à la suite d’une contamination par la covid-19. Il avait alors validé le dispositif proposé, considérant notamment que la notion d’activité de loisirs, qui exclut notamment une activité politique, syndicale ou cultuelle, n’est ni imprécise ni ambiguë.
À son tour, le Conseil d’État a pu détailler sa doctrine sur le sujet dans son avis sur le projet de loi relatif à la gestion de la crise sanitaire le 20 juillet dernier. Là encore, tout est une question d’équilibre. Il souligne qu’une telle mesure, en particulier lorsqu’elle porte sur des activités de la vie quotidienne, est susceptible de porter une atteinte particulièrement forte aux libertés et droits des personnes concernées, de sorte qu’“un strict examen préalable de nécessité et de proportionnalité, dans son principe comme dans son étendue et ses modalités de mise en œuvre, au vu des données scientifiques disponibles” est nécessaire. Le Conseil d’État valide cependant la majeure partie du dispositif, considérant que le projet est “de nature à assurer une conciliation adéquate des nécessités de lutte contre l’épidémie de covid-19 avec les libertés, et en particulier la liberté d’aller et venir, la liberté d’exercer une activité professionnelle et la liberté d’entreprendre”.
La Défenseure des droits
Le Défenseure des droits est plus critique, dans son avis rendu en urgence “Extension du passe sanitaire: les 10 points d’alerte de la Défenseure des droits” du 20 juillet dernier. Fondamentalement, la Défenseure des droits remet en cause la proportionnalité des restrictions apportées à l’objectif de sauvegarde de la santé publique qu’elles poursuivent.
Nous ne pouvons que souscrire à sa conclusion qui préconise l’évaluation continue du dispositif proposé au fur et à mesure de l’évolution de la situation pour demeurer proportionnelle à celle-ci afin qu’une vie sans pass sanitaire soit possible dès que la situation sanitaire le permettra. Car si, le cas échéant, le législateur et le juge constitutionnel estiment l’équilibre entre droits et liberté et protection de la santé publique respectés, cela doit nécessairement faire l’objet de contrôle lors de sa mise en œuvre et s’inscrire limitativement dans le temps.
La vigilance s’impose.
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