VICE : Comment as-tu rencontré les surfeurs que l’on peut voir dans ton livre ?
Matthew Brooks : J’ai emménagé à Venice Beach début 2021 et j’ai commencé à prendre des portraits des locaux. Un jour, on m’a présenté un surfeur et j’ai remarqué qu’il vivait dans une camionnette complètement barrée, pleine de planches de surf et de skateboards, avec un lit… Je lui ai demandé s’il voyageait dans son van et il m’a répondu « mec, je vis dedans ! ». J’ai tout de suite été fasciné. J’ai continué à prendre des photos de lui dans son van et je lui ai demandé s’il avait des potes intéressants à photographier. Il m’a dit que oui, et qu’il allait me les présenter. Ça a commencé comme ça.
Tu t’y connaissais un peu en surf ?
Je n’ai jamais fait de surf en étant jeune, mais j’ai grandi à Durban, une ville d’Afrique du Sud d’où sont originaires pas mal de jeunes surfeurs pros. J’étais donc entouré de surfeurs, même si j’étais plutôt branché tennis et que je rêvais de devenir professionnel. Je passais mon temps sur le court à m’entraîner pendant des heures. Lorsque je suis arrivé à Venice et que je me suis lié avec quelques surfeurs, ça m’a rappelé ma jeunesse. J’ai été très surpris de voir à quel point ils étaient ouverts à la photo. Mais je suppose que j’ai eu la chance d’être bien introduit, vu que c’était via d’autres surfeurs. Ces jeunes ont particulièrement aimé être photographiés dans leurs vans. J’imagine qu’ils étaient heureux de voir leur van life validée et documentée ?
Les sujets du livre font-ils partie d’un seul groupe de potes ?
Ils sont tous très indépendants les uns des autres, mais en même temps, ils sont tous amis ou se connaissent, car ils fréquentent les mêmes spots de surf et trainent sur les mêmes parkings. Il y a un vrai sens de la communauté sur les parkings des plages — c’est presque comme si les parkings et les zones autour des caisses étaient plus perçus comme des lieux de rencontre que les plages en elles-mêmes.
Qu’est-ce qui t’a attiré dans cette communauté ?
Je pense qu’il existe une sorte de fascination mythique pour les surfeurs, c’est un cercle assez fermé et si vous n’êtes pas surfeur vous-même, il est assez difficile de pénétrer leur univers. J’ai adoré leur dévouement total à l’océan, les mecs vivent pour ça. Mais ce qui m’a vraiment intrigué, ce n’est pas tant le surf, mais plutôt la vie en van… C’était comme si les vans étaient un prolongement de ce sentiment de liberté propre au surfeur — vivre pour les vagues et voyager le long de la côte au gré des courants et des houles.
J’ai été surpris par la diversité dans la déco de chaque van. Si à l’intérieur certains étaient très simples, d’autres étaient couverts de posters de surf et de musique, remplis d’objets que leurs propriétaires avaient collectés le long de la route. Chaque van est réellement une extension de la personnalité du surfeur. Tu ne sais jamais à quoi t’attendre quand ils t’ouvrent les portes. Certains surfeurs leur donnent même des noms, et ces camionnettes deviennent alors de vrais compagnons de voyage.
Pourquoi avoir inclus des interviews dans le livre ?
Sans les interviews, le spectateur ne verrait que des surfeurs et des vans, sans nécessairement faire le lien entre ces deux éléments. Grâce aux échanges, on peut lire à quel point la vie de ces surfeurs est intéressante et comprendre pourquoi un photographe a pu être captivé par ce sujet.
Ces jeunes ne sont pas des sans-abri. Ils ont tous un emploi à temps partiel, principalement dans le domaine du surf : ils travaillent dans des shops, façonnent des planches, etc. Vivre dans une camionnette et être constamment sur la route est un choix de vie, pas une nécessité. Je pense que ce projet est autant un livre de récits qu’un livre d’images.
Le livre dégage un certain sentiment d’intemporalité…
J’aime beaucoup le fait qu’en regardant ce sous-groupe particulier de surfeurs, il est impossible de déterminer l’époque dans laquelle ils évoluent. Tous portent des fringues vintage et leurs coupes de cheveux semblent sortir des années 70. Sans oublier que beaucoup conduisent des vans des années 60 et 70, alors les observer équivaut un peu à voyager dans le temps.
Le livre contient des portraits, des photos en mouvement, des images sur lesquelles on a dessiné ou qui ont été illustrées de diverses manières. Bref, pas mal de trucs différents.
Je voulais vraiment capturer l’esprit du surf et de Venice Beach, qui a un côté loufoque et poussiéreux. C’est un endroit coloré, plein de graffitis, chaque élément est décoré avec de la peinture. Pour le livre, j’ai collaboré avec un pote qui est illustrateur, Juan Bertoni. J’ai pensé que son travail pouvait refléter l’ambiance ludique et réjouissante propre à Venice, celle que j’avais envie de faire transparaître dans le livre. Un peu comme une bande dessinée sur le surf. Je ne voulais surtout pas qu’il ressemble à un bouquin trop propre, du genre de ceux qu’on pose sur les tables basses dans les salons guindés.
Est-ce que tu penses qu’on a réduit les surfeurs et leur mode de vie à un cliché, ou qu’ils sont encore mal compris ?
Chacun possède sa propre opinion sur les surfeurs — et je pense que beaucoup de clichés proviennent de ceux qui n’ont aucun lien avec eux et qui les jugent de l’extérieur. Après avoir travaillé avec ce groupe de surfeurs, je dois dire que j’ai été très bien accueilli. Ils ont respecté le fait que je faisais quelque chose de créatif et que j’exprimais un véritable intérêt pour eux et leur univers. De mon côté, j’ai été fasciné par leur engagement envers les vagues et l’océan. Ils possèdent un lien avec ces éléments qu’il est impossible de comprendre, à moins d’être surfeur soi-même. Ma mission était de refléter ce bonheur et cette liberté dont j’ai été témoin.