Après l’échec du oui en 2014, le Scottish National Party (SNP), emmené par la Première ministre Nicola Sturgeon, et favori des sondages, a axé une large partie sa campagne sur la promesse d’un “IndyRef2” s’il obtenait une supermajorité à l’Assemblée. Un cauchemar éveillé pour le Premier ministre britannique Boris Johnson qui s’est toujours fermement opposé à cette éventualité, et pour qui “ce scrutin tombe plutôt mal”, analyse la chercheuse en civilisation britannique à l’université de Bourgogne-Franche-Comté et spécialiste de l’Écosse, Claire Breniaux, contactée par Le HuffPost.
Boris Johnson empêtré dans les affaires
″Ces élections arrivent dans un contexte d’accumulation pour le Premier ministre britannique, ébranlé en ce moment par le scandale de la rénovation de son appartement au 10 Downing street mais aussi tancé pour sa gestion de la crise du Covid”, précise-t-elle.
Dans le premier dossier, si Boris Johnson assure avoir lui-même payé la facture des travaux, il est néanmoins accusé d’avoir recouru à un prêt non déclaré de la part d’un donateur du parti conservateur. À cette affaire qui a donné lieu à l’ouverture d’une enquête par la commission électorale, s’ajoute un scandale de lobbying touchant plusieurs membres du parti conservateur, le tout dans un contexte de règlement de compte avec l’ancien conseiller du Premier ministre, Dominic Cummings, parti dans des conditions houleuses. Ce dernier a publié fin avril sur son site internet un article au vitriol contre son ancien patron dont les tabloïds se délectent depuis.
“Laissons les corps s’accumuler”
De ces différents scandales égratignant la probité du chef du gouvernement sont également ressortis des critiques sur la gestion de la pandémie. Le Daily Mail, qui ne précise pas ses sources, avait ainsi affirmé qu’au cours d’une réunion fin octobre, Boris Johnson avait lancé: “Plus de putains de confinements, laissons les corps s’accumuler par milliers”. Le Premier ministre a eu beau démentir, le mal est fait et surtout, il vient grignoter le succès de la vaccination outre-Manche dont il se targue. Une aubaine pour le SNP, estime Claire Breniaux.
“La gestion de Johnson a été très critiquée par le gouvernement écossais et Nicola Sturgeon qui ont à nouveau pointé du doigt les clivages sur ces enjeux sanitaires. C’est un argument de poids de montrer que l’Écosse qui a reconfiné plus tôt et plus strictement que l’Angleterre a mieux géré la crise sanitaire”, détaille Claire Breniaux.
Surtout, ajoute la chercheuse, Nicola Sturgeon s’est affirmée comme plus empathique, plus proche de sa population. Dans une vidéo publiée fin octobre la Première ministre écossaise s’adressait directement aux enfants pour les assurer que le Père Noël étant un travailleur essentiel, il serait en mesure de livrer leurs cadeaux. Sa gestion de la crise du Covid a été approuvée par les trois quarts des Écossais.
Le Brexit redessine et redistribue les cartes
Si Boris Johnson appuie son refus d’un nouveau référendum d’indépendance en évoquant le scrutin de 2014, “un événement qui ne peut arriver qu’une fois par génération”, le mouvement indépendantiste écossais capitalise lui sur le Brexit, véritable “game changer” des six dernières années.
En la matière, la dynamique électorale qui a porté les Conservateurs au pouvoir avec une majorité éclatante en 2019 pour enfin en finir avec le feuilleton du Brexit, ne prend guère en Écosse. D’autant, que l’accord commercial arraché la veille de Noël et célébré comme une victoire par Boris Johnson commence à montrer quelques défaillances aussi bien en Irlande où il réveille des tensions, que dans la Manche où la question de la pêche continue de nourrir des échanges tendus avec la France. Les effets positifs d’une Grande-Bretagne désormais maître de son destin se font encore attendre….
“Lors des dernières européennes, c’était assez frappant. On voyait très bien que l’Angleterre restait majoritairement dans le bleu conservateur, alors que l’Écosse était en jaune, la couleur du SNP. Au-delà des partis, on a vu ces dernières années de plus en plus de tribunes de personnalités publiques ou du monde de la Culture dire qu’elles avaient voté non au référendum en 2014, mais qu’à cause du Brexit, elles voteraient cette fois pour l’indépendance. Lors du vote sur la sortie de l’UE, 62% des Écossais avaient choisi de rester”, précise Claire Breniaux.
Les Écossais, plus Européens que Britanniques?
En réalité, la dynamique culturelle écossaise se développe sur deux axes, le premier allant vers une plus d’européanité, le deuxième sur la perte d’un sentiment d’appartenance “britannique” au profit d’une identité écossaise. Cette dernière avait notamment été modélisée dans ce qui s’appelle désormais la question Moreno, du nom du chercheur en science sociale Lus Moreno. Comme le relaie l’institut What Scotland Thinks, plus du tiers des Écossais se sentent uniquement Écossais. Des chiffres qui sont dans une dynamique ascendante depuis juin 2018.
Et gage que cette tendance se traduit politiquement, une large enquête nationale datant de 2019 avait montré que plus de 80% des Écossais ne font pas confiance ou seulement de temps en gouvernement de Westminster. Comme le montre le schéma ci-dessous, l’année 2016 marquée par le vote en faveur du Brexit marque une rupture nette.
Scottish gov
Au mois de janvier dernier, juste après le vote du parlement européen approuvant l’accord de retrait plusieurs eurodéputés avaient entonné “Auld Lang Syne”, qui n’est autre que la chanson “Ce n’est qu’un au revoir” en écossais. Un message d’amour avait également été projeté sur le mur du parlement européen.
Sturgeon ou l’anti-Johnson
Si l’UE, lassée peut-être des frasques diplomatiques de Boris Johnson, est prête à accueillir les Écossais à bras ouverts, ces derniers peuvent compter sur une ambassadrice de choix en la personne de Nicola Sturgeon, “qui a très bonne presse en Europe”, analyse Claire Breniaux.
Longtemps dans l’ombre de l’ex-leader historique du SNP, Alex Salmond, elle a repris entièrement les rênes du parti depuis l’échec de l’IndyRef en 2014 pour le porter à une nouvelle maturité. Plus que le leader travailliste, Keir Starmer, “elle a su aujourd’hui s’imposer comme la première opposante au Premier ministre, et a réussi à faire de son parti la troisième force politique du pays”, ajoute la chercheuse. Cela se traduit à nouveau dans les sondages avec une dynamique qui si elle a certes perdu un peu de puissance ces derniers jours reste extrêmement favorable au SNP.
Face au mur d’Hadrien qui s’annonce ce jeudi, Boris Johnson garde néanmoins quelques atouts dans sa manche. C’est tout d’abord lui qui donnera son accord à la tenue d’un 2e référendum, et surtout il pourra aussi user de l’argument de la crise du Covid pour mettre en avant le besoin d’unité du Royaume-Uni.
Pas question pour le Premier ministre dont c’est le premier grand test électoral depuis le début de la pandémie de laisser voler en éclat sa légitimité durement acquise. “Finalement, l’enjeu pour Boris Johnson c’est aussi de conserver l’intégralité du Royaume-Uni avec le risque qu’un nouveau référendum réveille d’autres velléités indépendantistes. Au final ce qui peut se jouer, c’est la survie du Royaume-Uni. L’Angleterre sera-t-elle capable de garder près d’elles les trois autres Nations (Irlande du Nord, Pays de Galles, Écosse)? C’est à Boris Johnson de tenir la bride, au risque de s’acheminer vers la fin de carrière qu’a pu connaître David Cameron”, conclut Claire Breniaux.
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