Le quinquennat Macron n’a pas laissé de bons souvenirs aux autonomistes corses. Mais après l’agression, puis la mort d’Yvan Colonna, l’exécutif n’a eu d’autres choix que de s’emparer du dossier explosif du statut institutionnel de l’île. Dans le compte-rendu des discussions du ministre de l’Intérieur avec Gilles Simeoni, le terme d’“autonomie” a été écrit noir sur blanc.
La rencontre entre le ministre de l’Intérieur et le représentant corse relance des discussions arrêtées après un cycle de violences à Ajaccio début avril, puis en suspens le temps des élections présidentielles puis législatives. Après la réunion à Paris, Gérald Darmanin doit se rendre sur l’île “sans doute fin juillet” afin de “commencer les discussions qui sont conformes à l’idée (…) d’autonomie dans la Constitution de la République française.”
Il y a déjà un exemple: celui de la Polynésie française. Le 16 mars, reprenant les termes d’élus corses, Gérald Darmanin évoquait déjà un “statut à la polynésienne”. Mais encore faut-il savoir ce qui se cache derrière.
Un président, une Assemblée et des symboles polynésiens
Le statut de la Polynésie française est fixé par la loi organique du 27 février 2004, qui définit une organisation proche d’un parlementarisme d’assemblée. Elle est associée à l’Union européenne avec le statut de pays et territoire d’outre-mer.
L’Assemblée de Polynésie est élue au suffrage universel direct tous les cinq ans. Le président de la Polynésie est ensuite élu à la majorité absolue parmi ses membres. C’est lui qui constitue son gouvernement, composé d’un vice-président et de sept à dix ministres. Il dirige l’action du gouvernement et décide des délibérations à soumettre à l’Assemblée. Il est aussi celui qui promulgue les “lois du pays”, dans la limite de ces compétences.
La Polynésie est aussi libre de déterminer ses “signes distinctifs permettant de marquer sa personnalité dans les manifestations publiques officielles aux côtés de l’emblème national et des signes de la République.” Le drapeau polynésien trône donc à côté des drapeaux français et européens lors des prises de parole d’Emmanuel Macron dans l’archipel, ce qui n’est pas le cas en Corse, ni dans les autres territoires ultramarins, à l’exception de la Nouvelle-Calédonie.
via Associated Press
Quelles compétences?
Toutes les lois votées au Palais Bourbon ne s’appliquent pas en Polynésie française. Ce territoire ultramarin est entièrement compétent en matière économique et sociale, d’éducation, de santé, d’équipement et d’environnement. Ainsi, pendant la crise du Covid-19, le gouvernement a fait voter une obligation vaccinale plus élargie que celle appliquée dans l’hexagone. Dans le domaine fiscal, la collectivité peut créer ses propres impôts.
L’une des revendications des Corses est l’obtention d’un “statut de résident”, notamment pour limiter la spéculation sur le foncier. Officiellement, en Polynésie, il n’existe pas. En revanche, il existe bien un droit de préemption pour empêcher une vente, “dans le but de préserver l’appartenance de la propriété foncière au patrimoine culturel de la population de la Polynésie française”. Ce qui revient à peu près au même.
De même, dans le domaine de l’emploi, une mesure similaire a été votée en 2019 en Polynésie. Elle permet de favoriser l’accès à ceux qui justifient d’une durée suffisante de résidence sur le territoire ou de relations conjugales.
Le gouvernement français conserve, lui, ses compétences dans les domaines régaliens (immigration, sécurité, défense, justice), politique étrangère, de l’enseignement universitaire et monnaie.
Ce qui pourrait coincer avec la Corse
“Sur un certain nombre de points” un “statut à la Polynésienne pourrait répondre aux aspirations des autonomistes. C’est le cas pour la maîtrise de la fiscalité, la maîtrise du foncier, la priorité aux Corses en matière d’emploi, la reconnaissance de l’identité culturelle de la Corse”, analyse pour France 3 André Roux, professeur de droit public à l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence et auteur d’une thèse sur l’histoire de l’autonomie en Polynésie française. Toutefois, “un statut ‘à la Polynésienne’ ne serait pas transposable tel quel” en Corse, estime le constitutionnaliste. Un point en particulier pourrait bloquer: la langue corse.
En Polynésie, la loi organique de 2004 rappelle que “le français est la langue officielle de la Polynésie française”. Toutefois, le tahitien, le marquisien, le paumotu et le mangarevien sont citées comme “les langues de la Polynésie française”, bien qu’aucune co-officialité ne soit reconnue. “La langue tahitienne est un élément fondamental de l’identité culturelle: (…) elle est reconnue et doit être préservée, de même que les autres langues polynésiennes, aux côtés de la langue de la République”, précise la loi.
La co-officialité de la langue corse a été fixée par Emmanuel Macron pendant son quinquennat comme une ligne rouge. Après sa rencontre avec Gilles Simeoni, Gérald Darmanin a réaffirmé deux principes intangibles: “la Corse dans la République et le refus de créer deux catégories de citoyens.”
En Polynésie, l’ouverture des discussions sur le statut corse n’a pas manqué de faire réagir. À l’AFP, le 24 mars dernier, le député indépendantiste Moetai Brothersona mettait en garde les Corses contre “une autonomie de pacotille.” “Je leur dis: ne faites pas comme nous en acceptant les compétences sans obtenir les moyens. Ne vous laissez pas enfermer comme nous ad vitam aeternam dans ce statut d’autonomie.”
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