Sur les réseaux sociaux, les règles changent plus vite qu’un double clic. Photo à des fins d’illustration uniquement. Photo : Artem Podrez, Pexels
Quand il s’agit de réseaux sociaux, il existe quelques règles tacites : les gens vont sur Instagram pour les photos, sur Twitter pour se prendre le chou, sur TikTok pour les vidéos courtes, sur YouTube pour les vidéos plus longues, et enfin sur Facebook pour savoir quel cousin éloigné fête son anniversaire aujourd’hui. Mais ces règles changent plus vite qu’un double clic.
« Nous faisons évoluer Instagram dans une direction où la vidéo occupe une place plus importante dans l’expérience utilisateur », a déclaré Adam Mosseri, responsable d’Instagram, dans une vidéo publiée le mois dernier.
Pour ceux qui ont connu Instagram lorsque son logo imitait encore un appareil photo Polaroid, cette déclaration peut sembler un peu étrange. Mais comme l’esthétique parfaite de l’image s’effrite et que les règles des médias sociaux évoluent, ce n’est pas vraiment un choc. La question la plus importante est de savoir où ces changements laissent les utilisateurs. Les créateurs de contenu, les boutiques en ligne et les photographes, qui ont tous adopté Instagram pour ses fonctionnalités simples et axées sur la photo, ont maintenant du mal à suivre l’évolution de l’application vers la vidéo.
Le succès planétaire d’Instagram est dû à ses fonctionnalités d’édition et de partage de photos. Ces dernières années cependant, l’appli s’est de plus en plus orientée vers les vidéos. En 2013, elle introduisait les publications au format vidéo. Depuis, sont venues s’y ajouter les Stories, IGTV, Instagram Live, et les fameux Reels (qui possèdent un onglet distinct sur l’application). En mai, Instagram a commencé à tester un feed « immersif » en plein écran, semblable à celui de TikTok. Une décision qui, selon certains, vise à rendre la vidéo centrale et mettre ce format plus en avant. Une stratégie sans doute menée en réponse à l’immense succès de TikTok, une application à 100 % basée sur la vidéo.
« Plutôt que d’innover davantage dans le domaine de l’image, [Instagram] semble s’être mis sur la défensive pour construire une présence multimédia et contrer la montée en puissance de TikTok et du contenu vidéo », explique Kokil Jaidka, professeur adjoint en communication et nouveaux médias à l’Université nationale de Singapour.
Il s’agit bien entendu d’une question de business. En avril, Meta, la société mère d’Instagram, a annoncé que les Reels, la fonctionnalité de vidéo courte d’Instagram et de son rival TikTok, représentaient plus de 20 % du temps passé sur l’application. Instagram a également offert des primes en cash aux créateurs qui réalisaient des Reels originaux et « top-ranked ».
Ce n’est pas la première fois qu’Instagram vient chercher la vache à lait d’une autre appli. Au cas où vous l’auriez oublié, les « Stories » ont fait leurs premiers pas sur Snapchat avant qu’Instagram ne les emprunte. Pendant ce temps, d’autres applications sociales ont également apporté des changements pour copier TikTok. YouTube, par exemple, a fait son entrée dans la bataille royale de la vidéo de courte durée avec les « Shorts », des vidéos verticales de 60 secondes maximum.
« Beaucoup d’utilisateurs sont assez mécontents du changement qu’ils observent. Mais comme toute nouvelle génération, même ceux qui la rejettent s’habitueront à cette transition » – Preeti Pooja, spécialiste de la vidéo sur les réseaux sociaux
Mais une partie du business est liée à la demande, c’est-à-dire aux raisons pour lesquelles les gens utilisent les réseaux sociaux. Selon Jaidka, ces motivations ont changé au fil des ans. L’usage des réseaux sociaux, qui plaçait auparavant le networking au premier plan, est maintenant motivé par un besoin de divertissement et une soif de célébrité.
« Instagram ne fait que répondre aux désirs des consommateurs à un moment précis », déclare Preeti Pooja, une spécialiste de la vidéo sur les réseaux sociaux basée à Londres. « Beaucoup d’utilisateurs sont assez mécontents du changement qu’ils observent dans leur expérience. Mais comme toute nouvelle génération, même les utilisateurs qui la rejettent s’habitueront à cette transition. »
Si le grand virage vers la vidéo est inconfortable pour les utilisateurs, il pourrait l’être encore plus pour les créateurs de contenu. Un tel changement implique en effet l’apprentissage de nouvelles tendances et de nouvelles compétences. « Les réseaux sociaux évoluent constamment, et si nous voulons rester dans le coup en tant que créateurs, nous ne pouvons pas rester coincés dans des stratégies et des formats old school », admet Pooja.
« Honnêtement, j’ai l’impression que je ne peux jamais faire une pause », déclare Czari Domingo, une créatrice de contenu beauté et éducatrice basée aux Philippines. Elle publie sur Instagram, TikTok et YouTube.
Dès qu’elle a l’impression de maîtriser un truc, une nouvelle fonctionnalité débarque, et d’après elle, tout va hyper vite. Le passage d’Instagram à la vidéo est un autre de ces changements.
« Ce sont les tendances qui nous dictent ce que nous devons faire » – Czari Domingo, créatrice de contenu
Comme moyen de s’adapter, Czari cite entre autres les tendances sonores. Elle nous explique que les créateurs choisissent maintenant les sons de leurs vidéos parmi une liste limitée des chansons populaires afin d’augmenter leurs chances de devenir viral.
« Ce sont les tendances qui nous dictent ce que nous devons faire », explique-t-elle. Cela peut aider certains créateurs en leur permettant de savoir exactement quel contenu pourrait fonctionner à un moment donné. Mais ça donne aussi à certains, comme Czari, le sentiment d’être bridés dans leur créativité.
Selon Je Villaroman, photographe et consultant RP digital également basé aux Philippines, Instagram est sans aucun doute l’un des outils les plus importants dans sa carrière. En tant que photographe, il utilise Insta pour présenter son travail et trouver des clients. En tant que consultant en relations publiques, il engage des créatifs uniquement sur base de leurs profils Instagram. « Je peux saisir l’importance de la plateforme des deux côtés du spectre », déclare-t-il.
Mais en tant qu’utilisateur de longue date, Villaroman avoue qu’il aimerait bien qu’Instagram s’en tienne à ses principes fondamentaux. Cela dit, il comprend la nécessité pour l’application de rester compétitive, et pourquoi elle le fait par le biais de la vidéo. « Cela va certainement affecter beaucoup de photographes, mais que pouvons-nous faire si ce n’est nous adapter au paysage actuel du monde en ligne ? », conclut-il.
« Instagram est la plateforme où nous sommes les plus actifs. Elle est conviviale pour les débutants, que ce soit d’un point de vue business ou en tant qu’interface », explique Ced Roxas, qui tient une boutique en ligne de meubles. Il nous explique que les affaires marchent plutôt bien pour lui et son partenaire, et que ça ne leur prend pas trop de temps. Comme Ced est également photographe, prendre les pièces qu’ils vendent en photo est relativement facile pour lui. Mais le passage d’Instagram à la vidéo pourrait changer la donne.
« Nous ne savons pas si Instagram veut nous faire comprendre que nous avons besoin d’une autre approche pour promouvoir nos annonces, ou que nous devons simplement essayer les vidéos » – Ced Roxas, proprio d’une boutique en ligne
Au début, lui et son partenaire s’opposaient à ce que les vidéos prennent le pas sur les photos. « L’édition d’une vidéo prend plus de temps que l’édition de photos », explique-t-il. Mais c’est une réalité qu’il devient de plus en plus difficile à nier.
« Nous avons remarqué que nos publicités Instagram n’étaient plus aussi efficaces qu’avant pour générer de nouveaux followers ou de potentiels clients », déclare Ced. « Nous ne savons pas si Instagram veut nous faire comprendre que nous avons besoin d’une autre approche pour promouvoir nos annonces, ou que nous devons simplement essayer les vidéos. »
Mais pour les créateurs de contenu, ce shift vers la vidéo n’est pas vraiment une mauvaise chose. Pooja, la spécialiste en vidéo sur les réseaux sociaux, nous confie que plus tôt les gens commenceront à passer des photos aux vidéos, mieux ce sera. « Les risques liés à ce changement ne concerneront que les créateurs et les entreprises qui hésitent à ajouter une stratégie vidéo à leur plan marketing. Cependant, les avantages sont nombreux, car les Reels veilleront à ce que votre contenu atteigne un public beaucoup plus large. »
Pour Ced Roxas, le format Reels pourrait être une solution pour atteindre de nouveaux clients et développer son activité. Czari Domingo, l’esthéticienne, explique que les vidéos permettent d’un coté de ramener l’élément humain qu’on retrouve dans une boutique réelle, et de l’autre, d’insérer l’essai des produits dans l’expérience d’achat en ligne. Selon Je Villaroman, le photographe, le passage à la vidéo a été l’occasion d’intégrer à la fois des vidéos et des photos dans son processus créatif, et de raconter ainsi des histoires plus complètes.
Selon Jaidka, le changement de cap d’Instagram vers la vidéo signifie que les utilisateurs réguliers peuvent accéder à plus de contenu sur une même plateforme, et que les créateurs disposent de plus d’outils pour réaliser ce contenu et générer de l’argent. Elle ajoute que ce changement sera sans doute bénéfique pour Instagram, lui permettant de devenir une plateforme multidimensionnelle, même si le succès de l’application avec la vidéo n’est pas garanti.
Jadika explique que s’appuyer fortement sur la vidéo comporte certains risques : les créateurs pourraient détester créer du contenu vidéo pour Insta, et les utilisateurs détester le regarder sur l’application. Cela pourrait conduire à un pic d’activité sur le court terme, mais à une baisse de l’engagement sur le long terme, lorsque l’effet de nouveauté se sera estompé.
« D’après moi, si Instagram s’améliore vraiment et devient un pionnier en matière de vidéo au sein de sa plateforme, l’application dégagera de nouvelles opportunités économiques », conclut Jaidka. « Mais si elle échoue et ressemble à une version cheap de TikTok aux yeux des utilisateurs, ces derniers pourraient considérer la plateforme comme dépassée et s’en détourner petit à petit. »
Romano Santos est sur Instagram.
VICE France est sur TikTok, Twitter, Insta, Facebook et Flipboard.
VICE Belgique est sur Instagram et Facebook.
En savoir plus sur L'ABESTIT
Subscribe to get the latest posts sent to your email.