Après les résultats du premier tour des législatives anticipées, plus de 200 candidats se sont désistés pour faire barrage à l’extrême droite et l’empêcher de décrocher une majorité absolue à l’Assemblée. Mais à droite, comme chez certains macronistes, le danger désigné est autant celui du Rassemblement national (RN) que de La France insoumise (LFI).

L’ex-Premier ministre Edouard Philippe, leader d’Horizons, le ministre de l’Economie Bruno Le Maire ou encore le président Les Républicains (LR) de la région Hauts-de-France, Xavier Bertrand, mettent ainsi en scène une confrontation entre « deux extrêmes », les renvoyant dos à dos et appelant à ne voter ni pour le RN, ni pour LFI.

Résultat de ce confusionnisme savamment distillé sur tous les plateaux télé : dix circonscriptions ont finalement échappé au front républicain. Elles voient s’affronter en triangulaire un candidat RN en tête, un insoumis ou un autre candidat de gauche en deuxième position et un candidat de la majorité présidentielle ou LR en troisième place.

Ce discours n’est pas nouveau. Les insoumis, et par association la Nupes, étaient déjà qualifiés de formations d’extrême gauche par certains acteurs politiques lors des législatives en 2022.

« Extrême gauche est un terme qui revient sans cesse et bien souvent, ceux qui l’emploient ne savent pas le définir », signale Aurélien Dubuisson, docteur en histoire au Centre d’histoire de Sciences Po.

LFI est-elle donc une formation d’extrême gauche ? La réponse est non au regard de la classification du ministère de l’Intérieur lors des dernières élections sénatoriales, qui rangeait les insoumis à gauche et le Rassemblement national à l’extrême droite. Une décision « validée » par le Conseil d’Etat en mars 2024. Mais en réalité ce dernier n’a pas procédé à l’approbation de l’analyse politique du ministère, seulement à un contrôle de légalité de sa circulaire, qui « n’est entachée d’aucune erreur manifeste d’appréciation ».

Plus keynésien que marxiste

La définition politique et historique du terme est donc plus éclairante. Et elle aboutit aussi à comprendre que LFI n’est pas un parti d’extrême gauche. « L’extrême gauche est un courant hétérogène qui rassemble les trotskistes, les maoïstes et les différentes déclinaisons du mouvement anarchiste », indique Aurélien Dubuisson.

L’historien explique que cette myriade de tendances se rejoint politiquement sur trois points. Premièrement, les mouvements d’extrême gauche se retrouvent sur un projet de transformation révolutionnaire de la société, en l’occurrence anticapitaliste. Un critère que ni LFI ni le Nouveau Front populaire (NFP) ne remplissent.

« Les propositions clés du NFP veulent rompre avec les excès du néolibéralisme actuel, comme abroger la réforme des retraites, augmenter le Smic ou bloquer les prix. Ce n’est quand même pas le grand soir. Il n’est pas question de nationalisations mais simplement de réinjecter de l’argent dans les services publics. C’est un programme de réformes de gauche classique », objecte Aurélien Dubuisson.

Le programme du NFP est effectivement plus keynésien que marxiste. L’historien rappelle d’ailleurs que le Programme commun de 1972, sur lequel repose l’élection de François Mitterrand en 1981, était plus radical. Il prévoyait notamment des nationalisations massives, une étape dans la rupture avec le capitalisme pour « ouvrir la voie au socialisme ». « Il y a un gouffre entre le programme du NFP et celui de 1972, qui n’était d’ailleurs, lui non plus, pas révolutionnaire », juge l’historien.

« L’idée était donc d’arriver au pouvoir en ayant pour but ultime d’instaurer le socialisme. Il faut par ailleurs mesurer l’effet d’un tel projet dans un contexte où le bloc soviétique existait encore. Jamais vous n’entendrez de déclarations aussi retentissantes dans la bouche d’un membre du NFP ou de LFI », rappelle Aurélien Dubuisson.

« Le seul candidat du NFP que l’on peut qualifier d’extrême gauche, c’est Philippe Poutou », Aurélien Dubuisson, historien

Un deuxième marqueur de l’extrême gauche est la volonté de prendre le pouvoir par un processus révolutionnaire et non par les urnes. Or, LFI a toujours revendiqué la prise de pouvoir par les élections.

Les mouvements d’extrême gauche se construisent aussi en opposition avec la « gauche institutionnelle », du Parti communiste français (PCF) au PS. Ils dénoncent son renoncement à toute ambition révolutionnaire et son acceptation de participer à la vie électorale classique, ce qui mènerait d’après eux nécessairement à se plier au pouvoir de la « bourgeoisie capitaliste ».

Là non plus, ça ne colle pas : « La FI comme le NFP n’émettent pas de critique à l’égard de la gauche institutionnelle puisqu’ils l’incarnent », clarifie ce spécialiste de l’extrême gauche en France.

« Le seul candidat du NFP que l’on peut qualifier d’extrême gauche, c’est Philippe Poutou [figure du Nouveau parti anticapitaliste (NPA), NDLR]. Pour le reste, non, ce n’est pas l’extrême gauche », affirme l’historien. Même conclusion pour le politiste Rémi Lefebvre : « L’extrême gauche n’a rien à voir avec le NFP dont le programme est de gauche et réformiste. »

Des positions dérangeantes ?

Alors pourquoi ce procès en extrémisme de la part de leurs adversaires politiques ? « Bien qu’on doive objectivement classer LFI à gauche, des éléments subjectifs instaurent un doute et tendent à les désigner comme étant d’extrême gauche », considère pour sa part Philippe Buton, docteur en histoire contemporaine et professeur à l’université de Reims.

Il pointe le rapport des insoumis aux institutions démocratiques, entre autres l’attitude de blocage à l’Assemblée nationale. L’approche de LFI vis-à-vis de la police diverge aussi de l’approche historique de la gauche, selon Philippe Buton. L’historien juge que les critiques virulentes de certains membres du mouvement insoumis à l’égard des forces de l’ordre participent d’une ambiguïté sur le rôle de la rue dans la prise du pouvoir.

Une étude de la Commission nationale des Droits de l’Homme vient de rappeler que les préjugés antisémites sont bien plus partagées par les sympathisants du RN

« Le fait que les cadres insoumis fassent entrer les logiques communautaristes dans la vie politique, afin de se constituer un vivier électoral, justifie également cette classification à l’extrême gauche », estime encore Philippe Buton. LFI s’est ainsi vue régulièrement taxée d’antisémitisme depuis les attaques terroristes du 7-Octobre.

L’absence de condamnation ferme des massacres terroristes du Hamas par certains cadres insoumis et les attaques à l’égard de candidats – Raphaël Glucksmann de Place publique en tête –, qualifiés de sionistes, y ont certes contribué. Mais cette question a été clarifiée dans le programme du NFP, chaque formation qui le compose s’engageant à lutter contre l’antisémitisme et la brutalisation du débat public.

Aucune commune mesure avec les positions du Rassemblement national et de plusieurs de ses candidats aux élections législatives, qui ont tenu des propos ouvertement antisémites. Une étude de la Commission nationale consultative des Droits de l’Homme vient d’ailleurs de rappeler que les préjugés antisémites sont bien plus partagés par les sympathisants du RN.

« Cette accusation d’antisémitisme qui vise LFI est utilisée par leurs adversaires politiques pour les mettre sur un pied d’égalité avec le RN, intrinsèquement antisémite dès sa création », souligne Aurélien Dubuisson.

Une stratégie électorale fallacieuse

Mais « ces critiques cachent surtout une stratégie électorale de l’ex-majorité présidentielle et de la droite. Prétendre que les extrêmes se rejoignent leur permet de se présenter comme un choix préférable, plus présentable et raisonnable », avance l’historien. De quoi également casser la dynamique électorale de l’alliance des gauches et créer des divisions.

« L’étiquette extrême gauche est utilisée par les acteurs politiques comme un label disqualifiant et infamant, confirme Rémi Lefebvre. Déjà à l’époque du Programme commun de 1972, le Parti communiste était utilisé par la droite comme outil de diabolisation. »

Ce qualificatif d’extrême gauche arrange donc bien les affaires des cadres du Rassemblement national, qui n’hésitent pas à l’employer à tort et à travers. Une manière de faire oublier que leur parti est, lui, bien d’extrême droite. Cette désignation fait consensus chez les historiens. Dans une tribune publiée dans Le Monde, un collectif de plus d’un millier d’universitaires rappelle que « la “préférence nationale”, rebaptisée “priorité nationale”, reste le cœur idéologique de son projet ». Ce nationalisme exclusif et ce rejet des étrangers sont ainsi caractéristiques de l’extrême droite.

« Renvoyer dos à dos le RN et LFI est une stratégie gravissime car elle banalise l’extrême droite, diabolise la gauche et empêche le front républicain ! », s’insurge le politiste Rémi Lefebvre. Le risque est même un renversement du barrage républicain contre la gauche.

A la veille du deuxième tour, les représentants politiques de gauche ne cessent de rappeler que le véritable danger se trouve à l’extrême droite. Ne pas se tromper de combat est également une antienne reprise par de nombreuses personnalités de la société civile. La chanteuse Aya Nakamura, qui connaît la réalité du racisme pour le vivre dans sa chair, a su trouver les mots justes : « Dimanche, on va tous aller voter, et contre le seul extrême à condamner car il n’y en a qu’un. »

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