Cet engouement est nourri par l’essor des plates-formes digitales qui fluidifient les échanges, offrant aux vendeurs un accès direct à leurs clients et permettant à des particuliers d’acheter et de vendre à d’autres particuliers. À titre d’exemple, Vinted, le leader sur le marché, gagne 23.000 nouveaux utilisateurs par jour en France, pour un total de 10 millions d’inscrits.
Les adolescents, premiers consommateurs de seconde main
Mais que signifie la pratique d’achat/vente d’occasion de vêtements qui semble marquer la vie des adolescents? Les jeunes, à travers ces pratiques, cherchent-ils à sortir du jeu économique de la fast-fashion, pour marquer leur unicité et bricoler leur identité? Ou bien à recréer un autre marché, en développant leur propre boutique en ligne, par exemple sur Depop, pour vendre leurs objets aux quatre coins du monde sans quitter leur chambre? Quelles sont leurs motivations?
On peut d’abord penser que les adolescents s’adonnent à la pratique d’achats de vêtements d’occasion pour des motivations d’ordre économiques (se procurer des vêtements différents à faible coût). Cette motivation est incontestable, mais elle est loin d’épuiser le sujet. D’autres motivations, environnementales, symboliques ou identitaires sous-tendent les achats de seconde main à l’adolescence.
Une certaine recherche d’unicité
Le vêtement de fripe traduit le déjà-vécu (le vêtement usé) et celui du jamais vu (le vêtement unique), renvoyant à un même enjeu: le vêtement contribue à la construction identitaire de l’adolescent, en quête de singularité, qui cherche à s’émanciper de la tutelle parentale, pour construire sa propre identité
Face à l’uniformisation de la mode, le marché de la fripe est un moyen de se démarquer et d’affirmer son identité et ses valeurs. Parmi les différentes activités des adolescents favorisant l’approbation progressive d’une vie sociale autonome (sortir avec des amis, écouter de la musique…), le shopping dans les friperies constitue le point d’ancrage permettant d’interagir avec son groupe de pairs, de créer de nouveaux liens sociaux et de se forger une identité sociale.
Plus encore que les circuits de distribution traditionnels, les points de vente du circuit de la seconde main procurent un moment d’échange plus détendu et convivial, en permettant de fouiller, de dénicher des objets indisponibles sur le marché du neuf et de se laisser surprendre. Dans les friperies, les jeunes consommateurs se lancent comme dans une chasse au trésor à la recherche du produit rare et à bon prix. Guiot et Roux (2010) définissent d’ailleurs cette chasse au trésor comme “un intermédiaire entre le besoin d’unicité, le plaisir nostalgique et l’intention d’achat de vêtements vintage”.
Au-delà du point de vente physique, les plates-formes de vêtements d’occasion en ligne, telles que Depop, sont des lieux d’aspiration pour les jeunes utilisateurs, en quête d’identité, puisqu’on y voit émerger de nouvelles tendances de la mode. Depop a même renversé le rapport de force: si auparavant les tendances venaient des rédacteurs de mode pour influencer les consommateurs, aujourd’hui, ce sont les utilisateurs de la plate-forme qui définissent les tendances, avant même l’industrie de la mode – qui parfois les récupère.
En quête de sens
Les jeunes ont adopté le principe de la seconde main deux fois plus vite que les autres catégories d’âge en 2020. Les marques, connues pour leur surproduction, n’ont d’autres choix que de s’adapter en proposant une stratégie plus écoresponsable. C’est ainsi que le groupe suédois H & M a investi dans Sellpy, une plate-forme de produits de seconde main en ligne, avec sa marque & Other Stories. Ou encore, les Galeries Lafayette ont mis en ligne la plate-forme Le Good Dressing, un site de vente de vêtements d’occasion dont la particularité est que l’échange entre les consommateurs se fait sur le point de vente.
En quête de créativité et d’autonomie
Les plates-formes de seconde main, telles que Depop, encouragent les jeunes utilisateurs à développer leur esprit entrepreneurial, en créant leur propre boutique en ligne destinée à vendre leurs propres objets aux quatre coins du monde sans quitter leur chambre. La mission de Detop est de donner à ces jeunes utilisateurs (54% des utilisateurs ont entre 14 et 24 ans) le pouvoir de perturber le secteur de la mode, de leur offrir la possibilité de vendre leurs propres articles, ce qui leur donne non seulement une seconde vie, et en leur permettre de gagner de l’argent afin de devenir des travailleurs indépendants.
À l’adolescence, le marché de la seconde main n’est pas un moyen de nier le marché, mais plutôt un moyen d’inventer une autre forme de lien plus collaboratif avec la communauté. En d’autres termes, la seconde main est le lieu “où toutes les modalités de la valeur confluent”. Parmi les différentes sources de valeur (utilitaire, hédonique, sociale), la valeur d’ordre social est co-construite par la communauté d’adolescents en interaction sur les plates-formes de seconde main. Cette valeur de lien semble échapper aux objets (les vêtements) pour se rapprocher de la communauté.
Ces jeunes qui utilisent les plates-formes de seconde main, pour revendre leurs propres vêtements contribuent à la mise en œuvre d’une nouvelle définition du marché: l’adolescent échappe au marché de la fast-fashion et à ses contraintes économiques et adopte des formes de consommation plus collaboratives, avec sa communauté en ligne, pour se construire et affirmer son identité.