Derrière la référence évidente à l’acte sexuel qu’est le fait de jouir [“to cum”, en anglais], les trois lettres, écrites ici en majuscules, sont l’acronyme de Creative Underwear for Men et suggèrent d’emblée la clientèle ciblée: les hommes.
Plusieurs articles sont en ligne. Des caleçons et des slips noir, certes, mais dans des matières délicates, voire transparentes. Il n’y pas de motifs, de dessins amusants ou de mauvais jeux de mots. Sur le site, la marque dit d’eux qu’ils sont “exquis, sensuels, luxueux et intrépides”, de la ligne qu’elle est “minimaliste, soyeuse et de haute qualité”. Les tailles vont du XS au XL. Les prix, de 45 à 49 euros.
Érotiser les corps masculins
″Ça peut paraître cher, mais c’est au fond ce que nous payons, nous les femmes, pour de la lingerie [chez des enseignes comme Aubade et Princesse tam.tam, NDLR]”, nous explique Sophie Gambet, la créatrice de C.U.M. Cette dernière, dont le projet a été élaboré à la Station F, entend poser sa pierre à un édifice de taille, l’érotisation des corps masculins.
Stephanie Simcox
“C’est tout une question autour de la masculinité, précise-t-elle. Alors qu’on parle beaucoup des représentations de la féminité, celles concernant les hommes, nettement moins.” Pour elle, la lingerie est un vecteur d’émancipation sexuelle. “On a enfin retourné cet objet de pouvoir pour nous, les femmes, souffle-t-elle. J’aimerais tellement que les hommes puissent en profiter à leur tour.”
Elle n’est pas la seule sur le créneau. D’après cet article de Marie Claire, plusieurs marques, à l’instar de My Jojo et MENAGERIÉ, entendent elles aussi briser les normes de genre en proposant une lingerie masculine érotisante à base de dentelles, de soie ou de satin, d’une part. De l’autre, au gré d’une démarche body-positive, intégrant dans leurs rangs des mannequins dont les corps et morphologies ne répondent pas aux critères de beauté longtemps érigés.
L’homme, sujet de la sexualité
D’après l’historien britannique Shaun Cole, que le magazine féminin cite, “contrairement aux sous-vêtements pour femmes, les sous-vêtements pour hommes ont toujours été utilitaires, choisis pour leurs qualités sanitaires et protectrices. […] Ils n’ont pas été considérés avec la même attention que ceux des femmes.”
Dans le Marais, quartier parisien longtemps privilégié par les hommes gay, les anciennes devantures de certaines boutiques mettant en scène des corps masculins musclés en lingerie contrebalancent cet argument. L’engouement autour du jock-strap, un slip composé d’une poche avant et de deux élastiques latéraux laissant les fesses nues, aussi.
“L’homme n’est pas vu comme objet de désir, mais comme sujet de la sexualité, explique-t-elle au HuffPost. Les femmes, elles, sont enfermées dans le rôle d’objet du désir masculin. C’est cette asymétrie fondamentale qui a forgé nos représentations sur la sexualité.” Il serait commun ainsi de porter de la lingerie quand on est une femme. Quand on est un homme, moins. Elle prend l’exemple de la littérature féminine érotique. Là aussi, “ce n’est pas l’homme qui est objet de désir, mais plutôt l’expression d’une sexualité féminine soumise au désir masculin”.
Le caleçon Bob l’éponge
Un constat que partage Renée Greusard, journaliste et animatrice du podcast sur les sexualités “Crac Crac”. Le regard des femmes sur le corps des hommes est étroitement lié aux doctrines religieuses, soutient-elle. “L’Église le dit, tous les actes qui ne sont pas voués à la reproduction, comme la fellation ou la sodomie, ne sont pas dignes. Moralement, les femmes ne sont pas censées éprouver du désir”, soutient-elle.
Érotiser les corps masculins serait immoral et aurait eu des conséquences à travers le temps. “Quand les femmes expriment ce qu’elles aiment chez un homme, elles répondent souvent qu’il s’agit de leurs yeux ou de leurs mains. Jamais leur pénis”, observe la chroniqueuse sexo de Rue 89. Parce que le désir des hommes n’a jamais été réprimé, ces derniers auraient beaucoup plus de facilité à manifester leur intérêt pour les fesses ou les seins d’une femme.
Le phénomène se retrouve dans la lingerie. Quelle ne fut pas la surprise de Renée Greusard quand, dans la valise de son partenaire actuel, elle découvre un caleçon “Bob l’éponge”? ”Ça m’a vraiment troublée”, nous confie-t-elle. C’est un cadeau de son ex. “Non seulement, on ne m’a jamais offert une culotte de la sorte, mais à chaque fois que des mecs m’ont acheté de la lingerie, c’était pour qu’il y ait un jeu sexuel autour”, se souvient la journaliste.
La chaîne du désir
Ici, le petit personnage en forme d’éponge carrée n’exprime rien d’érotique. Au mieux, il donne envie de rire. Une connotation comique qui en dit long. “Ce truc rigolo, il dit presque une sorte de gêne autour du corps masculin, poursuit Renée Greusard. Nous, les femmes, on nous apprend à ne pas poser un regard désirant.”
Quand elles le font, la réponse n’est pas toujours évidente. Renée Greusard se souvient des vents que certains hommes lui ont mis quand elle les a ouvertement dragués. “Là, tu casses complètement la chaîne du désir censée s’exercer. Si la femme se met dans cette position là, l’homme est un peu décontenancé. Il perd sa place”, estime-t-elle. “Les hommes n’ont jamais été réduits à objet sexuel”, appuie Sylvie Chaperon.
Les nouvelles marques de lingerie comme C.U.M ou celle de Rihanna, dont le dernier défilé a offert une prestation remarquée du mannequin noir et gros Dexter Mayfield, invitent à repenser ces représentations, la virilité et les codes du désir.
Un travail de longue haleine
C’est bien, mais le chemin est long. “Il faut beaucoup de temps pour démolir culturellement ce qui a été le domaine des hommes, en l’occurrence la sexualité”, soulève Sylvie Chaperon. “La révolution sexuelle date des années 1970. Le désir du corps masculin par les femmes aurait dû se libérer depuis”, rappelle-t-elle.
Même si les choses évoluent dans le bon sens, elle trouve que les initiatives, en dehors des communautés queer, restent confidentielles. L’éducation scolaire pourrait avoir son mot à dire. “Pas pour montrer des images érotiques aux gamins, mais enseigner le fait que tous les types de désir sont possibles dans le respect de l’autre et qu’il ne faut pas s’enfermer dans des domaines trop étroits”, suggère-t-elle.
En 2014, la résistance à l’égard des “ABCD de l’égalité”, un programme proposé par Najat Vallaud-Belkacem pour lutter contre le sexisme et les stéréotypes de genre à l’école, est telle qu’elle a provoqué son retrait. “Quand on voit la terreur que suscitent les tentatives pour libérer les normes de genre, on se dit qu’on n’est pas sorti de l’auberge”, regrette Sylvie Chaperon. Et si le personnel de cette même auberge était en train d’être formé ou même de changer? Au fond, comme la lingerie et les caleçons qu’il porte sous son pantalon.
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