Début décembre, les travaux pour Nord Stream 2, un projet de plus de 9 milliards d’euros et 1200 kilomètres de liaison sous-marine, avaient repris dans les eaux allemandes, après avoir été suspendus pendant près d’un an en raison de sanctions américaines, comme le gel des avoirs et la révocation des visas américains pour les entrepreneurs liés au gazoduc.
Les États-Unis et plusieurs pays européens s’inquiètent de la dépendance énergétique à laquelle ce projet pourrait conduire l’UE vis-à-vis de la Russie. Selon Reuters, le nouveau président américain Joe Biden juge lui aussi que ce projet est un “mauvais deal” pour l’Europe.
Arrestation de l’opposant Alexeï Navalny
Autant de tensions exacerbées par l’arrestation de l’opposant russe Alexeï Navalny le 17 janvier et sa condamnation quelques semaines plus tard. Les manifestations appelant à sa libération sont sévèrement réprimées et toutes les demandes occidentales d’éclaircissement sur son empoisonnement -par un agent neurotoxique de type Novitchok, selon plusieurs laboratoires européens- demeurent lettre morte.
“Nous avons toujours dit que nous avions les plus grands doutes sur ce projet”, a déclaré le secrétaire d’État français aux Affaires européennes Clément Beaune sur France Inter lundi 1er février. Les autorités françaises sont-elles donc dans le contexte actuel favorables à un abandon de Nord Stream 2? “En effet”, a-t-il répondu.
Deux jours plus tard, rétropédalage du gouvernement: “Il ne faut pas confondre les sujets, a déclaré sur Europe 1 le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères. Nous avons avec les Allemands une discussion sur Nord Stream, mais qui concerne essentiellement les enjeux de souveraineté énergétique européenne”.
“Les Américains veulent mettre les Allemands face à leurs responsabilités”
Si l’Allemagne a jusque-là toujours refusé de remettre ce projet en question, le dossier est de plus en plus embarrassant pour Berlin, à mesure que se raidit le régime russe. Pour Marc-Antoine Eyl-Mazzega directeur du centre Énergie et Climat de l’Institut français des relations internationales (Ifri), “le problème est avant tout dans la relation bilatérale entre l’Allemagne et les États-Unis”.
“Les Américains veulent mettre les Allemands face à leurs responsabilités”, ajoute-t-il. Il ne suffit plus de condamner verbalement les Russes, il faut des actions concrètes”, ajoute-t-il. Les Européens envisagent d’ailleurs l’adoption de nouvelles sanctions si Vladimir Poutine continue la répression contre l’opposition.
“On peut mettre en place plus de sanctions contre la Russie, acquiesce le chercheur. Mais on est déjà presque au maximum de ce qu’on peut faire sans risquer une escalade incontrôlée. Ou bien, on peut mettre en pause ce projet”.
Un projet “pas seulement allemand, mais européen”
“Il y a un problème avec la Russie, c’est clair”, reconnaît Marc-Antoine Eyl Mazzega. Faut-il tenter de le régler en faisant pression sur Nord Stream 2? C’est la question politique. Il y aura des discussions entre Biden et Merkel et la France va chercher à exister sur le sujet, car cela représente un enjeu plus large de la sécurité en Europe”.
Marc-Antoine Eyl Mazzega rappelle aussi que ce projet “n’est pas simplement allemand, mais européen” et représente aussi d’importants enjeux financiers pour la France. Le groupe industriel énergétique français Engie “a apporté de gros financements au projet Nord Stream 2 avec l’accord tacite de l’État français”, assure-t-il.
Il est aussi dubitatif sur les conséquences qu’aurait l’arrêt de ce projet en Russie. “Pour le Kremlin, la survie du régime russe est plus importante que le projet Nord Stream 2”, estime-t-il.
En Allemagne, la position officielle est donc encore de séparer les enjeux de ce projet des autres enjeux géopolitiques. Mais face aux pressions, peut-on imaginer que l’Allemagne finisse par abandonner le projet? Pour Marc-Antoine Eyl-Mazzega, “le contexte électoral en Allemagne, l’arrestation de Navalny et la question gazière pourraient éventuellement pousser Angela Merkel à revoir ses positions”. Mais rien n’est moins sur.
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