La maladie de Creutzfeldt-Jakob ou MCJ a plusieurs origines potentielles. Dans la grande majorité des cas (87% selon une étude parue en 2004), elle semble apparaître quand une cellule se détraque quelque part. Une telle « auto-génération aléatoire » est possible car la MCJ est causée par une protéine anormale appelée « prion » et non par un agent infectieux à matériel génétique comme une bactérie, un virus ou un parasite. Dans des cas plus rares, elle peut être entraînée par une mutation mais aussi par transmission, ce que craignent les laboratoires impliqués dans le moratoire.
Mai 2010. Alors qu’elle travaille sur des tissus infectés par des prions dans un laboratoire de l’INRAE, Émilie Jaumain, une assistante ingénieure de 23 ans, se blesse au pouce avec un instrument de travail. La maladie de Creutzfeldt-Jakob se manifeste sept ans plus tard par des raideurs musculaires dans l’épaule et le cou. Au terme de longues souffrances, Émilie Jaumain meurt en juin 2019. Elle avait 33 ans. Les ministères de la Recherche et de l’Agriculture ordonnent immédiatement une inspection des neuf laboratoires français qui travaillent sur des prions infectieux. Sa conclusion : en termes de sécurité, les instituts de recherche français peuvent mieux faire en dépit de leur « conformité réglementaire ».
La maladie de Creutzfeldt-Jakob tue systématiquement son hôte, parfois en quelques semaines, par multiplication et agrégation de protéines anormales dans le cerveau. Pour éviter que la mort d’Émilie Jaumain ne reste vaine, les laboratoires français ont renforcé leurs mesures de sécurité après la publication du rapport de 2020. Si la malade du laboratoire Interactions hôtes-agents pathogènes a bel et bien été contaminée par un accident de travail, ces mesures, comme l’utilisation d’instruments en plastique moins tranchants que leurs équivalents métalliques, sont vraisemblablement arrivées trop tard : la durée d’incubation de la maladie de Creutzfeldt-Jakob oscille en effet entre 4 et 40 ans.
Les prions causent d’autres maladies atroces et incurables comme l’insomnie fatale familiale et le « mal anthropophage » du kuru. On les suspecte aussi de jouer un rôle dans les maladies de Parkinson et d’Alzheimer. Leur mode de transmission lui-même est méconnu : une étude publiée en 2011 montre que ces protéines détraquées peuvent contaminer les souris par voie aérienne. L’un de ses co-auteurs, le neuropathologiste Adriano Aguzzi, affirme dans Science que l’article l’a poussé à introduire de nouvelles mesures de sécurité dans son laboratoire de l’université de Zurich mais qu’il n’a pas beaucoup attiré l’attention ailleurs.
La famille d’Émilie Jaumain a porté plainte contre l’INRAE pour homicide involontaire. Elle accuse l’institut de recherche de ne « pas reconnaître ses responsabilités » dans la mort de la jeune femme mais aussi de ne pas avoir appliqué « les protections et les procédures d’accident obligatoires ». La plaie de la laborantine aurait dû être plongée immédiatement dans une solution d’eau de Javel. Elle ne l’a été que vingt minutes après l’accident. Le directeur de l’INRAE, Philippe Mauguin, a reconnu clairement la responsabilité de l’institut dans une lettre à l’association Emilys le 24 juin dernier. Mediapart accuse néanmoins l’institut de « freiner l’expertise judiciaire » concernant la mort d’Émilie Jaumain en tardant à livrer des documents aux experts.
Le moratoire de trois mois interrompt les recherches sur les prions dans les laboratoires concernés : l’INRAE, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Du fait du manque de connaissances actuelles mais aussi de la durée d’incubation exceptionnellement longue de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, cette interruption ne gênera que peu la recherche.
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