« Cet appel n’est pas politique. Cet appel est purement féministe et humaniste ». Ainsi se conclut la récente tribune publiée par Libération appelant à la « reconnaissance d’un féminicide de masse le 7 octobre ».
Pas politique mais purement féministe. Pas politique, mais purement signé par, non pas un, mais deux ex-ambassadeurs d’Israël (dont l’un fut également conseiller de presse…) . Les souliers sont gros, les ficelles, exhibées, l’ironie, évidente : cette tribune n’est pas féministe, mais politique. Parce qu’elle ne relève que d’une pure opération de propagande, faisant sienne la stratégie longuement éprouvée du pinkwashing israélien, son contenu ne saurait même être l’objet d’une discussion aussi polémique soit-elle. La colonisation, le génocide en cours et la propagande qui les accompagne ne se discutent pas, mais se combattent radicalement.
La possibilité que le terme de « féminisme » soit utilisé dans une si abjecte opération résulte également de notre faiblesse à la contrer, voire à la prévenir : il s’agit donc, urgemment, de refermer la porte ouverte à ce que de telles idées deviennent formulables et audibles.
L’obscène propagande de guerre qui soutient cette tribune fait sciemment l’impasse de toute contextualisation de la situation pour la réifier et in fine réitérer la vision d’un monde musulman barbare contre une population israélienne féminisée et ainsi lavée et blanchie de tout soupçon. La condamnation sans appel des combattants du Hamas s’arrime en effet à la construction d’un Orient monstrueux, nécessairement coupable des pires atrocités contre les femmes, permettant ainsi une fois de plus d’annuler toute perspective historique quant à la violence intrinsèque à la colonisation.
C’est précisément parce que cette propagande bat aujourd’hui son plein en France, y compris en manipulant le signifiant féminisme (comme elle manipule le signifiant d’antisémitisme), qu’il nous appartient, en tant que féministes, non seulement de la dénoncer pour ce qu’elle est, mais d’affirmer un positionnement radicalement solidaire de la lutte contre le colonialisme et l’impérialisme.
Comme dans tout conflit armé, la mort de civil.e.s et d’enfants en particulier nous indigne. Mais nous n’oublions pas, pour notre part, les citoyen.ne.s israélien.ne.s qui servent volontairement dans Tsahal et qui, hommes ET femmes, entravent par la force la population Palestinienne aux checkpoints, larguent leurs bombes au phosphore sur la population gazaouie, brutalisent et humilient les palestinien.ne.s, y compris des grands-mères et des grands-pères, dans les territoires occupés, tirent à bout portant sur des manifestant.e.s, arrêtent et emprisonnent illégalement des adolescent.e.s.
Nous n’oublions pas non plus le traitement spécifique réservé aux prisonnières politiques palestiniennes sur lesquelles le viol a été pratiqué par les services de renseignement israélien, parmi d’autres techniques, pour obtenir des informations. Nous n’oublierons ni Ahed Tamimi, jeune fille arrêtée par l’État Israélien et emprisonnée en dehors de tout cadre légal, ni Mariam Abu Daqqa, militante palestinienne de 72 ans, violemment arrêtée en pleine nuit par 4 policiers français avant d’être brutalement expulsée.
Si tant est qu’une perspective « féministe » soit activable face à la situation en Palestine occupée, celle-ci ne peut s’enraciner que dans un positionnement embarqué, situé : c’est parce que, en tant que mères, sœurs, filles de, compagnes, amies, militantes, nous savons ce qu’il en coûte de violences sur nos corps et nos esprits de vivre dans un monde mutilé par le capitalisme et l’impérialisme, que nous devons nous exprimer sur la situation en Palestine. C’est parce que, toutes autant que nous sommes, nous luttons avec acharnement au quotidien pour en finir avec un monde de violences, que nous ne devons pas céder à la lâcheté des mots d’ordres moraux, lesquels ont la paix à la bouche, mais jamais la justice. Et c’est parce que, enfin, nous tenons intensément à la vie, que notre solidarité va à tout le peuple palestinien : ses femmes et ses enfants, évidemment, mais aussi ses hommes, ceux qui portent les enfants extraits des décombres, ceux qui revendiquent la terre pour nourrir leurs familles, ceux qui avec dignité continuent sans répit de lutter pour la survie et la liberté des leurs. C’est dans leurs luttes, leurs désespoirs et leurs déterminations, mais surtout leur refus de toute résignation, que nous, militantes féministes, souhaitons nous reconnaître.
À cette fin, nous faisons nôtres les revendications du peuple palestinien pour un cessez-le-feu immédiat dans la bande de Gaza, l’arrêt des ventes d’armes à l’État colonial d’Israël, la libération de tou·te·s les prisonnier·e·s palestinien·ne·s. Nous invitons également tou·te·s les organisations féministes à relayer la campagne Boycott Désinvestissement Sanctions, pour un boycott des produits israéliens, et rejoindre massivement les mobilisations en cours pour faire cesser le massacre en Palestine. ●●
Tribune signée par :
Sam Bourcier, sociologue activiste queer et transféministe ; Elsa Dorlin, philosophe ; Sara Farris, sociologue et féministe marxiste ; Silvia Federici, historienne et philosophe, militante féministe révolutionnaire ; Émilie Hache, philosophe ; Donna Haraway, philosophe ; Isabelle Stengers, philosophe,
et :
Hanane Ameqrane, militante féministe lesbienne des quartiers populaires ; Nour Awada, artiste plasticienne ; Marie Bardet, philosophe et danseuse ; Delphine Beauvois, autrice et militante féministe ; Judith Bernard, enseignante et metteuse en scène ; Tithi Bhattacharya, autrice de Féminisme pour les 99% ; Charlotte Brives, anthropologue ; Law Cailleretz, artiste rap queer ; Alice Canihac, militante associative ; Hanan Chan, artiste militante ; Marie Cosnay, écrivaine, traductrice, militante ; Fatima Daas, autrice ; Marie Darah, artiste ; Romy Dematons, autrice, chercheuse de formation, community organizer ; Sarah di Bella, historienne et dramaturge ; Alexandra Dols, autrice, réalisatrice et performeuse ; Camille Escudero, artiste plasticienne ; Gwen Fauchois, activiste lesbienne, ancienne vice-présidente d’Act Up-Paris ; Charlotte Floersheim, anthropologue ; Spoorthi Gangadikar, étudiante ; Sarra Grira, journaliste ; Malika Hamidi, post-doctorante en sociologie, UCL ; Faiza Hirach, Industrial Workers of the World ; Sandra Iché, metteuse en scène ; Julie Jaroszewski, metteuse en scène et chanteuse ; Aurore Koechlin, sociologue et militante féministe ; Sarah Lebailly, activiste féministe ; Capucine Légelle, activiste antiraciste ; Camille Louis, philosophe et dramaturge ; Elli Medeiros, artiste, Lamia Mellal, doctorante en sciences politiques et anthropologie (ULB-KUL) ; Morgane Merteuil, militante féministe ; Jessica Pourraz, anthropologue ; Geneviève Rail, Professeure émérite distinguée, Institut Simone-De Beauvoir ; Milady Renoir, poétesse antiraciste et antisexiste ; Joelle Sambi, poétesse ; Michèle Sibony, militante de l’UJFP ; Dareen Tatour, poétesse palestinienne ; Mirabelle Thouvenot, militante décoloniale ; Graziella Vella, anthropologue ; Audrey Vernon, comédienne ; Sabrina Waz, militante décoloniale, chroniqueuse à Parole d’honneur ; Benedikte Zitouni, sociologue. ●●