POLITIQUE – Parler du suicide des agriculteurs avec sérieux et gravité dans les médias, mais en plaisanter en petit comité. Le contenu d’un enregistrement dévoilé par Libération ce vendredi 4 juin vient quelque peu ternir l’image de l’ardent défenseur de la cause rurale que Julien Odoul a tenté d’imprimer ces dernières années. La tête de liste du RN aux élections régionales en Bourgogne-Franche-Comté, qui estime n’avoir “rien à justifier”, se borne à dénoncer en retour “les accusations mensongères de la presse islamo-gauchiste”, pourtant confirmées par d’autres médias.
En septembre 2019, la question du “bien-être animal” est évoquée lors d’une réunion du groupe RN à la région à laquelle participaient Julien Odoul, Julien Guibert et Jacques Ricciardetti, tous les trois conseillers régionaux du Rassemblement national. Comme le montre le document audio mis en ligne par le quotidien, le thème de la discussion provoque déjà un premier rire dans l’assistance avant que le “bien-être de l’éleveur” ne soit abordé avec davantage de légèreté. Des participants vont alors complètement se lâcher. Jacques Ricciardetti lance sur un ton amusé : “L’agriculteur qui se pend au faîtage de son hangar… doit-il laisser une trace? S’est-il pissé dessus?”, se demande-t-il. “Est-ce que la corde est française ?”, surenchérit Julien Odoul, provoquant l’hilarité chez les représentants du parti lepéniste.
Quelques mois plus tôt, au micro de France Bleu Besançon, Julien Odoul n’avait pas cherché à faire rire l’assistance en évoquant les difficultés du monde agricole. Bien au contraire. Début mars 2019, en plein Salon de l’agriculture, l’élu RN faisait preuve d’une vibrante compassion à l’égard de “ces hommes et ces femmes [qui], pour la plupart, travaillent pour un salaire de misère”. Et de rappeler que chez les paysans “un sur trois touche moins de 350 euros par mois”. “Il y a un agriculteur qui se suicide tous les deux jours. Ce sont eux qui assurent notre indépendance, ce sont eux qui nous nourrissent. Cela mériterait un peu plus de respect et de considération”, plaidait-il.
Le chef de file du RN au conseil régional venait de s’en prendre à “ceux maltraitent les agriculteurs dans le verbe”, et aussi à “ceux qui s’attaquent à des boucheries”, dans une tirade opposant les urbains aux ruraux. Remonté contre “les extrémistes vegans et autres bobos parisiens”, Julien Odoul les amalgamait sans la moindre nuance à “une petite caste de bobos urbains qui considèrent que les agriculteurs maltraitent leurs animaux et pourrissent l’environnement”.
Deux ans plus tard, la révélation de plaisanteries douteuses au sein groupe RN de la région Bourgogne-Franche-Comté contraste avec les élans d’empathie affichés par Julien Odoul. Ironiser dans la (relative) confidentialité d’une réunion politique sur le suicide d’un éleveur, en se demandant si “la corde est française”, n’apparait pas comme le meilleur gage de “respect et de considération” que le conseiller RN réclamait publiquement. Sous couvert d’un humour “patriotique” exprimé en privé, Julien Odoul n’aurait-il pas rejoint par la même occasion le camp de “ceux qui maltraitent les agriculteurs dans le verbe”?
“Je n’ai aucun souvenir de ça. Ce sont des attaques ignobles par la forme, et sur le fond jamais je n’ai pu rigoler d’un suicide”, rétorque Jacques Ricciardetti joint par France 3 Franche-Comté. Si la tête de liste du RN aux régionales en Bourgogne-Franche-Comté a refusé dans un premier temps d’infirmer ou de confirmer la véracité de l’enregistrement publié par Libération, il a dénoncé à son sujet rien de moins qu’une “opération de destruction massive orchestrée par un journal d’extrême gauche”, tout en estimant qu’on cherche à le “tuer médiatiquement”. Il a ensuite évoqué un “montage” et une “manipulation”, et annoncé des plaintes contre Libération et ceux” qui l’“auraient enregistré à (s)on insu”.
“Nous avons eu aussi accès à cet enregistrement. Nous avons reconnu à la rédaction de France 3 Franche-Comté la voix de Jacques Ricciardetti, et à France 3 Bourgogne la voix de Julien Odoul”, expliquaient les éditions de locales du 19/20 diffusées ce vendredi 4 juin. Des rédactions unanimes également pour qualifier de “boule puante” un document sonore ne provenant pas de ses adversaires politiques. “C’est parmi la troupe de Julien Odoul qu’on cherche à avoir sa peau (…) Tout cela vient de l’intérieur”, assurent les deux JT.
Auprès de L’Est Républicain, Julien Odoul a donné une nouvelle version des faits en évoquant une incompréhension autour des propos entendus dans l’enregistrement: “Ce dont parlait Jacques Ricciardetti, c’était du loup qu’il fallait pendre au faîtage de la ferme. Évidemment pas de l’éleveur!”.
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