Rithy PANH – France 2023 1h52mn – avec Grégoire Colin, Irène Jacob, Cyril Guei, Bunhok Lim… Scénario de Pierre Erwan Guillaume et Rithy Panh, d’après le livre d’Elizabeth Becker When the war was over.

Du 26/06/24 au 16/07/24

RENDEZ VOUS AVEC POL POT« Il vaut mieux arrêter dix personnes à tort, qu’en libérer une par erreur. » Pol Pot

On sait que le grand cinéaste Rithy Panh a consacré la majeure partie de son travail à l’évocation du drame qui a endeuillé à jamais le Cambodge, son pays natal – et sa propre vie : le génocide mis en œuvre de 1975 à 1978 par les Khmers Rouges et leur guide suprême Pol Pot contre le peuple cambodgien.
Rithy Panh a depuis près de 30 ans réalisé moult documentaires sur cette période cruelle durant lesquelles ses parents disparurent. Des films qui prenaient le point de vue des victimes, des familles, mais aussi des bourreaux, qu’il mit en scène dans l’incroyable S21, du nom du collège reconverti en centre de torture, ou dans Duch, le maître des forges de l’enfer, portrait saisissant du bras droit et bourreau en chef de Pol Pot.

Ici Rithy Panh aborde la période par le biais de la fiction et sous un angle particulier, celui de l’aveuglement d’une partie de l’Occident – et plus particulièrement des intellectuels de gauche – face au régime khmer rouge. Il s’est inspiré du récit d’une journaliste américaine qui, avec un collègue, a pu bénéficier d’une visite officielle et même d’un entretien exclusif avec « Frère Numéro 1 » – tel que Pol Pot était désigné par ses compagnons de combat. Une visite probablement permise par l’écossais Malcolm Caldwell, intellectuel maoïste proche du régime. Dans le film, les deux visiteurs sont français – une journaliste familière du pays et un reporter photographe – de même que Malcolm Caldwell est devenu un compagnon d’études français de Pol Pot dans le Paris de la fin des années 1950. La visite se déroule en 1978, trois ans après que le Cambodge soit devenu le Kampuchéa démocratique. Le pays est économiquement exsangue et près de deux millions de Cambodgiens ont péri dans un génocide qui ne dit pas encore son nom.
Très vite les trois invités réalisent que les Khmers feront fi de leur éthique journalistique, les gardant en résidence surveillée, choisissant sans consultation leurs interlocuteurs et ne leur laissant aucune liberté de circulation : un véritable circuit balisé au service de la propagande d’état.

Mais malgré tous les efforts de dissimulation des Khmers, l’horreur et la terreur se dévoilent par bribes : dans le regard terrorisé d’un malheureux paysan – plus figurant que réel travailleur – que la journaliste veut absolument interviewer malgré la désapprobation des autorités, ou quand un interprète trop laxiste est embarqué par les gardes pour une destination de toute évidence fatale… Même l’idéologue sympathisant incarné par Grégoire Colin, qui s’arc-boute pourtant à l’image utopique qu’il avait en arrivant, a du mal à résister aux doutes affichés par ses collègues. Et la confrontation finale avec Pol Pot s’annonce ubuesque…

Rithy Panh, à l’image de Jonathan Glazer dans La Zone d’intérêt, distille savamment l’horreur dans nos esprits en jouant sur la suggestion, sur le non montré, sur le non-dit. Et il enrichit sa mise en scène brillante avec l’utilisation des petites statuettes d’argile déjà utilisées dans ses précédents documentaires (en particulier L’Image manquante) ou à travers l’insertion d’images d’archives impressionnantes.

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