Une législation transpartisane prive Airbnb de son avantage fiscal
Plus de quinze ans après son arrivée sur le territoire français, Airbnb voit l’étau de la régulation se resserrer autour de lui. En effet, l’Assemblée nationale a validé, le 7 novembre, une proposition de loi transpartisane visant à encadrer les locations de meublés de tourisme. Deux jours auparavant, le Sénat avait également donné son approbation. Et mardi 19 novembre, cette loi a été promulguée et est désormais en application.
Peu de textes législatifs récoltent une approbation aussi large dans un Parlement politiquement morcelé. Pourtant, que ce soit à gauche ou à droite, la hausse du nombre de meublés de tourisme ne laissait plus personne indifférent.
Les meublés de tourisme, définis par le Code du tourisme comme « l’ensemble des logements destinés à une clientèle de passage qui n’établit pas domicile et y séjourne de manière temporaire, à la journée, à la semaine ou au mois », ne sont pas une nouveauté : dès 1955, la fédération des gîtes de France voyait le jour. Mais la révolution numérique a bouleversé ce marché, avec des acteurs comme Booking, Expedia ou Trip Advisor cherchant à rivaliser avec le géant incontournable, Airbnb.
Une transformation des parcs immobiliers
Depuis l’arrivée de ces plateformes sur le marché des particuliers, le nombre de meublés de tourisme a considérablement augmenté. Aujourd’hui, on estime qu’il en existe 1,2 million en France, soit quatre fois plus qu’en 2016. Pourtant, cette moyenne cache des réalités très différentes selon les communes, où l’on observe des transformations radicales du parc immobilier.
Par exemple, en juin 2021, 30 % des logements du centre historique de Saint-Malo (Ille-et-Vilaine) étaient dédiés à la location touristique ! Cette ville est emblématique, autant par l’ampleur du phénomène que par le combat acharné des élus locaux, souvent isolés dans leur lutte contre les loueurs.
Ces dernières années, la municipalité a adopté des mesures rendant plus stricte la location de meublés de tourisme. Un combat qui l’a même menée, suite à une contestation de bailleurs, jusqu’au tribunal administratif de Rennes – qui, à la mi-octobre, a statué en sa faveur.
Désormais, avec cette nouvelle loi, Saint-Malo ainsi que d’autres communes auront davantage d’appui face aux géants de la location touristique. Ce texte instaure un cadre national plus rigoureux à chaque étape de cette activité économique, en commençant par la phase initiale de mise sur le marché de ces logements.
Les exigences de déclaration de mise sur le marché s’en trouvent renforcées, permettant une meilleure connaissance de la situation réelle du parc immobilier français. Ces informations aideront les maires à agir plus fortement sur le secteur immobilier, par exemple en fixant des limites maximales de meublés de tourisme par zone ou quartier.
Deux lacunes en partie comblées
Pour limiter les effets secondaires liés à cette régulation accrue, la nouvelle loi ne se contente pas de cibler les meublés de tourisme stricto sensu. Elle encadre également davantage la possibilité pour les propriétaires de louer leur résidence principale aux voyageurs. Cette pratique, moins contraignante que la conversion d’un logement classique en meublé de tourisme, demeure autorisée. Cependant, les élus locaux peuvent désormais la restreindre à 90 jours par an, contre 120 précédemment.
Surtout, ce texte remédie à deux importantes lacunes de la législation française, qui incitaient de nombreux propriétaires à privilégier la location de meublés touristiques plutôt que des baux longue durée.
Premier problème partiellement résolu : la différence de traitement en termes de performance énergétique des logements. Jusqu’à présent, les diagnostics de performance énergétique (DPE) nécessaires pour louer un bien étaient plus stricts pour les locations longue durée que pour les meublés touristiques, incitant certains propriétaires de passoires thermiques à opter pour les locations touristiques plutôt que de rénover leurs biens pour le marché traditionnel.
Le texte instaure une convergence progressive des normes. « Cependant, cette harmonisation ne sera pleinement effective qu’en 2034, déplore Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé-Pierre. Jusque-là, il est probable que cette inégalité persiste », observe-t-il.
Le second grand problème, également partiellement traité, concerne la fiscalité. Jusqu’à maintenant, louer un meublé de tourisme à court terme était fiscalement plus avantageux que proposer une location longue durée. Cette fameuse « niche Airbnb » faisait débat chez les législateurs depuis plusieurs années. Pourtant, la crainte de bouleverser ce secteur avait jusque-là freiné toute réforme.
Un soutien accru pour les élus locaux face aux plateformes
La nouvelle loi réduit en partie cet avantage fiscal. Dans les zones où le marché immobilier est tendu, il ne sera plus aussi profitable de louer un meublé touristique, sauf si celui-ci est certifié « classé » (un processus de certification de la qualité du logement par un organisme agréé). Dans un tel cas, l’abattement fiscal pour les revenus locatifs restera plus important pour le propriétaire.
En somme, ce texte représente « une avancée majeure pour encadrer Airbnb, souligne Manuel Domergue. Étant donné le consensus autour du sujet, il est regrettable qu’il ait fallu attendre si longtemps pour qu’une telle mesure soit adoptée. Mais cela reste une source d’espoir : la loi prouve qu’il est possible de construire des majorités transpartisanes pour réguler le marché immobilier lorsque les intérêts des propriétaires ne coïncident pas avec ceux des habitants ».
Le conflit autour des meublés touristiques ne date pas du 19 novembre 2024. Depuis quinze ans, propriétaires et régulateurs cherchent à avoir l’ascendant dans cette bataille. Cependant, l’entrée en vigueur de cette loi marque une étape cruciale : elle dote les communes d’un cadre national plus solide pour poursuivre ce combat.