Devrait-on que l’Inde parle une seule langue ?
En Inde, l’un des pays les plus polyglottes du monde, le gouvernement souhaite que plus d’un milliard de personnes adoptent l’hindi. Un chercheur pense que ce serait une perte.
En Inde, l’un des pays les plus polyglottes du monde, le gouvernement souhaite que plus d’un milliard de personnes adoptent l’hindi. Un chercheur pense que ce serait une perte.
Il est regrettable que certaines réalités persistent. D’après une étude du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc) réalisée au milieu de l’année 2023, 16 % des Français ne consomment pas une alimentation suffisante, tandis que 45 % mangent suffisamment mais sans toujours pouvoir accéder aux aliments désirés.
Les conséquences de l’inflation sur ces manques sont significatives, comme le montre les statistiques des Restos du cœur : en 2022-2023, 18 % de personnes supplémentaires y ont reçu de l’aide par rapport à l’année précédente.
Les banques alimentaires se trouvent en première ligne. L’un de leurs principaux défis est d’augmenter l’approvisionnement en fruits et légumes. Bien qu’elles soient limitées par la composition des stocks invendus de la grande distribution qui leur sont destinés et la logistique plus contraignante des produits frais par rapport aux produits secs, elles bénéficient de l’aide d’organisations de l’économie sociale et solidaire qui se sont engagées à fournir des aliments de qualité aux plus défavorisés.
C’est le cas de Solaal, une association qui regroupe onze antennes régionales (seule la région Nouvelle-Aquitaine est absente) et a été créée en 2013 pour lutter contre la précarité alimentaire et les pertes agricoles. L’association collecte les fruits et légumes auprès des producteurs « lorsqu’ils rencontrent temporairement des difficultés pour vendre leur production », souligne Angélique Delahaye, sa présidente.
Solaal s’occupe ensuite d’organiser le don dans son intégralité, du retrait à l’exploitation jusqu’au transport vers l’association d’aide alimentaire concernée (Restos du cœur, réseau d’épiceries solidaires, Secours populaire, etc.). En dix ans, 35 000 tonnes ont été sauvé de la benne, correspondant à 70 millions de repas.
Depuis quelques années, des récoltes sont également effectuées lors d’opérations de « glanage solidaire » pour des producteurs n’ayant pas pu tout cueillir, pour des raisons techniques ou de calibre. C’est une occasion de créer un lien entre les glaneurs bénévoles – des jeunes du milieu agricole ou des bénéficiaires de l’aide alimentaire – et les agriculteurs.
Ne générant jusqu’à présent aucun chiffre d’affaires, la structure, qui emploie six salariés à l’échelle nationale et quatorze dans ses antennes, dépend des subventions publiques et du mécénat privé.
Elle explore de nouveaux champs d’activité, en offrant la possibilité aux producteurs de vendre certains de leurs produits « à un prix qu’ils déterminent et que nous ne négocions pas », insiste Angélique Delahaye. Une petite part des revenus revient à Solaal, ce qui permet de maintenir la gratuité de la gestion des dons.
De leur côté, les associations d’aide alimentaire achètent les produits grâce aux aides nationales du fonds « Mieux manger pour tous », instauré en 2023 pour améliorer la qualité nutritionnelle des denrées alimentaires d’aide.
A Romans-sur-Isère (26), la conserverie mobile et solidaire, réactivée en 2023 par une nouvelle équipe, a deux ambitions : sensibiliser à la cuisine locale et de saison, ainsi qu’à la lutte contre le gaspillage alimentaire. Pour cela, elle propose des animations dans des maisons de quartier, des centres sociaux ou selon les demandes de la communauté d’agglomération, ainsi que des ateliers de cuisine ou de préparation de conserves en bocaux.
Ce volet « animation » de La conserverie, constituée en société coopérative d’intérêt collectif (Scic) qui implique dans sa gouvernance les salariés, les maisons de quartier et les bénéficiaires, est associé à une activité de préparation de bocaux pour éviter le gaspillage de productions agricoles. Le tout s’effectue grâce à un camion équipé d’un autoclave capable de réaliser 200 bocaux simultanément.
Une fois les bocaux confectionnés et la prestation rémunérée par les agriculteurs utilisant le camion – ils sont actuellement une dizaine à l’utiliser régulièrement – c’est à eux de gérer leur circuit de distribution : paniers pour des associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (Amap), marchés, vente directe, etc.
Cependant, une partie de la production de La conserverie est dédiée aux plus démunis.
« Nous menons des opérations de glanage solidaire avec des bénévoles, puis un processus de transformation collective en bocaux, qui sont ensuite distribués aux associations d’aide alimentaire », décrit Célia Schwaederlé, responsable de l’animation-formation de la structure.
Le but est d’étendre la production. « Nous réalisons des économies d’échelle avec les bocaux : plus nous en produisons, plus les coûts diminuent », admet Célia Schwaederlé. En attendant, c’est en grande partie grâce à l’animation que les trois mi-temps des salariées de La conserverie sont financés, soutenus en outre par des subventions publiques.
A Nantes (44), la branche locale de l’association nationale Vrac s’adresse, quant à elle, aux résidents des quartiers prioritaires de la ville et des logements sociaux, à qui elle propose de faire des achats en vrac, principalement de produits bio. Elle dispose d’environ soixante produits, parmi lesquels des œufs, du fromage, du café, des pâtes, des haricots rouges et, récemment, une offre ponctuelle de fruits et légumes.
Vrac Nantes, avec ses quatre salariés à temps plein, dessert près de 800 foyers sur sept quartiers et collabore avec une vingtaine de producteurs.
« Lorsque nous devons choisir entre le bio et le local, nous privilégions le bio, car l’impact écologique des pratiques agricoles est plus déterminant que celui du transport », explique Guillaume Hernandez, responsable de Vrac Nantes. « Les producteurs qui nous ont rejoints au départ étaient plutôt motivés par un engagement militant pour rendre le bio accessible. Aujourd’hui, nous leur offrons un véritable débouché ! »
L’association fait appel à des dégustations pour se faire connaître auprès des habitants, par le biais de travailleurs sociaux, d’autres partenaires du quartier ou de bailleurs.
Pour les consommateurs, « nous sommes 30 à 40 % moins chers que les enseignes bio. Une boîte de six œufs bio et locaux coûte entre 1,10 € et 2,20 € », donne-t-il en exemple. Le prix constitue également le principal attrait pour les habitants.
« Au départ, lorsque l’on évoque le bio, les habitants sont réticents, pensant que cela est réservé aux ménages aisés en centre-ville », précise-t-il. « Des rencontres avec les producteurs, organisées plusieurs fois par an, permettent à certains de changer d’avis, en découvrant ce que le bio implique en termes de qualité des produits, de conditions de production, mais aussi de travail pour les agriculteurs. »
Ces visites et les ateliers de cuisine orientent les adhérents dans la préparation de plats avec les aliments fournis, mettant l’accent sur la sensibilisation à la nutrition chez Vrac.
En parallèle, l’association a récemment lancé l’expérimentation d’une caisse sociale de l’alimentation, qui est l’application locale des principes de la Sécurité sociale alimentaire, déjà en place à Montpellier, Lyon ou Bordeaux.
L’objectif est de démontrer sur le terrain que l’instauration de ce système, basé sur les mêmes trois piliers que notre système de santé – l’universalité, la cotisation et la convention des produits – peut structurellement répondre à la précarité alimentaire, qui est fondamentalement multifactorielle. Et mérite d’être instaurée à l’échelle nationale. Qu’en pensez-vous ?
POUR ALLER PLUS LOIN :
Le débat « Comment se passer des pesticides sans appauvrir les agriculteurs ?» aura lieu le vendredi 29 novembre à 14 h 30 durant les Journées de l’économie autrement, à Dijon. Consultez le programme complet de cet événement organisé par Alternatives Economiques.
LeLe signal a été donné depuis Bordeaux (Gironde). Le mardi 12 novembre, l’élu écologiste de la ville, Pierre Hurmic, a révélé la mise en place d’une « brigade de soutien et de sécurisation de cinquante membres » au sein de la police locale. C’est une première pour les Verts, qui ont jusque-là résisté à la demande fréquente des oppositions de droite pour armer la police municipale. Le maire justifie cette décision en soulignant que sa ville « n’échappe pas à la criminalité » et à « une délinquance qui devient de plus en plus violente ».
La bataille contre le changement climatique ne pourra se faire sans une diminution des inégalités. C’est avec cette conviction que diverses structures de l’économie sociale et solidaire s’efforcent d’harmoniser la fin du monde et la fin du mois. Le Geres fait partie de cette démarche.
« L’association a vu le jour en 1976 suite au choc pétrolier, fondée par des chercheurs de l’université marseillaise engagés dans des projets d’énergie renouvelable », raconte Hasna Oujamaa, en charge du mécénat et des partenariats au Geres. Ils ont estimé qu’investir dans de tels projets ne devait pas uniquement profiter aux populations aisées et qu’il fallait donner la possibilité aux personnes en situation précaire d’y accéder. »
Le Geres, dont l’acronyme signifie « Groupe énergies renouvelables environnement et solidarité », agit ainsi depuis plus de quarante ans pour honorer cet engagement.
Active dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, essentiellement dans la métropole d’Aix-Marseille, l’association lutte contre la précarité énergétique dans le secteur résidentiel.
« Nous soutenons les ménages afin qu’ils puissent diminuer leurs factures d’énergie et effectuer la transition énergétique de leurs logements », explique Hasna Oujamaa. Cela inclut aussi les habitations soumises aux chaleurs estivales pouvant frôler les 45 degrés. »
Les solutions offertes à ces ménages précaires vont des interventions d’urgence, comme la réparation d’un carreau brisé ou le remplacement d’ampoules incandescentes par des modèles plus économes en énergie, jusqu’à des rénovations plus importantes.
« Nous accédons aux logements afin de mieux comprendre leurs caractéristiques et identifier les points d’intervention, et nous guidons les personnes dans l’accès aux financements publics pour réaliser les travaux », poursuit Hasna Oujamaa.
L’ONG, dont le siège est à Aubagne (13), emploie environ quarante personnes en France, mais a un effectif total de 176 salariés, répartis dans plusieurs bureaux à l’international : Bamako (Mali), Oulan-Bator (Mongolie), Douchanbé (Tadjikistan), Phnom Penh (Cambodge)…
En Mongolie, le Geres a aussi un programme dédié à la rénovation énergétique des habitations. L’ONG applique diverses techniques en s’adaptant aux matériaux localement disponibles et au climat, afin d’identifier les solutions les plus efficaces et acceptées.
« Nous adoptons une approche filière, en essayant de créer un équilibre sur le marché en collaborant avec les banques et les organismes de microfinance, ainsi qu’avec les compétences locales en construction, tout en offrant des formations en autoconstruction et autorénovation », précise Hasna Oujamaa.
Le Geres aborde aussi des enjeux purement énergétiques. Au Bénin, il collabore, par exemple, avec des petites entreprises situées aux abords des villes qui n’ont pas accès à l’électricité, qu’il s’agisse de boulangeries, d’artisans ou de salons de coiffure.
Les solutions peuvent varier : créer une zone d’activités électrifiée en regroupant plusieurs structures, les connecter à un mini-réseau, ou déployer un kit solaire pour produire un peu d’électricité. « L’accompagnement inclut aussi l’aspect économique, car passer à une énergie électrifiée pour un boulanger qui pétrissait auparavant à la main modifie son modèle économique », explique Hasna Oujamaa.
Les bénéfices recherchés ne se limitent pas à l’aspect économique, mais englobent également des dimensions environnementales et sanitaires, car certaines énergies utilisées pour la cuisson peuvent être polluantes et néfastes pour la santé.
Associer des publics en situation précaire à des activités économiques orientées vers l’écologie est une méthode explorée par de nombreuses structures de l’économie sociale et solidaire depuis plusieurs années, notamment dans les domaines de l’insertion et du réemploi. Le projet Ikos à Bordeaux en est un exemple. Cette société coopérative d’intérêt collectif (Scic) regroupe neuf organisations de réemploi solidaire pour créer un village du réemploi.
« Ce projet a vu le jour en 2017 dans l’esprit de cinq directeurs de structures de réemploi solidaire à Bordeaux », raconte Marion Besse, anciennement à la tête de Relais Gironde, qui collecte et réutilise le textile, et aujourd’hui PDG d’Ikos. Nous avons réalisé que nous étions confrontés aux mêmes défis et qu’en nous unissant, nous pourrions y faire face. »
Ces organismes partagent effectivement des locaux souvent restreints, limitant ainsi le volume de produits traités et pouvant altérer les conditions de travail. « À cette époque, nous avons aussi constaté l’émergence d’acteurs du réemploi avec une approche purement commerciale, tels que Vinted ou Leboncoin, et nous avons conclu qu’avec nos structures, nous avions atteint les limites d’un modèle ; que nous avions de nécessaires petites adresses avec des horaires parfois complexes. »
Parmi les neuf structures fédérées aujourd’hui par Ikos, on trouve Le Relais Gironde, Envie Gironde, entreprise d’insertion reconditionnant des appareils électroménagers, Replay, qui retape des jouets, les Compagnons bâtisseurs, qui collectent des matériaux et équipements de bâtiment, Le livre vert, structure d’insertion qui récupère des livres pour les remettre en circulation ou recycler, ou encore la Recyclerie sportive, qui réemploie du matériel sportif.
Après plusieurs années de travail et de recherche, un terrain a été identifié en 2021. Les travaux devraient commencer l’année prochaine, avec une ouverture au public programmée pour le printemps 2027. Ce village Ikos s’étendra sur 12 000 m2, dont 2 000 m2 seront consacrés à une galerie marchande :
« Nous proposerons une offre globale de réemploi, avec presque tous les domaines de consommation pour les particuliers : mode, mobilier, décoration, jouets, électroménager, culture, épicerie antigaspi, articles de bricolage et de jardinage, ainsi que du matériel sportif », avance Marion Bresse.
Ce lieu offrira principalement 8 000 m2 pour stocker et trier, ce qui permettra aux différentes structures de passer d’une capacité de collecte de 8 000 à 13 000 tonnes par an. De plus, il devrait générer 100 emplois nets, portant le total des postes sur le site à 320, dont la moitié seront en insertion.
L’activité de la Scic Ikos, petite structure comptant quelques employés, consistera à animer ce lieu où les structures de réemploi solidaire poursuivront et développeront leurs activités. Cela démontre que ces projets ne sont pas uniquement des alternatives écologiques et sociales, mais également économiques.
Pour aller plus loin :
Le débat « Transition écologique : comment avancer par vents contraires ? », le vendredi 29 novembre à 16 h 30 aux Journées de l’économie autrement, à Dijon. Voir le programme complet de cet événement organisé par Alternatives Economiques.
Il revient. Quatre ans après son tumultueux retrait de la Maison-Blanche, Donald Trump est devenu le 47e président des Etats-Unis. L’homme d’affaires, qui a su rassembler son électorat tout en grignotant des voix chez sa rivale démocrate Kamala Harris, s’installera au bureau ovale en janvier, bénéficiant d’une victoire indiscutable puisqu’il a remporté à la fois le vote des grands électeurs et le vote populaire, contrairement à son premier mandat.
Malheureusement pour les Etats-Unis et surtout pour le reste du monde, son retour en puissance pourrait s’avérer particulièrement nuisible, avec des mesures fiscales inéquitables, des politiques destructrices pour le climat, une guerre commerciale mondiale et des déstabilisations géopolitiques.
De plus, cette fois-ci, Donald Trump devrait bénéficier des « pleins pouvoirs » : le Sénat est déjà acquis à sa cause, la Chambre des représentants pourrait suivre, et un grand nombre de juges lui sont plus favorables qu’entre 2016 et 2020.
Dans ce contexte, nous avons analysé cinq domaines où le retour de Donald Trump devrait être le plus marquant et préoccupant.
Si Donald Trump met en œuvre son programme économique, le déficit budgétaire sera amené à croître… d’approximativement 8 000 milliards de dollars au cours des dix prochaines années ! C’est en effet l’estimation du Committee for a responsible federal budget, un think tank bi-partisan.
Cette aggravation est principalement due à de vastes réductions d’impôts, dépassant les 10 000 milliards, en faveur des plus riches et des sociétés. Elles seraient légèrement compensées par une diminution de certaines dépenses et des recettes supplémentaires générées par la mise en place de tarifs douaniers. Par conséquent, la dette publique américaine pourrait passer de 100 % du produit intérieur brut (PIB) aujourd’hui à plus de 140 % d’ici 2035.
Premier souci : une telle demande de financement devrait entraîner une hausse des taux d’intérêt dans la décennie à venir. Le taux d’emprunt à 10 ans, actuellement aux alentours de 4,5 %, pourrait être amené à diminuer à court terme grâce à la politique monétaire de la banque centrale, qui est en phase de baisse des taux. Cependant, le besoin massif d’argent de Trump devrait plutôt, toutes choses égales par ailleurs, conduire à une montée des coûts d’emprunt (et donc des taux d’intérêt) à moyen et long terme.
Ce problème interne aux Etats-Unis ne se limitera pas à leurs frontières. La dette américaine agira comme un aspirateur sans précédent de l’épargne mondiale. Alors que le reste du monde est déjà endetté et doit investir massivement dans la transition énergétique, l’innovation, la santé et les retraites, sans oublier la défense face à une Amérique qui se replie, la lutte pour l’épargne mondiale sera acharnée. Cela entraînera des tensions financières régulières.
Ces tensions risquent encore de se transformer en crises bancaires, puisque Donald Trump devrait adopter une politique de déréglementation financière ainsi que de fortes pressions politiques sur la banque centrale. Même un Jamie Dimon, le PDG de J.P. Morgan, qui a longtemps soutenu que de bonnes régulations renforçaient la solidité des bilans bancaires, appelle désormais à une baisse des réglementations.
Nul doute que le Royaume-Uni en profitera pour suivre la même voie afin que la City conserve ses avantages compétitifs. De même, les banques du Vieux continent profiteront de la situation pour demander moins de règles.
Deux scénarios apparaissent désormais possibles. Dans le premier, Donald Trump parvient à appliquer son programme. Les Etats-Unis se trouveraient alors dans une situation semblable aux années 1920 et à la crise de 2007-2008, deux périodes marquées par une triple convergence : des inégalités fortes et croissantes, des banques peu régulées, et au final, une crise financière d’ampleur historique.
Dans le second scénario, les Républicains conservateurs en matière de budget freinent les baisses d’impôts que souhaite Trump (par exemple à hauteur de 5 000 milliards de dollars, comme en 2017).
C’est la tendance ressentie chez les analystes de marchés après l’annonce de la victoire de Donald Trump. Selon un adage américain, il pourrait « aboyer plus fort qu’il ne mord ». Mais quand la première puissance économique mondiale mord, même légèrement, elle a tout de même le potentiel de causer des dommages à tout le monde.
Christian Chavagneux
Il est difficile de reprocher à Donald Trump le manque de clarté de ses intentions. Celui qui prendra ses fonctions en janvier prochain a promis un renforcement significatif de la guerre commerciale. Il souhaite porter les droits de douane à 10 % (contre 3 % actuellement) sur tous les produits importés. La Chine, pour sa part, aura un traitement défavorable avec un taux de 60 %.
L’augmentation des droits de douane sur certains produits n’est pas nouvelle, tant les tensions commerciales sont vives depuis des années. Mais le durcissement du protectionnisme américain promis par Donald Trump est d’un tout autre niveau : la dernière fois qu’une telle hausse des tarifs douaniers a été observée aux Etats-Unis remonte aux années 1920.
Si un taux de 10 % peut sembler modeste, il est en réalité très conséquent, sachant que le droit de douane moyen dans le monde est de 3,9 % et qu’aux Etats-Unis, il est même légèrement inférieur (3 %). L’ampleur de la mesure est d’autant plus importante qu’elle touchera tous les pays du monde et tous les produits.
Si les fabricants étrangers et les distributeurs américains ne modifient pas leurs marges, à court terme, ces hausses de tarifs devraient être répercutées sur le consommateur américain. Mais les conséquences ne se limiteront pas aux Etats-Unis, car ce durcissement du protectionnisme de la part de la première puissance économique mondiale risque de bouleverser les flux commerciaux internationaux.
En ciblant très spécifiquement la Chine, avec un taux de 60 %, les exportations de Pékin vers les Etats-Unis devraient mécaniquement diminuer. Une récente étude du Cepii anticipe une réduction de 80 % des exportations chinoises vers Washington si Donald Trump met en œuvre ses promesses. Les capacités de production chinoises étant telles, ce que Pékin n’exporte plus aux Etats-Unis sera vraisemblablement redirigé ailleurs. À commencer par l’Europe, qui pourrait être inondée de Made in China dans ses magasins.
Justin Delépine
Rebelote ! Donald Trump n’a pas seulement été réélu, il a également l’intention de renforcer les inégalités aux Etats-Unis. Son programme économique prévoit déréglementation et baisses d’impôts, les mêmes politiques ayant contribué à enrichir les plus riches et à appauvrir les moins chanceux depuis les années 1980.
Le Républicain va reconduire les réductions d’impôts instaurées en 2017 et arrivant à expiration l’an prochain. Ces allégements fiscaux aux plus riches et aux entreprises n’ont pas eu l’effet d’un « ruissellement » sur la classe moyenne comme il l’affirmait. Le coefficient de Gini, qui mesure les inégalités de revenus, a augmenté après la mise en place de ces réductions d’impôts, atteignant son niveau le plus élevé depuis 1967 avec 0,494 en 2021.
Ce n’est pas de nature à préoccuper l’ancien homme d’affaires, qui veut aller encore plus loin. Il envisage ainsi de faire baisser le taux d’imposition des sociétés. Celui-ci, déjà réduit de 35 % à 21 % en 2017, devrait bientôt passer à 15 %. Le Président promet aussi de nouvelles exonérations fiscales sur le revenu. Des mesures qui bénéficieront uniquement à ceux suffisamment riches pour être imposés.
Selon les calculs du think tank Tax Foundation, cette politique fiscale, couplée à l’augmentation des droits de douane qui alourdira le prix des biens importés, réduira le revenu net des 40 % des Américains les plus pauvres d’ici 2034. Ainsi, les 20 % des ménages les plus pauvres verront leur revenu diminuer de 0,6 %, tandis que le deuxième quintile (les ménages se situant entre les 20 % les moins riches et les 60 % les plus riches) connaîtra une baisse de 0,4 %.
Quant aux 20 % les plus riches, ils devraient bénéficier d’une augmentation de 3,1 % de leur revenu après impôts. De quoi exacerber les inégalités déjà profondes qui prévalent dans ce pays.
Juliette Le Chevallier
« One of the greatest scams of all time » (traduction : « une des plus grandes arnaques de tous les temps ») . Voilà comment Donald Trump qualifie le réchauffement climatique. À quel point donc devrions-nous nous inquiéter de ses perspectives en matière climatique ?
À l’international, Donald Trump a déclaré qu’il ferait à nouveau sortir l’Amérique de l’accord de Paris sur le climat. C’est un coup de tonnerre semblable à celui de 2016, mais amplifié, car l’urgence est telle que tout retard dans les politiques de décarbonation représente une véritable bombes climatique.
À court terme, les négociations de la COP 29 qui débutent la semaine prochaine en Azerbaïdjan, déjà mal engagées, sont plus que jamais compromises. Leur principal enjeu sera d’accroître les financements des pays riches en faveur des nations en développement. Mais si l’acteur mondial principal (en termes d’émissions historiques de gaz à effet de serre) se retire, il sera très compliqué de progresser vers un accord.
Sans financements additionnels significatifs, on craint que les pays émergents et en développement n’acceptent pas d’élever leurs engagements climatiques à court terme. Cela sera d’autant moins probable que les pays riches, à commencer par les Etats-Unis, n’intensifient pas leurs efforts pour diminuer leurs propres émissions de gaz à effet de serre.
De surcroît, l’Europe, dont la détermination climatiques a notablement faibli à cause de la montée des droites dure, pourrait être encore moins encline à maintenir son cap si son concurrent américain choisit de faire un pas en arrière. L’élévation des engagements nationaux (et leur mise en œuvre), au Sud comme au Nord, demeure pourtant une condition essentielle pour s’aligner sur l’objectif vital de rester bien en dessous de 2 °C. Pour référence, les politiques en cours conduisent vers un réchauffement global de + 3 °C.
Sur le plan intérieur, le second mandat de Donald Trump devrait avoir un impact climatique et environnemental bien plus désastreux que le premier. Il est difficile de dire si le nouveau Président va annuler – et dans quelle mesure – les subventions massives accordées aux industries vertes sous Joe Biden dans le cadre de l’Inflation Reduction Act. En effet, ces mesures favorisent le « made in America », ce qui réjouit les dirigeants républicains du secteur. Cet héritage pourrait donc demeurer intact.
En revanche, Donald Trump sera en mesure de modifier considérablement les normes environnementales, bien plus facilement que lors de son premier mandat. Cela pourrait accentuer la prospection et la production de combustibles fossiles, la construction automobile (thermique) et les industries polluantes, ou encore faciliter l’exploitation des centrales électriques à charbon et à gaz.
Au cours de ses quatre premières années au pouvoir, il avait œuvré à supprimer une centaine de réglementations environnementales, dont celles limitant les émissions des véhicules et des centrales électriques. Cependant, ses équipes avaient été confrontées à une fonction publique réticente et à des recours devant la justice fédérale, qui ont souvent annulé ses réformes jugées illégales et mal préparées. De plus, ce qui avait été abrogé sous Trump a pu être facilement rétabli et même renforcé sous Biden.
Depuis, les collaborateurs de Donald Trump ont tiré des leçons de leurs erreurs passées. Ils vont procéder à un nettoyage approfondi au sein des administrations, notamment dans la puissante Agence de protection de l’environnement (EPA) et dans les instances de recherche. Ils s’assureront que les réformes futures soient juridiquement solides et difficilement annulables par la suite.
Donald Trump devrait être soutenu par un congrès désormais majoritairement républicain et par les nombreux juges nommés durant son premier mandat, dont trois à la Cour suprême, qui est majoritairement conservatrice.
Antoine de Ravignan
L’Ukraine endure. Dans son message de félicitations à Donald Trump, le président Volodymyr Zelensky a rappelé que son pays fait « d’un soutien fort, continu et bipartisan » dépendre de l’aide des Etats-Unis. Or, celle-ci pourrait diminuer, le camp trumpiste ayant critiqué à plusieurs reprises la politique de livraison d’armes à l’Ukraine initiée par Joe Biden.
Le candidat Trump a promis de mettre fin à la guerre en moins de vingt-quatre heures, sans préciser comment il s’y prendrait. « Il y a beaucoup d’incertitudes sur ce dossier : pourrait-il trouver un accord avec Poutine ? Va-t-il suspendre les livraisons d’armes ? », questionne Adrien Schu, maître de conférences en science politique à l’Université de Bordeaux.
Cependant, le chercheur souligne qu’entre les Républicains modérés et les Démocrates, le Congrès maintiendra toujours une majorité transpartisane en faveur du soutien à l’Ukraine.
« Cette majorité sera-t-elle suffisante pour contraindre l’action présidentielle ? Pour l’instant, nous ne le savons pas », ajoute-t-il.
Concernant le conflit israélo-palestinien, le milliardaire devrait poursuivre la ligne de son prédécesseur, c’est-à-dire un soutien militaire et politique au gouvernement de Benyamin Netanyahou. Ce dernier s’est réjoui sur X (ex-Twitter) : le retour de Trump à la Maison-Blanche « offre un nouveau départ pour l’Amérique et un réengagement puissant en faveur de la grande alliance entre Israël et les Etats-Unis ».
Bibi – surnom du Premier ministre israélien – sait que le prochain Président ne devrait plus dénoncer la « crise humanitaire » (terme utilisé par les démocrates) à Gaza ni inciter verbalement Israël à faire preuve de retenue, comme l’a fait Biden.
« Lors de son premier mandat, Donald Trump avait entouré de Républicains traditionnels issus de l’establishment. Ceux-ci ne partageaient pas forcément la même vision que lui et ont agi comme des contre-pouvoirs internes. Mais il s’est séparé de ces personnes et la loyauté sera le principal critère pour former sa prochaine administration », ajoute Adrien Schu.
En résumé, Trump pourra décider seul de sa politique étrangère qui semble promettre d’être encore moins atlantiste, moins multilatérale, et davantage axée sur le bilatéralisme et la compétition.
Eva Moysan
Les troubles liés au commerce international vont-ils s’intensifier suite à l’élection présidentielle américaine du 5 novembre prochain ? Donald Trump annonce pour sa part une intensification de la guerre commerciale. Le candidat républicain envisage d’augmenter de 10 points de pourcentage les tarifs douaniers sur tous les produits importés, et de 60 points pour ceux en provenance de Chine.
Cette hausse est significative, sachant que le droit de douane moyen mondial s’établit à 3,9 %. Aux États-Unis, il est même légèrement inférieur, à 3 %. Si le candidat l’emporte, ce durcissement du protectionnisme américain modifierait considérablement les échanges et l’équilibre du commerce international.
Est-ce un point de divergence majeur entre Kamala Harris et Donald Trump ? La candidate démocrate est relativement discrète sur ce sujet et suit globalement les traces de Joe Biden. Durant son mandat, celui-ci n’a guère dévié de l’héritage laissé par Donald Trump, qui avait lancé une guerre commerciale dès 2017, en particulier avec la Chine.
En augmentant les droits de douane sur divers produits stratégiques, le candidat républicain visait à la fois à contrer les déséquilibres commerciaux mondiaux et à réduire le déficit commercial des États-Unis, qui dépendent fortement de l’étranger pour l’approvisionnement en biens.
Il cherchait aussi à réindustrialiser le pays après une période où la part de l’industrie dans l’économie américaine a chuté de 21 % du PIB en 1980 à 10 % aujourd’hui.
« La désindustrialisation des États-Unis résulte en partie des stratégies des entreprises nationales qui, dès les années 1980, ont développé des chaînes de valeur mondiales, en divisant leur processus de production en plusieurs étapes et en externalisant les étapes moins rentables, ce qui a finalement permis d’augmenter la rentabilité des entreprises américaines axées sur l’innovation, » précise Benjamin Bürbaumer, économiste à Sciences Po Bordeaux.
Après son élection, Joe Biden a maintenu les droits de douane élevés par son prédécesseur et a même introduit des augmentations sur certains produits tels que les voitures électriques, l’acier et l’aluminium.
Cette continuité en matière de protectionnisme américain provient de la redéfinition des rapports de force entre les grandes puissances économiques mondiales. La part de la Chine dans les exportations mondiales n’a cessé d’augmenter depuis le début des années 2000, et ce pays a comblé (ou s’apprête à le faire) son retard technologique dans plusieurs secteurs.
En approchant de la pointe de l’innovation, la Chine menace désormais les fondements de la suprématie américaine, incitant Washington à tenter de conserver un écart.
« Les mesures protectionnistes ne limitent pas seulement la circulation du commerce mondial. C’est une façon pour les États-Unis d’intervenir de manière extraterritoriale dans la production chinoise pour tenter de garder durablement la Chine dans une position de retard sur le plan technologique, » analyse Benjamin Bürbaumer.
Car la guerre commerciale est principalement technologique. Donald Trump avait ouvert ce front en 2019 en tentant d’interdire toute collaboration ou commande des opérateurs de télécommunications américains avec Huawei, dans le but d’empêcher la domination de la société chinoise en matière de technologies 5G.
Joe Biden a poursuivi cette tendance en limitant fortement les partenariats des entreprises américaines avec des sociétés chinoises dans les domaines de l’intelligence artificielle et de l’informatique quantique, ainsi que leurs investissements dans ces entreprises.
S’il existe une continuité dans la politique menée par les deux présidents, Joe Biden a toutefois ajouté un aspect de politique industrielle qui faisait défaut dans la stratégie de son prédécesseur. Cette approche s’est concrétisée à travers le Chips Act de 2022, qui vise à stimuler la production de semi-conducteurs aux États-Unis, et l’Inflation Reduction Act (IRA), adopté la même année, combinant des subventions pour les industries américaines de la transition énergétique et des aides à l’achat assorties de conditions de production locale.
Le démocrate n’a donc pas uniquement agi sur le plan fiscal, mais a aussi cherché à orienter et à dynamiser les investissements vers des secteurs jugés stratégiques. Avec un certain recul, quels sont les résultats du protectionnisme américain, notamment l’augmentation des droits de douane ?
À court terme, cette politique entraîne une hausse des prix si le distributeur et le fabricant étranger ne modifient pas leurs marges. Les ménages américains ont donc supporté une grande partie du coût de cette politique. Concernant les déséquilibres commerciaux que Donald Trump souhaitait corriger, on peut observer une dissociation des économies américaine et chinoise.
« Il y a eu une baisse significative de la part de la Chine dans les importations des États-Unis, » précise Sébastien Jean, économiste au Cnam. « Celle-ci est passée de 27 % à 14 %. »
Cela a des répercussions pour le reste du monde. En effet, ce que la Chine n’exporte plus vers les États-Unis, elle l’envoie ailleurs, notamment vers l’Europe. Une intensification de la guerre commerciale en cas de victoire de Donald Trump pourrait exacerber ces impacts.
En ciblant tous les produits et pays, une simple hausse de 10 % sur l’ensemble des pays représenterait une augmentation des taxes de plus de 300 milliards de dollars par an. Comparativement, l’ensemble des mesures commerciales entreprises durant son premier mandat a engendré une hausse de seulement 84 milliards de dollars.
Si le découplage entre la Chine et les États-Unis devrait s’accentuer, Sébastien Jean souligne qu’il est en partie factice :
« Les importations en provenance de Chine ont effectivement diminué, mais comme il n’y a pas eu de réduction du déficit commercial, cela signifie que ce que les États-Unis n’importent plus de la Chine, ils l’importent d’autres pays. Les pays qui ont le plus augmenté leurs exportations vers les États-Unis sont le Vietnam et le Mexique, et eux-mêmes ont largement accru leurs importations en provenance de Chine. »
En d’autres termes, les entreprises chinoises ont en partie contourné les restrictions imposées par les États-Unis en s’installant dans des pays voisins.
Quant au déficit commercial des États-Unis, la guerre commerciale s’avère donc être un échec. Le solde entre les exportations et les importations a même continué de s’aggraver, atteignant en 2023 le seuil symbolique de 1 000 milliards de dollars.
De quoi placer en péril la première économie mondiale ? Paradoxalement, non. C’est l’un des privilèges du dollar, qui permet de soutenir les déficits.
« Quand un pays a un déficit de cette ampleur, cela signifie qu’il dépense plus que ses revenus et qu’il s’endette auprès de l’étranger, » résume Sébastien Jean. « Dans tout autre pays, cela conduirait à une crise, mais grâce au rôle du dollar dans le système financier international, les États-Unis n’ont jamais de difficulté à trouver des prêteurs. »
Sur le plan industriel, « l’impact des politiques de Joe Biden reste difficile à évaluer, » poursuit l’économiste. « On constate une forte augmentation des investissements et des dépenses de construction dans le secteur manufacturier, mais pas encore d’effet sur la production. »
Cependant, ces politiques marquent une inflexion « grâce à leur orientation claire du capital vers tout ce qui concerne l’électronique, l’informatique et les industries vertes – batteries, énergies renouvelables, etc. », ajoute Sarah Guillou, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Dans ce dernier domaine, « l’industrie américaine accusait un important retard. »
Cette faiblesse des États-Unis dans le secteur manufacturier est en partie le résultat de leur force dans le numérique.
« Les facteurs de production (travail, capital) sont limités dans une économie. Pendant des décennies, les États-Unis ont orienté le capital vers le secteur numérique, avec succès, » explique Sarah Guillou. « Cette allocation du capital s’est faite au détriment de l’industrie, mais pas de la croissance. Grâce à ces investissements dans les technologies numériques, les États-Unis disposent aujourd’hui d’une industrie parmi les plus puissantes au monde. »
« La recherche et développement (R&D) permet une appropriation démesurée de la valeur ajoutée du produit fini, » ajoute Benjamin Bürbaumer. « C’est donc le monopole sur la propriété intellectuelle qui constitue la source des revenus des entreprises américaines. »
Le cas d’Apple illustre bien cette dynamique : l’entreprise conçoit des téléphones et délègue leur fabrication, mais c’est elle qui se réserve in fine la majorité des revenus générés par la vente d’un iPhone, au détriment des sociétés qui fabriquent les différents composants ou de celles qui les assemblent. Nvidia, Qualcomm, Broadcom, pour ne citer que quelques autres géants américains des technologies, tirent également leurs profits de leur monopole intellectuel.
« Si la Chine réussit à rivaliser avec la capacité d’innovation des entreprises américaines, le modèle de ces entreprises est menacé, » constate Benjamin Bürbaumer.
Ainsi, qu’importe qui l’emportera lors de l’élection aux États-Unis : les forces qui ont conduit le pays vers une politique protectionniste continueront d’exister. D’une part, Kamala Harris n’envisage pas une diminution des tensions commerciales. D’autre part, Donald Trump promet d’accroître considérablement le niveau de confrontation.
Aucune des deux parties, démocrates ou républicains, n’a contribué à relancer l’Organisation mondiale du commerce (OMC), qui est en stagnation depuis des années, symbolisant un multilatéralisme censé veiller à une résolution collective des conflits.
Roubaix, Nord (59) – Cela fait déjà deux ans que les machines de l’entrepôt de la marque de vêtements Camaïeu, située sur l’avenue Jules Brame, ne résonnent plus. La vaste allée de platanes, autrefois empruntée par les ouvriers pour se rendre au parking, est aujourd’hui oubliée et encombrée de déchets emportés par le vent. Les stocks et les murs ont été cédés à bas prix aux opportunistes tandis que « les employés se retrouvent en difficulté », déplore Sophie (1), les yeux plissés par le vent. Elle a consacré plus de trois ans de sa vie à cette usine textile, recevant la marchandise avant de l’expédier vers les magasins à travers la France. Mais le fleuron roubaisien de la mode féminine, qu’elle a tant chérie, est désormais disparu:
« Ce ne sont pas seulement 2.600 employés qu’ils ont licenciés, mais aussi toutes leurs familles. »
Derrière elle, son compagnon Christophe (1) l’écoute sans l’interrompre. « Pourquoi ressasser le passé ? Mon destin est déjà scellé », semble indiquer son visage triste. Le quinquagénaire laisse sa femme narrer à sa place son parcours en tant qu’employé logistique dans le quartier des Trois-Ponts à Roubaix, son licenciement inattendu en septembre 2022 et, depuis, les multiples rendez-vous à France Travail, où se multiplient les entretiens d’embauche infructueux :
« Nous sommes désormais deux au chômage. Ils ont plongé mon mari dans la galère et nos enfants aussi. »
Les heures de gloire des usines textiles de Roubaix semblent révolues. La Redoute, les 3 Suisses, Damart, et Phildar font partie de ces marques de prêt-à-porter emblématiques de la région. Aujourd’hui, les célèbres « mille cheminées » des manufactures ne fument plus et les enseignes en lettres capitales disparaissent peu à peu des façades de briques rouges. La liquidation judiciaire de Camaïeu marque la fin d’une ère. Les ouvrières – pour la plupart des femmes attirées par cette marque qui leur ressemblait – estiment que cette chute a été précipitée par les manigances irresponsables d’un seul actionnaire : Michel Ohayon, l’ex-propriétaire de l’enseigne, classé 104ème fortune de France en 2022. « Nous étions ses petits playmobils. Le jour où il ne souhaitait plus jouer, il s’est débarrassé de nous pour passer à une autre marque », s’insurge Cathy (1), l’une des leaders de la contestation qui a amené le milliardaire devant les prud’hommes.
La liquidation judiciaire de Camaïeu marque la fin d’une ère. /
Crédits : Archives municipales de Roubaix
« J’espère que chacun d’entre nous réussira à retrouver un travail dans lequel il se sentira bien. Car pour nous, la retraite, ce n’est pas encore pour maintenant », écrit une ancienne employée dans le groupe Facebook « des anciens de Camaïeu ». Ce groupe réunit environ 800 salariés nostalgiques. Depuis la fermeture, les messages de soutien affluent, accompagnés d’offres d’emploi et de conseils juridiques dénichés sur Internet. Cathy a quant à elle transformé son appartement en permanence administrative pour ses collègues aux prises avec les nombreuses démarches suite à leurs licenciements : demandes d’aides au reclassement, inscriptions aux formations et contrats de sécurisation professionnelle, calcul des indemnités… « Pour ma part, je me suis vite relevée. J’avais l’intérim dans le sang. Mais les plus expérimentés ont eu plus de mal à tourner la page », explique la syndicaliste de 40 ans, tirant distraitement sur sa cigarette électronique :
« Certains avaient 30 ans de boîte et ne savaient plus comment rédiger un CV ou une lettre de motivation. »
Aujourd’hui, les célèbres « mille cheminées » des manufactures ne fument plus et les lettres capitales des enseignes ont disparu des façades de briques rouges. /
Crédits : Archives municipales de Roubaix
Cette solidarité a débuté bien plus tôt, se remémore Louisa, une autre ancienne de l’usine Camaïeu. « Nous avons tenu deux mois ensemble devant le siège après l’annonce de la liquidation en 2022. Ceux qui se sont retrouvés seuls chez eux ont sombré dans la dépression. » La sexagénaire a été licenciée après 28 années de service. « Un soir, un ancien collègue m’a même appelés pour dire qu’il envisageait de mettre fin à ses jours », s’émeut-elle.
Plus de la moitié des ouvriers licenciés en 2022 n’auraient pas retrouvé d’emploi. /
Crédits : Captures d’écran de vidéos de l’INA
Un plan de sauvegarde de l’emploi a été mis en place lors de la fermeture de l’enseigne. Une procédure légale, à la charge des mandataires judiciaires, pour éviter de laisser des centaines d’ouvriers sur le carreau. « Dans ce plan, ils souhaitaient absolument me former aux métiers de l’aide à domicile ou de la main-d’œuvre. Ils ne pensaient pas un instant que je pourrais vouloir faire autre chose », se souvient Louisa avec amertume, qui a finalement réussi à obtenir une formation dans le domaine administratif. « Les postes pour le reclassement étaient situés à Toulouse (31), Bordeaux (33), Paris (75) ou Lyon (69) », ajoute Cathy, qui a rejeté les diverses offres qu’elle considère déconnectées de la réalité :
« On nous a demandé de tout quitter pour devenir femmes de ménage ou serveuses dans les hôtels d’Ohayon. »
Elle a finalement décroché un emploi de caissière dans la grande distribution de la ville. Selon la syndicaliste, plus de la moitié des employés licenciés en 2022 n’ont pas retrouvé d’emploi depuis.
Cela fait déjà deux ans que les machines de l’entrepôt de la marque de vêtements Camaïeu ne résonnent plus. /
Crédits : Captures d’écran de vidéos de l’INA
1993. Louisa enchaîne plusieurs petits boulots précaires lorsque son grand-frère lui suggère de tenter sa chance chez Camaïeu. Née en 1984, l’entreprise locale est alors en pleine expansion. « La marque ouvrait sans cesse de nouveaux magasins et jouissait d’une excellente réputation. J’habitais à proximité de l’entreprise, c’était idéal », se remémore l’ancienne employée. Embauchée dès son premier entretien, elle garde de sa carrière les plus beaux souvenirs :
« Nous étions tous solidaires et sur un même pied d’égalité. Quand de nouvelles personnes arrivaient, nous faisions tout pour les accueillir. »
Jean-Pierre Torck, PDG de l’époque, mise sur le circuit court pour contrer les délocalisations, devenues monnaie courante dans le domaine textile. Il résume sa stratégie avec la formule « 80 % de la production dans un périmètre de 300 km autour de Roubaix » – soutenu par les subventions de la municipalité et de la préfecture du Nord. L’homme d’affaires fonde Camaïeu avec trois autres dirigeants de l’empire Mulliez, une famille influente dans le Nord qui possédait déjà plus d’une centaine de magasins Auchan à l’époque. Les quatre jeunes entrepreneurs des années suivant la récession souhaitaient également profiter de la success-story roubaisienne et entendaient « relancer une nouvelle industrie textile » en s’adressant aux femmes de la classe moyenne. Une collection tendance mais accessible, promettant à la clientèle de se vêtir de la tête aux pieds. « Le vrai bonheur est fait de petits bonheurs », résume leur slogan.
En 2008, la marque ouvre 116 nouveaux magasins et enregistre un chiffre d’affaire de 709 millions d’euros. /
Crédits : Captures d’écran de vidéos de l’INA
Le concept fonctionne et Camaïeu connaît son heure de gloire. Rien qu’en 2008, la marque ouvre 116 nouveaux magasins et affiche un chiffre d’affaires de 709 millions d’euros. C’est durant cette période de succès que Cathy rejoint avec fierté la « famille Camaïeu », devenue une icône du prêt-à-porter féminin en Europe. Après un divorce difficile et de nombreuses missions intérimaires, elle signe son premier CDI en tant qu’employée logistique. Avec les 200 salariés de Roubaix, elle est chargée de réceptionner les marchandises, d’emballer les vêtements, de les étiqueter, avant de les envoyer aux magasins. « Je ne souhaitais pas porter des charges jusqu’à ma retraite, mais j’ai rapidement compris que mon poste n’était pas figé. Il n’y avait aucune limite si l’on souhaitait s’investir », se souvient-elle, charmée par cette organisation du travail fondée sur la participation des ouvriers.
Jean-Pierre Torck a fondé Camaïeu avec trois autres cadres de l’empire Mulliez. /
Crédits : Archives municipales de Roubaix
Le début du nouveau millénaire coïncide avec la montée de l’e-commerce. Les dirigeants manquent le coche et le marché est grignoté par Primark, Zalando et d’autres précurseurs de la vente en ligne. Camaïeu accumule les dettes aussi vite que les conditions de travail de ses employés se détériorent. « Lors de chaque réunion mensuelle, nous étions traités comme des lapins de six semaines : un directeur nous assénait des informations tirées du JT pour expliquer les soucis de l’entreprise, avant de nous rassurer », s’énerve encore Cathy :
« Nous aurions pu sauver notre peau en cherchant du travail ailleurs. Mais ils nous ont laissés poireauter jusqu’à la dernière minute. »
En 2012, une grève éclate au siège de Roubaix. Les employés logistiques, souvent obligés de recourir aux compléments RSA pour atteindre le SMIC, exigent une augmentation de salaire. Ils sont soutenus par Eva Joly et Jean-Luc Mélenchon, qui dénonce alors « des prédateurs qui s’enrichissent au détriment de la misère des autres ». Le député fait référence aux 23 millions d’euros de stock-options attribuées en 2008 à l’ancien PDG sortant, Jean-François Duprez. Les salariés obtiennent enfin satisfaction, mais les exigences de rendement demeurent croissantes et la gestion devient agressive. Cathy évoque « des méthodes militaires » :
« Alors, nous mettions ces managers aux machines, les laissions patauger et nous leur demandions : “Alors, c’est qui les patrons maintenant ?” Les terminators, c’est nous qui les avons mis à genoux. »
La combattante se souvient des noms donnés aux anciennes machines de l’entrepôt : Océane, Corail, Calypso, Atlantis… Elle avait même la responsabilité de leur entretien parfois. Pour réaliser des économies, les budgets de maintenance avaient été supprimés…
Le début du nouveau millénaire correspond à l’essor du e-commerce. Les dirigeants voient leur marché grignoté par la vente en ligne. Camaïeu s’endette, les conditions de travail des ouvriers se détériorent. /
Crédits : Captures d’écran de vidéos de l’INA et archives municipales de Roubaix.
2016, Camaïeu cumule une dette d’un milliard d’euros. En 2018, l’entreprise est mise sous sauvegarde par le tribunal du commerce et un mandataire judiciaire est désigné. L’entreprise parvient tout de même à tenir le coup, et les actionnaires continuent à investir, parfois de manière hasardeuse. Camaïeu maintient son image face aux tempêtes : elle est élue en 2017 et 2018 « enseigne de vêtements préférée des Françaises », puis « meilleure chaîne de magasins de la catégorie Mode Femmes ». Les ouvriers de Roubaix refusent de croire en l’effondrement et s’accrochent. « Personne ne s’imaginait que cela puisse vraiment se produire. Jusqu’au bout, les collègues étaient dans le déni », se désole Louisa.
Née en 1984, l’entreprise Camaïeu est à ses débuts en plein essor. /
En mai 2020, Camaïeu est placé en redressement judiciaire : 450 employés sont licenciés, parfois privés d’indemnités pendant plusieurs mois. Au tribunal du commerce, le patron Ohayon se manifeste. Il assure qu’il embauchera tous les salariés et investira 84 millions d’euros pour sauver l’enseigne. Le juge le sélectionne pour le rachat. Un nouvel espoir germe chez les ouvriers. « Au début, nous souhaitions lui accorder notre confiance, il avait mille projets. Et puis, nous avons commencé à ressentir que quelque chose n’allait pas », se remémore Cathy. Louisa ajoute :
« Dès la première réunion, il nous assénait de grands discours. Nous le surnommions : “La vérité si je mens”. »
Le prêt de l’État qu’Ohayon espérait pour relancer l’activité lui est refusé, et les factures continuent à s’accumuler. L’entreprise tente un ultime coup de com’ début 2022 avec une campagne en ligne représentant des femmes victimes de violences conjugales. Accusée de « glamouriser les violences », le bad buzz est immédiat.
La pandémie de Covid-19 aggrave la situation, comme partout ailleurs : jugés comme secteur non essentiel, les 511 magasins du réseau ferment durant le premier confinement. Cependant, les ouvriers de Roubaix ne cessent de lutter, raconte Cathy :
« Dès que nous avons eu la permission de reprendre le travail sur une base volontaire pendant le confinement, nous sommes retournés à l’entrepôt avec des visières et des masques. Nous faisions des journées de 10 heures non-stop. Nous ne voulions pas couler ! »
De son côté, Thierry Siwik, délégué CGT de Camaïeu, tente de solliciter de l’aide auprès du ministre du Travail de l’époque, Roland Lescure. En vain. « Nous avons même présenté un projet de sauvetage de la société avec de nouveaux fonds. Nous avons mis 30 millions sur la table qui auraient pu préserver 1.800 emplois. Ils ont refusé d’en entendre parler », soupire le syndicaliste, qui dénonce une « faillite orchestrée par les actionnaires ». Le 28 septembre 2022, l’alarme retentit. Ohayon fait son apparition au tribunal du commerce avec un plan de continuité bâclé sur une feuille A4. L’entreprise est placée en liquidation judiciaire et les 2.600 employés sont licenciés sur le champ. « On nous a laissé une demi-heure pour vider nos vestiaires. Je n’oublierai jamais les cris de désespoir de mes collègues », s’attriste Louisa.
Le patron Sébastien Bismuth a acquis la marque pour une bouchée de pain. 11 nouveaux magasins consacrés aux collections femmes ouvrent sous une nouvelle identité : « Be Camaïeu ». /
Crédits : Archives municipales de Roubaix et Jeremie Rochas
« Camaïeu va rouvrir ses portes. Un symbole de la France, quoi ! Ils visent à devenir une marque cool, créative, inclusive et surtout moderne », s’enthousiasme Léna Situation dans une vidéo sponsorisée. L’influenceuse aux 4,7 millions d’abonnés sur Instagram a été engagée par le groupe Célio, tout récent propriétaire de Camaïeu, pour annoncer la résurrection de la marque. Le patron Sébastien Bismuth a acquis la marque à bas prix, récupérant les murs et tout le reste. 11 nouveaux magasins dédiés aux collections féminines ouvrent sous une nouvelle identité : « Be Camaïeu ». Mais les centaines d’ouvrières remerciées en 2022 ne font pas partie de l’aventure. Bien que quelques postes aient été proposés dans le nouveau magasin du centre commercial de Lille (59) inauguré fin août, les recruteurs ont rapidement été recalés. « Camaïeu est mort en 2022 avec ses 2.600 salariés, laissez-nous tranquilles », rugit Cathy :
«Aujourd’hui, aucune d’entre nous ne souhaite postuler. Ce sont les valeurs de Camaïeu qui nous attiraient et elles ont disparu. »
Des ouvrières licenciées de Camaïeu racontent la lente mort de la marque, jusqu’à sa résurrection sous la bannière de Célio… sans elles. /
Les anciennes ouvrières ont intenté plusieurs recours aux Prud’hommes pour licenciement abusif. Au tribunal de Roubaix, un petit groupe d’anciens salariés de l’entrepôt est rassemblé derrière Maître Fiodor Rilov, avocat renommé des laissés-pour-compte par les multinationales. Fidèle à son poste, il fait résonner sa voix rauque dans la petite salle d’audience des Prud’hommes :
« Nous sommes là pour faire payer les responsables de cette catastrophe sociale ! »
En février dernier, Cathy et Louisa ont également déposé plainte contre Michel Ohayon pour « abus de biens sociaux », avec 200 autres anciens employés de Camaïeu. Le propriétaire de la holding Financière immobilière bordelaise, qui regroupe plus de 150 sociétés, est accusé d’« un certain nombre d’opérations opaques, anormales et injustifiées » et d’« agissements fautifs », considérés comme « la cause première et déterminante de la faillite de l’entreprise ». En septembre 2021, un trou de 26 millions d’euros dans les comptes de la société avait été mis au jour. « Nous avons compris qu’il utilisait notre travail pour régler les factures de ses autres sociétés pendant que nous travaillions d’arrache-pied pour sauver la boîte », fulmine Cathy. Contactée par StreetPress, la société de Michel Ohayon n’a pas répondu à nos questions. Elle lutte néanmoins pour faire renvoyer l’affaire. Une situation éprouvante pour les ouvrières. Mais Cathy, pleine de détermination, ne compte rien laisser passer :
« Même si ça dure 15 ans, je serai toujours présente. Et si nous perdons, nous lui aurons au moins fait payer les frais d’avocats. »
Les anciennes ouvrières ont engagé plusieurs recours aux Prud’hommes pour licenciement abusif. /
Crédits : Archives municipales de Roubaix
Les prénoms ont été modifiés.
Illustration de Une de Timothée Moreau.
déploient une banderole pour exiger le départ du président Gérard Lopez. Parmi eux, deux figures bien connues de la scène néofasciste bordelaise : Luca C. et Arthur R. Ces deux individus sont membres de la Bastide bordelaise, un groupuscule d’extrême droite responsable de nombreuses agressions à connotation raciste et homophobe.
Depuis la manifestation, Lucas C. et Arthur R. ont été vus à plusieurs occasions dans les rangs des North Gate Bordeaux, portant les t-shirts du groupe lors du rassemblement du 1er septembre, au sein du groupe ultra lors du match de National 2 entre les Girondins de Bordeaux et les Voltigeurs de Châteaubriant le 21 septembre, ou face aux Normands d’Avranches le 19 octobre. Ancien membre de Génération Z, mais également des royalistes de l’Action française Bordeaux, Luca C. est l’un des fondateurs de la Bastide bordelaise. Recrue plus récente, Arthur R. a rejoint les néofascistes aquitains grâce à des sessions d’entraînement aux arts martiaux organisées dans les parcs de Bordeaux, avant de commencer à servir comme porte-banderole pour le groupuscule en 2023.
Lucas C. au centre du groupe ultra lors du match de National 2 entre les Girondins de Bordeaux et les Voltigeurs de Châteaubriant le 21 septembre dernier. /
Crédits : DR
Directement issu de Bordeaux nationaliste, dissoute en février 2023 pour son « idéologie xénophobe » et ses « appels à la haine et à la violence », la Bastide bordelaise a un historique lourd. Sous l’étiquette Bordeaux nationaliste, plusieurs de ses membres ont été condamnés pour des violences perpétrées en juin 2022 lors d’une attaque raciste dans le quartier Saint-Michel. Ce même mois, ils avaient également lancé une attaque contre la marche des fiertés locale. Les militants sont également responsables de l’assaut d’une conférence des députés LFI Louis Boyard et Carlos Martens Bilongo à l’université de Bordeaux en décembre 2022. Et en juin 2024, un membre de la Bastide a attaqué un bar antifasciste à Rome en compagnie d’autres néofascistes français.
Arthur R. parmi les rangs des North Gate Bordeaux durant le match du 21 septembre dernier. Il a intégré les néofascistes aquitains via des entraînements aux sports de combat organisés dans les parcs de Bordeaux, avant de commencer à apparaître comme porte-banderole pour le groupuscule courant 2023. /
Crédits : DR
Le grand public a surtout découvert la Bastide bordelaise lors de la candidature de son dirigeant, Yanis Iva, aux élections législatives anticipées de juin 2024. Ce dernier, déjà condamné pour les violences de l’été 2022, avait orné son tract d’une croix celtique, symbole néofasciste, et proclamait vouloir donner « une bonne droite à la gauche » comme slogan de campagne.
Un autre membre de la Bastide, Enzo Lebrun, condamné pour les violences dans le quartier Saint-Michel en juin 2022, publie des photos avec Arthur R. sur ses réseaux sociaux arborant un sweat-shirt du Kop of Boulogne, l’ancienne tribune du Paris Saint-Germain, aujourd’hui associée aux néonazis hooligans de la capitale.
Lucas C. est un ancien activiste de Génération Z, ainsi que des royalistes de l’Action française Bordeaux. Il est aussi un des fondateurs de la Bastide bordelaise. /
Crédits : DR
Les groupuscules d’extrême droite cherchent souvent à s’infiltrer dans les tribunes ultras, avec plus ou moins de réussite. Un ancien membre de Bordeaux nationaliste, Tristan Arnaud, a notamment joué un rôle crucial dans la transformation d’une partie des tribunes de Clermont-Ferrand vers l’extrême droite, à travers un groupe hooligan informel, la Brigade Arverne. Luca C., Arthur R. et les autres néofascistes de la Bastide bordelaise cherchent-ils à s’implanter dans les tribunes des Girondins avec le même objectif que Tristan Arnaud à Clermont-Ferrand ?
Contactée, la North Gate Bordeaux (NGB) n’a pas répondu à nos demandes. Fondée en mars 2023, située dans le virage Nord du stade dans le bloc 58, ce jeune groupe s’est formé alors que les Girondins rencontraient d’importantes difficultés sportives. La NGB s’est également constituée à la suite d’une scission avec les ultras historiques de Bordeaux, les Ultramarines, à propos de différends concernant le pass vaccinal et les relations de ce principal groupe de supporters avec la direction du club. Selon nos informations, certains de ses membres proviendraient d’anciens groupes hooligans bordelais. Parmi eux, la Meute, un groupe actif entre 2011 et 2012, suspecté de vouloir infuser des idées d’extrême droite dans le stade et disparu suite à l’interdiction de stade infligée à la plupart de ses membres. La North Gate est actuellement en conflit ouvert avec les Ultramarines, réputés notamment pour leurs positions antiracistes, comme l’a rapporté le média Rue89 Bordeaux. Contactés, ces derniers ont informé StreetPress qu’ils ne souhaitaient pas « répondre sur ce sujet ». Les deux groupes ont déjà eu plusieurs altercations, en février et mars 2024 en particulier.
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