Devrait-on que l’Inde parle une seule langue ?
En Inde, l’un des pays les plus polyglottes du monde, le gouvernement souhaite que plus d’un milliard de personnes adoptent l’hindi. Un chercheur pense que ce serait une perte.
En Inde, l’un des pays les plus polyglottes du monde, le gouvernement souhaite que plus d’un milliard de personnes adoptent l’hindi. Un chercheur pense que ce serait une perte.
Oxfam a déclaré dans un rapport, publié juste avant la dernière conférence mondiale sur le climat, que le budget carbone mondial serait épuisé en moins de deux jours si l’ensemble de la population vivait comme les 50 individus les plus riches du monde. Les plus pauvres seraient les premières victimes du réchauffement climatique.
Cécile Duflot, directrice générale d’Oxfam France, souligne que l’engagement des ressources nécessaires pour réaliser le « zéro carbone » et éviter une situation ingérable passe par la lutte contre les inégalités qui alimentent la pauvreté. C’est une question à la fois économique et éthique, et désormais politique, avec la montée du débat sur la taxation des riches sous la pression des mouvements citoyens.
Augmenter les impôts des plus riches, tant pour les ménages que pour les entreprises, marque une rupture avec la politique menée en France depuis 2017. Oxfam en rêvait, la droite le réalise-t-elle ?
Cécile Duflot : Si cela se produit, c’est sous la contrainte d’une situation budgétaire désastreuse, conséquence des choix opérés au cours des sept dernières années, notamment les coupes drastiques dans les dépenses publiques, tout cela sans obtenir de résultats économiques satisfaisants. « Je n’exclus pas plus de justice fiscale » avait déclaré Michel Barnier avant d’annoncer son budget. Cette déclaration est presque d’ordre psychanalytique : elle révèle en creux l’injustice de notre système fiscal et le fait que des limites ont été atteintes.
D’autres rapports, en plus de ceux d’Oxfam, montrent que la politique appliquée jusqu’à présent a particulièrement avantagé les plus riches. L’Insee a récemment publié son rapport 2024 sur les revenus et patrimoines des ménages : sur deux décennies, le patrimoine des 10 % des Français les moins fortunés a été divisé par deux, tandis que celui des 10 % les plus riches a doublé. De nombreux signaux convergent depuis un certain temps vers la nécessité de les taxer davantage, notamment pour financer la transition urgente des énergies fossiles, comme le souligne le rapport Pisani-Mahfouz, entre autres.
Ainsi, ce changement fiscal était inévitable. Faut-il féliciter Michel Barnier ? Non, car c’est bien trop insuffisant. Son projet de loi de finances a prévu 20 milliards d’euros de recettes, dont 10 milliards provenant des très grandes entreprises et des très grandes fortunes, de manière exceptionnelle.
Quel niveau de recettes et de dépenses est nécessaire pour répondre aux enjeux sociaux et environnementaux ?
C. D. : Avant d’aborder le budget 2025, nous avons actualisé notre manifeste fiscal, qui est juste, vert et féministe. Nous pensons que la France pourrait générer 101 milliards d’euros de recettes supplémentaires – et non 20 – notamment grâce à une fiscalité écologique cohérente et la taxation des superprofits et des grandes successions. Et cela devrait être fait pour restaurer et améliorer les services publics, réduire les inégalités et effectuer les grands investissements nécessaires pour réussir la transition écologique… sans aggraver le déficit public.
Plus de 100 milliards d’impôts supplémentaires : êtes-vous en phase avec la réalité ?
C. D. : Le principe de réalité impliquerait d’abord d’intégrer le coût de l’inaction climatique dans nos réflexions sur les impacts économiques du budget. Pendant cette interview, des crèches et des écoles sont fermées dans les Alpes-Maritimes à cause des inondations. Cela a un coût, et ce n’est que le début des conséquences si nous poursuivons dans cette direction. J’aimerais que les discussions budgétaires deviennent un moment où le principe de réalité s’impose dans le débat public.
Les Français vous suivraient-ils pour de telles augmentations d’impôts ?
C. D. : C’est une proposition que nous soumettons au débat. Nous ne pensons pas qu’il faille uniquement demander un effort aux riches, mais plutôt établir des prélèvements proportionnés aux capacités de chacun. Dans notre manifeste, nous affirmons que les ménages gagnant, par exemple, moins de 2 500 euros nets pour une personne seule ou 5 000 pour un couple sans enfants ne seraient pas concernés, soit 70 % de la population.
Bien entendu, il est possible de ne pas être d’accord avec toutes ces propositions, mais est-ce un sujet de débat ? Ce qui compte, c’est de faire émerger des idées communes sur la base d’une large concertation. C’est ce que nous faisons avec l’Alliance écologique et sociale et le Pacte du pouvoir de vivre, qui rassemblent un large éventail d’organisations de la société civile.
À cet égard, je suis fière du rapport que nous avons publié cet automne sur les super-héritages. C’est un brise-glace sur la banquise idéologique qui paralyse le débat public. De nombreux parlementaires ou médias insistent sur le fait qu’une augmentation de la fiscalité sur les successions nuirait aux Français et que ces derniers s’y opposent with force. En réalité, neuf Français sur dix n’ont pas à payer de droits de succession. Ce discours protège surtout les 1 pour 1 000 qui héritent d’une moyenne de 13 millions d’euros.
Nous avons effectué un test : si l’on demande aux individus « Etes-vous pour une augmentation des droits de succession ? », ils répondent non. Mais si l’on pose la question suivante « Etes-vous pour une augmentation des droits de succession pour ceux qui reçoivent plus de 13 millions d’euros ? », alors ils répondent oui.
Vous prônez des dépenses quoi qu’il arrive ?
C. D. : Non. L’efficacité de la dépense publique est essentielle. Cependant, je pense que cette critique souvent adressée à la gauche doit être retournée. Par exemple : accorder une réduction de 15 centimes sur le carburant à la pompe, comme l’a fait le gouvernement début 2022, est-ce une dépense judicieuse ? Cela subventionne les émissions de CO2 et profite de manière indiscriminée à la personne qui part en vacances dans son SUV et à celle qui prend sa petite voiture pour se rendre au travail.
D’accord, mais que répondez-vous à ceux que vous qualifiez de « gens sérieux » qui soulèvent le niveau déjà élevé de la dépense publique et la charge de la dette ?
C. D. : Concernant la dette, j’ai déjà évoqué la nécessité d’augmenter les recettes pour accroître les dépenses, ainsi que notre aveuglement face aux coûts de l’inaction climatique. Notre politique budgétaire souffre toujours du même problème : la vision à court terme. C’est devenu dramatique. Nous aurions besoin d’une loi de programmation des dépenses pour la transition écologique aussi solide que notre loi de programmation militaire.
En ce qui concerne le niveau des prélèvements obligatoires, l’objection n’a pas de sens. Il est essentiel de regarder ce qu’ils financent. Dans notre situation, il s’agit principalement des retraites, de la santé, de l’éducation… Si vous privatisez ces services : cela réduira les prélèvements obligatoires, mais ce ne sera que transférer ces dépenses aux ménages, entraînant une diminution d’accès à des services de qualité et une augmentation des inégalités, comme aux États-Unis ou dans les pays du Sud.
Lorsque, grâce à l’impôt, vous avez accès gratuitement aux services de base tels que l’éducation et la santé, c’est très différent que de devoir tout payer vous-même. La lutte contre les inégalités passe aussi par le développement des services publics.
Le plaidoyer d’Oxfam contre les inégalités au Nord, au Sud, et entre les deux, a-t-il des résultats ?
C. D. : Au début des années 2000, le discours des agences d’aide au développement se concentrait sur la lutte contre la pauvreté. Évoquer les inégalités mondiales et les inégalités, en tant que facteurs sous-jacents à la pauvreté, était réservé aux contre-sommets altermondialistes. Puis les inégalités sont devenues le thème du G7 en 2019 à Biarritz. Cela témoigne de l’impact de cette question sur le débat public. Oui, la lutte mondiale contre les inégalités dans laquelle nous sommes engagés, comme d’autres, a fait avancer les discussions.
Dans cette lutte, je pense que notre rapport sur les inégalités, publié chaque année depuis 2014 à l’occasion du forum de Davos, a joué un rôle clé. Winnie Byanyima, l’ancienne directrice internationale d’Oxfam, avait eu cette idée astucieuse : « Allons parler là où se regroupent les plus riches. » Cela a été efficace. Depuis, de nombreux travaux, y compris des études menées par la Banque mondiale ou le Fonds monétaire international, ont prouvé que pour réduire la pauvreté, il est impératif de combattre les inégalités. Et inversement, quand les inégalités se creusent, la pauvreté s’aggrave, comme le montre la situation actuelle en France.
Vous avez gagné des points dans la bataille intellectuelle. Et en termes pratiques ?
C. D. : Je constate des évolutions, notamment dans l’aide publique au développement. Les programmes de l’Agence française de développement, qui risquent d’être affectés par des coupes budgétaires, tiennent désormais compte de ces enjeux mieux qu’auparavant.
Un autre exemple : la taxation des plus riches. En France, c’est clairement un sujet qui prend de l’ampleur, comme le montrent les discussions autour de la loi de finances. Cela figure également à l’ordre du jour du G20. Bien que cela n’ait pas encore été concrétisé, rappelons que le G20 a progresser sur les paradis fiscaux et l’idée d’établir un minimum de base imposable, alors qu’auparavant cela était considéré comme une idée d’activistes altermondialistes.
Le plaidoyer, en d’autres termes, l’action politique, est-il la suite logique d’une activité initialement cantonnée à l’humanitaire ?
C. D. : Non, et c’est ce qui rend l’histoire d’Oxfam fascinante : les actions sur les conséquences ont toujours été liées à celles sur les causes. L’Oxford Committee for Famine Relief a été créé en 1942 en Grande-Bretagne. À l’époque, un blocus allié sur les îles grecques affame plus la population civile que les nazis. Des enseignants et des étudiants d’Oxford collectent des fonds pour fournir médicaments et nourriture par le biais de la Croix-Rouge. Mais simultanément, ils interpellent les autorités et parlementaires britanniques pour qu’ils changent de cap. L’assistance humanitaire à Gaza ou les projets de développement soutenus par Oxfam dans différents pays s’inscrivent dans cette même logique : solidarité sur le terrain mais également pression politique.
Notre engagement envers les causes et pas seulement les résultats nous a, au fil des années, amenés à nous pencher sur les inégalités. Par la suite, nous nous sommes également intéressés à la question climatique, reconnaissant que tous nos efforts pour lutter contre la pauvreté, en particulier le soutien à l’agriculture familiale dans le Sud, seront écrasés par les conséquences du changement climatique. Ces deux enjeux, inégalités et climat, sont indissociables et au cœur du combat d’Oxfam, comme le résume notre slogan : « Future is equal ».
Le débat politique se polarise davantage autour de l’immigration que de l’urgence climatique. Comment dialoguer avec ceux qui craignent pour leur emploi et souhaitent fermer les frontières ?
C. D. : En leur exposant la vérité. La réalité est que la grande majorité des migrations se font localement : à l’intérieur même d’un pays ou dans la région. En ce qui concerne les migrants internationaux, il faut leur rappeler que beaucoup travaillent, légalement ou non. Ils prennent le risque d’émigrer loin parce qu’ils voient des perspectives d’emploi. En fait, ils occupent des emplois que les nationaux refusent : aides-soignants, ouvriers agricoles ou du bâtiment. Sans eux, combien de restaurants à Paris seraient encore en activité ? Ils ne nous prennent pas d’emplois, mais contribuent à l’économie de nos pays vieillissants. Et enfin, il faut leur rappeler que l’accueil et l’asile sont des valeurs fondamentales de notre République.
Inversement, il est important de leur faire comprendre les répercussions négatives de notre politique de restriction des visas. Prenons l’exemple récent du Maroc. Cela a créé des tensions avec les Marocains, notamment ceux qui ont étudié en France et entretiennent des liens d’amitié ici. Les empêcher de venir passer leurs vacances chez nous est insensé. Le Maroc compte de nombreux francophones qui n’ont plus la même affinité avec la France.
Alors que nous sommes un petit pays et que nous avons besoin du monde entier, nous sommes en train de nous isoler. Ce n’est pas en nous enfermant que nous allons prospérer. Nous sommes forts lorsque nous sommes en mesure d’exporter et d’échanger.
Le fossé Nord-Sud se creuse-t-il alors ?
C. D. : Plusieurs mouvements convergent. Il existe des synergies « civilisationnelles », avec la diffusion rapide des images et des idées via Internet, les avancées dans l’émancipation des femmes, la montée en puissance des organisations de la société civile et l’exigence de démocratie dans le Sud.
En parallèle, un fossé se creuse effectivement, pour diverses raisons : le durcissement des politiques migratoires, la crise climatique, dont les effets sont plus sévères dans les pays les moins responsables, et un sentiment d’inégalités dans la gestion des conflits, comme le montre la situation actuelle en Ukraine et à Gaza… Cela donne naissance à un « Sud global » qui exige des comptes au monde occidental, non pas en termes de charité, mais de justice et de responsabilité.
Quelles conséquences opérationnelles cette émergence d’un « Sud global » a-t-elle pour une organisation comme la vôtre ?
C. D. : Une décolonisation des mentalités et des pratiques est en cours. Il y a dix ans, le siège d’Oxfam international a été déplacé à Nairobi. Les cadres expatriés sont remplacés par des personnes d’origine nationale. Chaque structure nationale d’Oxfam contrôle sa propre communication, il fut un temps où un rapport sur le Rwanda était rédigé à La Haye. Ce n’est pas encore parfait, mais en termes de financement, d’organisation interne ou de réflexion collective, nous progressons vers un avenir qui est l’égalité.
POUR ALLER PLUS LOIN :
Le grand entretien avec Cécile Duflot le samedi 30 novembre à 11 h 30 aux Journées de l’économie autrement, à Dijon. Voir le programme complet de cet événement organisé par Alternatives Economiques.
Précurseur en 1944 de la politique économique et sociale mise en place après la guerre, le programme du CNR continue de donner des idées pour lutter contre les dégâts sociaux et environnementaux du capitalisme actuel.
À Porto Rico, colonie des États-Unis depuis plus de 120 ans, un air de changement se fait ressentir. El Hangar apporte sa pierre à l’édifice, en joie et en musique.
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Il est facile d'accuser les algorithmes d'étouffer la créativité, mais les designers de tous bords devraient exploiter leurs capacités multidisciplinaires.
Extrait du site www.france.tvLe plateau du débat télévisé de France 2 consacré au documentaire “Décolonisations, du sang et des larmes” réalisé par Pascal Blanchard et David Korn-Brzoza et diffusé le 6 octobre, avec l’historien Benjamin Stora, la philosophe Nadia Yala Kisukidi, la comédienne Anaïs Pinay, l’ex-secrétaire d’État Kofi Yamgnane, les autrices Leïla Slimani et Léonora Miano. Mardi 6 octobre dernier, en prime time, France Télévisions a diffusé un documentaire consacré aux décolonisations et à la fin de l’Empire français. S’en est suivie une discussion avec des personnalités regroupées autour de l’historien Benjamin Stora, spécialiste reconnu de la guerre d’Algérie. On pouvait en attendre le fameux débat promis par le président Macron. Mais quelle fut ma surprise lorsque j’ai découvert que les invités sur le plateau étaient tous du même avis sur les points polémiques de cette histoire. J’en dénombre trois. Première idée reçue, la colonisation aurait été une époque d’absolue barbarie puisque, selon Kofi Yamgnane, elle découlerait de l’esclavage. La France, n’étant rien sans un empire colonial, aurait eu besoin de “créer l’esclavage sur place”. Personne pour contrebalancer ce point de vue. Au contraire, tous ont expliqué que le président Macron devait assumer ses propos quand il était candidat, affirmant que la colonisation était un crime contre l’humanité et que la France devait des excuses. En deuxième lieu, Benjamin Stora a développé l’idée que la décolonisation s’est faite au nom des principes universels de la Révolution française, relayant ainsi les discours des leaders indépendantistes étrangers. Or cet argument ne tient pas puisque ce sont au contraire les révolutionnaires français eux-mêmes qui ont inventé la guerre messianique de conquête censée exporter le progrès des Lumières. La France de 1792 déclara la guerre à l’Europe avec le projet d’émanciper les peuples sous le joug de despotismes religieux et politique. L’universalisme révolutionnaire a…
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