L’élection américaine déchire BookTok
Une des sous-cultures emblématiques de TikTok est de discuter pour savoir si les livres sont politiques, de « mettre sur liste rouge » des auteurs et de chercher des conseils dans la fiction spéculative.
Une des sous-cultures emblématiques de TikTok est de discuter pour savoir si les livres sont politiques, de « mettre sur liste rouge » des auteurs et de chercher des conseils dans la fiction spéculative.
Le président élu Donald Trump a annoncé qu’Elon Musk dirigera un nouveau Département de l’efficacité gouvernementale des États-Unis (“DOGE”).
La victoire de Donald Trump face à Kamala Harris lors des élections présidentielles américaines, ainsi que celle des républicains « MAGA » (« Make America Great Again ») plus extrêmes que jamais contre le parti démocrate au Congrès suscite de nombreuses interrogations : pourquoi les démocrates ont-ils été abandonnés par les « blue collars » d’Amérique alors que Joe Biden avait mis en place une politique censée répondre à leurs besoins économiques ? Quelles répercussions l’inflation a-t-elle eu sur la vie quotidienne des classes populaires ? Quels impacts a générés la propagande identitaire des républicains ?
Autant de points de réflexion pour la gauche française alors que l’échéance de la prochaine élection majeure approche dans moins de trois ans, à moins que d’autres élections ne se précipitent avant. Premières pistes de réponses avec Lucie Castets, que les dirigeants du Nouveau Front populaire souhaitaient voir devenir Première ministre, et qui se veut le « trait d’union » entre les différentes composantes.
Donald Trump a non seulement remporté l’élection présidentielle, mais a également gagné le vote populaire, le Sénat et potentiellement la Chambre des représentants. Quelles sont vos réactions face à cette défaite significative du parti démocrate et quelles leçons peut-on en tirer pour la gauche française, qui a également perdu une grande partie des voix des classes populaires ?
Lucie Castets : À mon avis, ce qui est le plus marquant dans la victoire de Donald Trump, c’est l’écart de voix avec Kamala Harris, qui dépasse les cinq millions à l’heure actuelle. Cela devrait nous interroger en France, non seulement à gauche mais également pour l’ensemble du camp démocrate, car aux États-Unis, ce parti va bien au-delà de la conception de la gauche que nous avons ici. De plus, le trumpisme semble peu résonner de ce côté-ci de l’Atlantique, et de nombreux électeurs de droite, y compris du Rassemblement national, exprimaient le souhait de voir Harris l’emporter sur Trump !
Une des clés de ce résultat réside dans les classes populaires, qui ont été désapprises à défendre leurs intérêts économiques en étant mobilisées sur des peurs morales largement construites. Cela a permis à Donald Trump de s’imposer dans la « rust belt », où les ouvriers, majoritairement des hommes blancs de la classe moyenne, ont opté pour le vote républicain.
Cependant, je ne pense pas qu’il faille renoncer aux mobilisations sur des questionnements sociétaux, car celles-ci sont nécessaires pour combattre ces peurs morales, mais il est essentiel de recentrer nos discussions sur les enjeux économiques, les intérêts de classe. Quels intérêts sont actuellement lésés par les politiques publiques en cours ? Qui a tout à gagner d’une politique fiscale plus redistributive ? Qui profiterait de politiques industrielles et écologiques plus audacieuses ?
Il est impératif de replacer ces enjeux économiques et sociaux au cœur de nos débats politiques, en mettant notamment en avant les intérêts des classes populaires.
Les démocrates auraient pu jouer un rôle prédominant sur ces thématiques économiques et sociales. Ils auraient donc dû orienter leur campagne dans cette direction.
Les Démocrates avaient pourtant un bilan économique solide, grâce à la relance initiée par Joe Biden pour répondre aux aspirations de la classe moyenne : réindustrialisation via d’importants investissements, protectionnisme, réduction du chômage…
L. C. : Bien que Joe Biden ait connu un succès économique réel, il a beaucoup souffert de l’inflation, contre laquelle il a pourtant lutté avec une certaine détermination. Cependant, pour les Américains défavorisés, cette inflation a duré trop longtemps et a été suffisamment violente pour qu’ils aient du mal à reconnaître qu’ils se trouvent dans une position meilleure aujourd’hui qu’il y a quatre ans, à la fin du dernier mandat de Trump.
En conséquence, le récit démocrate a été contrecarré par l’offensive identitaire des républicains, avec le discours très viril de leur candidat, qui demeure par ailleurs assez creux. À la fin de la campagne, il était toujours flou sur ses véritables intentions. Cela a fonctionné parce que le débat a été détourné des enjeux réels, comme celui de la répartition des richesses générées par l’économie.
Donald Trump a centré sa campagne sur la lutte contre l’immigration. En France, l’extrême droite ainsi que les droites en général investissent également ce thème. La question de l’immigration est évidemment instrumentalisée, mais elle trouve néanmoins un écho auprès des électeurs populaires. Comment, au cours des deux prochaines années, le NFP peut-il l’aborder ?
L. C. : En 2019 – ce n’est pas si loin –, lors du Grand Débat post-gilets jaunes, pratiquement aucune contribution manuscrite des cahiers de doléances n’évoquait l’immigration ou la sécurité, contre 16 % sur la transition écologique, et énormément de propositions relatives à la fiscalité, y compris le rétablissement de l’ISF. Vincent Tiberj, dans son récent ouvrage sur la prétendue « droitisation de la France », a démontré comment le gouvernement Macron-Borne avait construit une demande fictive venant de l’opinion populaire pour justifier sa loi immigration-intégration [promulguée en janvier 2024, NDLR]. La récente enquête du CESE montre que la préoccupation principale des Français demeure la santé, loin devant les questions migratoires.
Effectivement, l’immigration est bien instrumentalisée, comme en témoigne déjà la préparation de la prochaine loi Retailleau, qui ne proposera pas de véritables solutions. Son principal objectif semble être d’augmenter les taux de retour des migrants sous obligation de quitter le territoire français (OQTF), alors même qu’on sait qu’il y a peu de marge de progression à ce niveau, la France se situant déjà en tête du nombre de reconduites…
Pourtant, je pense que la gauche n’aborde pas suffisamment la question de l’immigration, ne met pas assez en avant ce qu’elle apporte à l’économie française, même en prenant appui sur l’exemple paradoxal de Giorgia Meloni, qui, après avoir été élue avec la promesse d’expulser les migrants au-delà de la Méditerranée, a changé de discours sous l’influence du patronat italien qui a révélé que certains secteurs de l’économie ne pourraient fonctionner sans travailleurs immigrés. Les patrons français de la restauration ou du bâtiment affirment d’ailleurs la même chose.
Nous devons avoir un discours de vérité et établir une politique migratoire claire. Une politique concertée doit se construire en tenant compte de la réalité actuelle, car même avec un taux de chômage de 7 %, certains secteurs – restauration, bâtiment, services à la personne – dépendent des immigrés ; et il est essentiel de considérer l’avenir, car nous savons que notre démographie évolue et que nos besoins en main-d’œuvre vont croître.
Mais la politique migratoire actuelle est insatisfaisante et son résultat le plus évident est la présence de migrants sans-abri qui attendent que l’administration prenne en compte leur situation…
L. C. : C’est un enjeu qu’il est crucial d’aborder, en commençant par rétablir une politique d’accueil digne de ce nom. Nous observons actuellement des personnes qui, en attendant un rendez-vous en préfecture pour renouveler leurs documents, se retrouvent en situation irrégulière. C’est une mécanique qui produit des sans-papiers ! En empêchant ces personnes de s’intégrer, l’État va à l’encontre des principes qu’il prétend défendre. Et au-delà de la justification de la régularisation des sans-papiers par le travail, les considérations humanitaires et de solidarité doivent être prises en compte.
Mais l’économie – sur laquelle la gauche, pas seulement aux États-Unis, peut légitimement revendiquer une réflexion et un savoir-faire accru – peut-elle tout résoudre ? Éradiquer ce que l’on nomme les paniques morales ? Par exemple, satisfaire le désir de sécurité en s’attaquant à un véritable défi que représente le narcotrafic dont la violence se propage jusque dans les villes moyennes ?
L. C. : Sans aller jusqu’à affirmer que tout se résout par une question budgétaire, il est clair qu’ignorer l’aspect économique peut conduire à des illusions et à l’échec. C’est le cas de la lutte contre le narcotrafic, qui a souffert d’un sous-investissement politique structurel visible dans le financement de la lutte contre la criminalité financière au sens large.
Nous avons ainsi constaté que les effectifs de police et de gendarmerie ont été augmentés pour lutter contre le trafic de stupéfiants, tandis qu’aucune réflexion n’a été engendrée sur sa contrepartie financière, entraînant une réduction des effectifs dédiés aux enquêtes complexes sur le blanchiment d’argent, qui nécessitent des personnels très qualifiés. L’État a sous-investi. Résultat : l’accent est mis sur les maillons faibles du trafic – les consommateurs et les petites mains, aux dépens de ceux qui orchestrent le trafic. La cohérence de l’action publique est altérée, ce qui impacte son efficacité.
Nous avons appris début septembre que le déficit de l’État serait beaucoup plus important que prévu, s’établissant à 6,4 % au lieu des 4,4 % initialement anticipés. Cette annonce a-t-elle pris au dépourvu l’ancienne membre de la direction du Trésor ?
L. C. : Oui. Je me mets à la place de mes anciens collègues de bureau, attachés à la défense des intérêts de l’État, et je me dis que ce moment doit être assez inconfortable pour eux… Avec des auditions prévues au Sénat et à l’Assemblée nationale, il sera intéressant de découvrir les avertissements contenus dans les notes que l’administration a envoyées antérieurement aux politiques.
Ce qui m’interpelle, c’est l’irresponsabilité de la politique qui a été menée. Rappelons-nous qu’il a fallu annuler 10 milliards de crédits quelques semaines seulement après l’adoption de la loi de finances 2024. Qui fait ça, sinon des personnes peu expérimentées ? Si la gauche avait commis un dixième de cette erreur, elle aurait été accusée d’incompétence.
Bruno Le Maire aurait-il dû démissionner lorsque Emmanuel Macron et Gabriel Attal lui ont refusé une loi de finances rectificative au printemps 2024 ?
L. C. : La question était effectivement légitime.
La situation des finances publiques étant, hélas, ce qu’elle est, Michel Barnier n’avait-il pas d’autre choix que d’adopter un budget d’austérité ?
L. C. : Oui, il existait bien d’autres alternatives, et cela demeure le cas. Je pense que les différents gouvernements se sont enfermés dans une stratégie dogmatique de rejet du levier fiscal. Au cours de la dernière décennie, on a abandonné entre 50 et 60 milliards d’euros de recettes annuelles. À tel point qu’ils en ont oublié qu’il était possible de mobiliser la fiscalité pour réduire le déficit public, en se concentrant uniquement sur les dépenses. En résumé, le gouvernement s’appuie énormément sur le volet dépenses, redirigeant les maigres recettes supplémentaires vers le désendettement.
La proposition du gouvernement Barnier de toucher marginairement à l’outil fiscal est cependant un tournant idéologique de la part d’un exécutif à tendance LR qui n’a pas été suffisamment souligné. Cette dynamique entraîne d’ailleurs une débâcle par la macronie, accroquée par son refus des impôts, donc sur sa droite ! C’est un aspect intéressant sur le plan idéologique. La droite est en train de perdre toute crédibilité en matière économique, car selon l’OFCE, la contraction budgétaire planifiée par Michel Barnier coûtera 0,8 point de PIB en 2025.
En revanche, le NFP a présenté en ouverture du débat sur la loi de finances 2025 dix mesures susceptibles de générer 50 milliards d’euros. C’est une approche plus responsable car d’une part, elle ne nuira pas à l’activité alors que la croissance est faible [lire ici l’analyse d’Anne-Laure Delatte, NDLR]. Nous pensons que notre plan soutiendrait l’économie et – j’insiste là-dessus – tout en réduisant progressivement l’endettement.
Nous arrivons à la fin de la discussion sur les recettes. Alors que les échanges sont peu clairs à l’Assemblée nationale, quel bilan tirez-vous du plan que vous avez présenté avec les parlementaires du NFP ?
L. C. : Tout le monde considérait le NFP comme mort. Cependant, nous avons su travailler en commun pour proposer des éléments cohérents visant à rendre le budget plus juste et efficace. La plupart de nos amendements ont été adoptés en commission des finances, et certains dans l’Hémicycle. Ainsi, nous avons pu constater qu’il existe à l’Assemblée une demande pour une justice fiscale et un rétablissement de l’équité fiscale.
La cacophonie ne provient pas de la gauche, qui a même restreint le nombre de ses amendements, mais de la compétition au sein du bloc central et du gouvernement qui semble vouloir s’en servir pour faire passer son projet en recourant à l’article 49.3 de la Constitution. Il a d’ailleurs déjà ignoré les votes des députés concernant le projet de loi de financement de la sécurité sociale en soumettant sa propre version au Sénat.
Une dissolution sera à nouveau envisageable à partir de juin 2025. Le NFP ne doit-il pas utiliser cette période pour réajuster son programme, dont on sait qu’il a été élaboré dans la hâte d’une part, et s’adapter à la dégradation de la situation économique et géopolitique ?
L. C. : Pour moi, la dissolution n’est pas la perspective la plus probable, même si le gouvernement Barnier pourrait falloir. Pour approfondir les positions du NFP, nous avons déjà travaillé durant tout l’été sur des sujets significatifs : l’éducation, la santé, les services publics, le pouvoir d’achat, l’augmentation du point d’indice des fonctionnaires, du Smic, et le dialogue avec les partenaires sociaux.
La conjoncture économique peut nécessiter des ajustements, mais je réaffirme l’importance d’une logique cohérente : restaurer la justice fiscale et abolir les aberrations fiscales anti-économiques, les niches fiscales inutiles, ainsi que les dépenses fiscales mal ciblées qui entraînent des effets d’aubaine pour des entreprises qui n’en ont pas besoin. Il est donc nécessaire de mettre en place une réforme fiscale précise qui vise à récupérer de l’argent là où il se trouve sans impact excessif sur l’activité économique et sans conséquences sur les catégories populaires, afin d’aider à réduire le déficit et à financer les services publics, etc. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de revoir totalement le programme du NFP.
Vous souhaitiez être candidate du NFP lors de l’élection législative partielle en Isère, mais les luttes internes ont rendu cela impossible. Le fait qu’une coalition politique ne laisse pas de place à la personnalité qu’elle avait envisagée comme sa future Première ministre ne remet-il pas en question sa solidité ?
L. C. : Quand on s’intéresse à la chose publique, il est normal de vouloir obtenir la légitimité des suffrages de ses concitoyens. En Isère, la France Insoumise n’était pas prête à céder une député qui siégerait dans son groupe. J’ai tenu à conserver ma liberté. Cela a été fait de manière cordiale.
Si une autre circonscription se libérait, j’y réfléchirais à nouveau. À condition que je puisse demeurer un trait d’union entre les partis du NFP, ce qui m’interdit de siéger dans l’un ou l’autre de ses deux pôles, et, bien sûr, que j’obtienne l’accord des militants locaux.
PassaicPassaic (New Jersey).– « Moi ? j’ai voté pour Trump… » « Bien que je n’ai pas la citoyenneté américaine et que je ne puisse voter, je suis attiré par Trump… » « J’ai choisi Mister Trump… » « Trump », « Trump », « Trump ». À Passaic, le week-end dernier, le large triomphe de Donald Trump lors des élections présidentielles américaines se reflète sur les visages réjouis des votants. Dans cette ville industrielle du New Jersey, de l’autre côté du fleuve Hudson, en face de Manhattan, la victoire de Donald Trump se fête, étrangement, en espagnol.
La campagne Harris a ressenti le besoin de rappeler aux femmes électrices qu’elles peuvent voter pour qui elles veulent. Les femmes ont compris cela. La campagne a échoué à le faire.
D</span)onaldDonald Trump a gagné l’élection présidentielle, et le Parti républicain récupère également la majorité au Sénat, et probablement à la Chambre des représentants, il exercera donc une influence au Congrès. Avec une Cour suprême déjà fermement conservatrice, les républicains devraient contrôler tous les aspects du pouvoir en 2025. Et contrairement à 2017, l’intégralité du Parti républicain est désormais sous l’influence de Trump.
La victoire de Donald Trump à la présidentielle suscite des inquiétudes aussi bien aux États-Unis que dans le reste du monde. En 2017, l’homme d’affaires avait accédé à la Maison-Blanche presque de façon inattendue. Mal préparé, il s’était entouré en partie de républicains traditionnels, respectueux des institutions, qui avaient joué le rôle de contre-pouvoirs internes et limité les excès de leur leader.
Donald Trump les a progressivement écartés et a commencé à constituer une équipe dont le critère principal est la loyauté. Son retour à la tête de la première puissance mondiale pourrait donc se révéler encore plus destructeur pour l’État de droit, la séparation des pouvoirs et l’application d’un programme ultraconservateur.
Blandine Chelini-Pont, professeure d’histoire contemporaine à l’université Aix-Marseille, analyse les dérives du premier mandat de Donald Trump et esquisse les tendances de ses quatre années à venir dans le bureau ovale.
Donald Trump a remporté l’élection présidentielle, les républicains dominent le Sénat, la Chambre est encore en suspens. Quels contre-pouvoirs pourraient freiner son action ?
Blandine Chelini-Pont : Les contre-pouvoirs existent, établis par la Constitution fédérale. C’est le système des « checks and balances » qui, en théorie, protège le champ d’action de chaque pouvoir (exécutif, législatif et judiciaire), avec un mécanisme de contrôle et de coopération assez flexible. C’est le fonctionnement idéal. Cependant, ce dernier a été sujet à de nombreuses dérives, notamment une présidentialisation de plus en plus marquée, qui s’est intensifiée pendant le premier mandat de Donald Trump.
Comment cette présidentialisation s’est-elle manifestée ?
B. C.-P. : Donald Trump a négligé les procédures institutionnelles et les règles stipulées dans la Constitution. Par exemple, il a souvent évité de passer par le Sénat pour valider les nominations de son cabinet et d’autres responsables de l’exécutif. Lors de son prochain mandat, il pourrait accentuer l’utilisation de son pouvoir de nomination au sein de l’administration.
Le think tank ultraconservateur Heritage Foundation soutient cette démarche : il espère que Trump va renvoyer toutes les personnes soupçonnées d’être des « gauchistes » au sein de l’administration fédérale et propose le remplacement immédiat de plusieurs dizaines de milliers de fonctionnaires fédéraux [en comparaison, environ 4 000 remplacements lors d’une alternance classique, NDLR.].
Les républicains accusent l’État fédéral de restreindre les libertés des Américains et des États fédérés. Ils se présentent comme les opposants du Deep State, « l’État profond ».
Néanmoins, paradoxalement, le remède qu’ils suggèrent consiste à octroyer au président des États-Unis un pouvoir maximal sur le contrôle de l’administration. Il est donc légitime de s’inquiéter de l’infiltration des réseaux trumpistes dans tous les services de l’État.
Les agences gouvernementales jouissant d’une certaine indépendance dans leur pouvoir de contrôle [comme la CIA ou l’agence de protection de l’environnement, NDLR.] sont particulièrement visées. Donald Trump pourrait tenter de les subvertir – c’est-à-dire de modifier leurs missions à son avantage – de couper leur financement, voire de les supprimer totalement.
Le parti républicain compte-t-il encore des opposants au trumpisme ? Si oui, ont-ils un quelconque pouvoir ?
B. C.-P. : Un certain nombre de républicains ont publiquement fait part de leur opposition à Donald Trump. Plus de 200 d’entre eux ont signé une tribune dans USA Today pour soutenir Kamala Harris contre leur candidat. La figure la plus emblématique de ces dissidents est Liz Cheney, ancienne numéro trois du Grand Old Party [jusqu’en 2021, NDLR.] et fille de Dick Cheney, vice-président sous George W. Bush. Elle s’est éloignée de Trump depuis l’assaut du Capitole en 2021.
Cependant, ces républicains n’occupent plus de mandat fédéral. Liz Cheney, par exemple, n’a pas été réélue en 2022. Depuis les élections de mi-mandat de 2022, les élus républicains au Congrès sont essentiellement des trumpistes radicaux ayant fait campagne sur le nom du milliardaire.
En plus de la victoire de Trump à la présidence, le Sénat dispose d’une large majorité républicaine, et il est probable que la Chambre des représentants reste également républicaine [les résultats ne sont pas encore connus, NDLR.]. Cela constituerait un coup maître, permettant à Donald Trump d’agir comme bon lui semble.
La justice pourrait-elle le limiter ? Quels événements ont eu lieu à ce sujet durant son premier mandat ?
B. C.-P. : Durant son premier mandat, il a tout mis en œuvre pour que le ministère de la Justice n’ouvre pas d’enquête sur les affaires le concernant, en critique publiquement le procureur général et en lui exerçant des pressions.
Ce fut notamment le cas à propos de l’ingérence russe dans la campagne électorale de 2016, qui a conduit à la condamnation de plusieurs membres de l’équipe de Trump. Ce dossier a contribué ultérieurement à la première procédure d’impeachment, c’est-à-dire de destitution, visant Donald Trump, en 2019-2020. Cependant, il s’agit d’une procédure politique et non judiciaire.
Malgré le déclenchement de deux procédures de destitution, Donald Trump n’a jamais été condamné, ni par le Congrès, ni par la Cour suprême, ni par la justice pour abus de pouvoir. Est-ce une illustration de la faiblesse de l’État de droit américain ?
B. C.-P. : Il a néanmoins été condamné au civil et au pénal dans plusieurs affaires, la plus récente en lien avec la fraude fiscale relative à l’affaire Stormy Daniels, dans l’État de New York. Cependant, il n’a jamais été condamné pour ses abus de pouvoir en tant que chef de l’exécutif.
A la suite de l’insurrection du 6 janvier 2021, le Congrès a rejeté la seconde procédure de destitution de Trump, les républicains ayant voté contre. Par la suite, la Cour suprême a protégé le milliardaire contre des poursuites pénales en arguant dans sa décision du 1er juillet 2024 que le Président bénéficie d’une « présomption d’immunité » concernant ses actes officiels.
En conséquence, il n’a été ni « puni » politiquement par le Congrès ni pénalement pour incitation à l’insurrection, et il n’a donc jamais été déclaré inéligible. Cela donne l’impression que le système judiciaire fédéral a été incapable d’agir, que ce soit de manière volontaire ou involontaire.
Les juges du système judiciaire fédéral n’ont pas eu le courage de déclarer que Trump représentait un danger pour la démocratie. De plus, la décision du 1er juillet de la Cour suprême élimine toute possibilité de contester d’éventuels abus de pouvoir si Trump revient à la Maison-Blanche.
On peut donc conclure que l’État de droit a été affaibli aux États-Unis, car le système américain repose largement sur l’intégrité et l’honnêteté de ses responsables politiques.
Les Pères fondateurs croyaient qu’un homme politique représentant la démocratie devait adopter un comportement décent et respectueux des institutions. Ainsi, il n’existe pas suffisamment de contraintes constitutionnelles pour limiter les excès de pouvoir de l’exécutif et son arbitraire. Or, Trump ne se préoccupe guère de la philosophie des institutions, il se considère comme le chef et décide selon sa propre volonté.
Les observateurs estiment que Donald Trump est aujourd’hui bien mieux préparé pour la fonction, à l’aube de son second mandat. Quel est le rôle de l’Heritage Foundation et de son « Project 2025 » dans cette préparation ?
B. C.-P. : Donald Trump a démenti l’influence du think tank Heritage Foundation durant sa campagne et a affirmé ne pas avoir lu le Project. Sur ce dernier point, cela pourrait être vrai : il ne lit pas. Cependant, toute son équipe l’a analysé en détail, et certains des auteurs du projet deviendront ses conseillers les plus proches à la Maison-Blanche.
Les documents du Project 2025 contiennent une liste de personnalités républicaines prêtes à s’engager. Trump dispose donc d’une armée potentielle de hauts fonctionnaires à sa disposition – ce qui est l’une des raisons pour lesquelles on estime qu’il est mieux préparé que lors de son premier mandat.
Je pense que le Project 2025, qui prône un virage ultraconservateur et une transformation radicale de l’État fédéral, sera appliqué par Donald Trump et son équipe. Plusieurs de ses proches, comme Steve Bannon, ont d’ailleurs multiplié les menaces contre les « conspirateurs » — dans les médias, au gouvernement, dans les administrations — qu’ils prévoient de traquer et de poursuivre pour trahison.
En dehors de l’Heritage Foundation, de nombreux autres réseaux d’influence ont établi des liens avec les équipes de Trump. Je pense par exemple à la Federalist Society, un regroupement de juristes conservateurs et religieux, qui a proposé de nombreux noms de juges fédéraux nommés par Trump lors de son premier mandat. Ces personnes ont des idées très arrêtées et sont extrêmement déterminées. L’une de leurs cibles était d’abroger l’arrêt Roe v. Wade, qui garantissait le droit à l’avortement au niveau fédéral, et ils ont réussi.
Peut-on donc s’attendre à un second mandat plus radical et plus efficace dans l’implémentation de son programme conservateur ?
B. C.-P. : Absolument, surtout en ce qui concerne l’immigration. Trump a promis de traquer les immigrés et de les renvoyer des États-Unis. Globalement, il tend à tenir ses promesses. Il n’éprouve aucune préoccupation pour les procédures ou le respect du droit. Il justifie son discours en affirmant que toute restriction à sa volonté est contraire à la volonté populaire, étant donné qu’il a été élu. Ce discours trouve écho auprès d’une grande partie de la population qui ne saisit pas les mécanismes de l’État de droit ou des institutions américaines.
Les Swifties disent qu’ils quittent X en raison du soutien d’Elon Musk à Donald Trump—et de la rhétorique qui a éclaté sur la plateforme après la victoire de Trump.
Passer de nombreuses heures par jour à regarder des écrans semble être une conclusion évidente. Le nouveau défi consiste à réduire ce qui les remplit.
Donald Trump a remporté des voix à travers les lignes raciales et de classe mardi soir. Les Républicains sont-ils maintenant la voix plus diversifiée de la classe ouvrière ?
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