Les principes du travail et 2 autres recommandations de lecture

ECONOMIE

Les principes du travail et 2 autres recommandations de lecture

Chaque samedi, Alternatives Economiques vous présente une sélection de livres dignes d’intérêt. Cette semaine, nous vous recommandons : Les valeurs du travail, par Olivier Galland ; Le service public empêché, par Nadège Vezinat ; et Vieux cons. Pistes de conversations pour les générations en transition, par Luc Gwiazdzinski et Gilles Rabin.

1/ « Les valeurs du travail », par Olivier Galland

Il s’agit d’un thème récurrent de notre époque : évoquer la prétendue crise de la valeur travail sans jamais préciser ce qu’elle impliquerait. Cependant, il existe de nombreuses enquêtes sur les valeurs, incluant plusieurs questions touchant précisément à l’importance que les individus donnent à tel ou tel aspect du travail. En s’appuyant sur ces éléments, le sociologue Olivier Galland propose une réflexion plus approfondie sur nos relations au travail.

Il souligne notamment des relations nationales variées, en classant les pays en trois groupes selon l’importance que leurs citoyens attribuent au travail dans leur vie, à sa dimension vocationnelle et à sa normativité. Ainsi, contre les idées reçues, les citoyens des pays anglo-saxons et asiatiques entretiennent généralement une relation distanciée au travail, ceux de certains pays méditerranéens ou d’Europe de l’Est le perçoivent d’abord comme un investissement matériel, tandis que les Français et les Scandinaves l’envisagent comme une vocation.

De nombreuses autres variables sont examinées, avec un accent particulier sur la situation en France, où l’auteur déconstruit également l’idée reçue d’un désintérêt supposé des jeunes à l’égard du travail.

Igor Martinache

Les valeurs du travail, par Olivier Galland, Coll. Sécuriser l’emploi, Presses de Sciences Po, 2024, 150 p., 9 €.

2/ « Le service public empêché », par Nadège Vezinat

La demande sociale pour le service public semble plus forte que jamais, mais l’acceptation de le financer semble affaiblie. Pour mieux comprendre la situation, la sociologue Nadège Vezinat commence par définir la notion de service public, soulignant les zones d’incertitude qui persistent concernant son périmètre et sa nature.

Ensuite, elle explique comment le service public est entravé, limité et contesté, du point de vue de ses bénéficiaires, de son personnel et de ses décideurs. Sous l’effet d’un mouvement triple d’européanisation, de marchandisation et de privatisation, qui est lui-même plus complexe qu’il n’y paraît, le service public, malgré la diversité de ses secteurs, est pris dans un cercle vicieux dont il semble urgent de sortir.

Car c’est effectivement la cohésion sociale qui est en jeu. Ce diagnostic précis constitue un bon point de départ pour alimenter le débat public nécessaire.

I. M.

Le service public empêché, par Nadège Vezinat, PUF, 2024, 368 p., 24 €.

3/ « Vieux cons. Pistes de conversations pour les générations en transition », par Luc Gwiazdzinski et Gilles Rabin

Devenir considéré comme de vieux cons aux yeux des jeunes générations : c’est le risque qui nous guette en vieillissant ! Conscients de cette réalité, les deux auteurs, un géographe et un docteur en économie, ne se résignent pas pour autant à renier leur passé d’enfance et d’adolescence vécu entre les années 1960-80, bien avant l’ère d’Internet et des smartphones.

À la manière d’un catalogue à la Prévert, ils partagent leurs souvenirs. Tout y est : des événements marquants (Coupe du monde de football, sécheresse de 1976…), l’impact des pratiques religieuses, les longs repas familiaux, les séries télévisées, les objets iconiques, la R5 et compagnie.

Bien que l’un soit originaire de Lorraine et l’autre de Bretagne, c’est d’une France commune qu’ils parlent. Un sentiment renforcé par leur choix de passer sans transition d’un « je » à l’autre. Si tout cela évoque des images d’Épinal et de la nostalgie, ils ne tombent pas pour autant dans le « c’était mieux avant ». C’était simplement différent, estiment-ils. À tel point qu’il est possible de mesurer de manière implicite les bouleversements causés par la mondialisation, l’expansion de la société de consommation, l’urbanisation, etc.

Sylvain Allemand

Vieux cons. Pistes de conversations pour les générations en transition, par Luc Gwiazdzinski et Gilles Rabin, Fyp, 2024, 224 p., 21 €.

"Livre noir de Gaza": témoignage d'un génocide de notre époque

MEDIA

“Livre noir de Gaza”: témoignage d’un génocide de notre époque

C’est le témoignage d’un génocide qui appartient à notre époque ! Filmé au quotidien par des caméras amateurs ou professionnelles de ceux dont l’existence est suspendue à un fil. “Le Livre Noir de Gaza”, publié au début du mois d’Octobre, représente un exposé à la hauteur de l’horreur qui s’abat sur l’enclave palestinienne depuis le 07 Octobre 2023. Cet ouvrage collectif repose sur une collection de rapports et d’enquêtes provenant des médias et des ONG qui ont été au cœur de la destruction causée par les frappes israéliennes, directement témoins de la mort, de la famine et du désespoir des Gazaouis. Le livre retrace les origines historiques de ce massacre ainsi que l’évolution de la stratégie israélienne, la justice internationale défaillante, et plus encore. Un éclairage sur les victimes, dont le nombre se chiffre par dizaines, voire par centaines de milliers, tout en offrant une immersion dans une guerre étouffée par Israël, qui interdit l’accès de l’enclave aux journalistes étrangers et limite l’aide humanitaire des ONG. Ce sont les rapports de certaines de ces ONG qui font référence pour documenter ici : le destin des victimes civiles, l’ampleur des destructions du territoire, les attaques contre les journalistes, les humanitaires et le personnel de santé, les armes utilisées, etc. “Le Livre Noir de Gaza” a été publié sous la direction d’Agnès Levallois, avec une préface de Rony Brauman. Avec les contributions de Guillaume Ancel, Leïla Bourguiba, Jonathan Dagher, Peter Harling, Johann Soufi. Agnès Levallois est l’invitée de cet entretien d’actualité, elle est consultante spécialiste du Moyen-Orient et vice-présidente de l’iReMMO, Institut de recherche et d’études Méditerranée Moyen-Orient.

Le Parlement européen souhaite demander 232 899 euros à Marine Le Pen.

CULTURE

À Montpellier, les actes violents de l’extrême droite sont jugés.

Montpellier (34), 1er juin 2024, 22h30 – Malik (1) se promène paisiblement lors de la fête des fanfares. Cet événement annuel, qui se déroule dans le quartier des Beaux-Arts, est en pleine effervescence depuis plusieurs heures. Tout à coup, une petite dizaine d’hommes, souvent masqués, fait irruption. La suite, il la relatera dans Mediapart quelques jours plus tard :

« Quelqu’un m’a saisi par l’épaule et m’a asséné un violent coup au visage. »

Bilan : une dent endommagée et 42 jours d’ITT. Dans sa plainte, il prétend avoir identifié deux militants d’extrême droite, dont Ongwé L. G. Un témoin, qui a tenté d’intervenir durant l’altercation, a corroboré sa présence. Et le voilà, ce 31 octobre, sur le banc des accusés, mortifié dans une veste de costume bleu marine. Ce jeune homme de 24 ans est membre du Bloc montpelliérain, un groupe qui aspire, depuis le début de l’année, à organiser une mouvance nationaliste-révolutionnaire – des néofascistes – à Montpellier. Il y a un mois, ce groupe a diffusé une vidéo sur les réseaux sociaux – retirée 24 heures après, mais que StreetPress a pu examiner – illustrée par des extraits d’articles de presse relatant l’agression de Malik. Cela semble s’apparenter à une revendication de l’exaction, qui prend une dimension politique pour la victime en raison de son engagement syndical.

À la barre, Ongwé L. G. se défend tant bien que mal, mais souvent de manière incohérente. Bien qu’il reconnaisse avoir été présent sur le lieu de l’agression, il conteste toute implication. Il aurait été convié par un ami rencontré « par le sport » à « se joindre à un groupe d’ultra-droite lors de cette soirée ». Un ami qui l’aurait « perdu de vue » au moment de l’agression. « J’ai été écarté par ce groupe en raison de mon identité », déclare même le jeune homme métisse, qui ne se serait pas senti « à l’aise » avec eux. Une déclaration étrange, car Ongwé L. G. a échangé et quitté l’audience en compagnie de Martial Roudier, un identitaire particulièrement violent de la Ligue du Midi – il a purgé une peine de prison après avoir poignardé un antifasciste mineur. Le procureur n’est pas dupe :

« Si vous en avez été écarté, cela signifie que vous avez fait partie de ce groupe à un moment donné, non ? »

« Montpellier, c’est l’Allemagne »

Né en janvier dernier sur les cendres de Jeunesse-Saint-Roch, – groupe dont Ongwé L. G. était déjà membre –, le Bloc montpelliérain se fixe pour objectif de structurer une mouvance nationaliste-révolutionnaire à Montpellier. Un phénomène relativement récent dans le panorama des groupuscules d’extrême droite locaux, longtemps dominé par les identitaires de la Ligue du Midi, vieillissante à cause de l’âge de ses membres.

Alors que Jeunesse Saint-Roch se réfère à un mélange de royalisme et de nazisme, de catholicisme traditionnel et de paganisme, la ligne idéologique du Bloc se veut plus unifiée : en témoigne les conférences portant sur « les bases du nationalisme-révolutionnaire » ou « l’anticapitalisme national » que le groupe organise dans des établissements publics. Rapidement, des stickers « Montpellier, c’est l’Allemagne », ornés d’un char Panzer « Tigre » de l’armée nazie, commencent à se disséminer dans l’espace public.

Les membres ont vite commencé à se manifester dans les rues : le 26 janvier dernier, pendant une mobilisation d’agriculteurs mécontents, Dorian M. enfile sa cagoule en plein milieu d’un groupe s’efforçant de chasser un militant communiste du cortège. Suite au désistement des victimes, il a été relaxé ce 30 octobre pour ces actes de violence. Ce même Dorian M. a également procédé à des intimidations envers les journalistes Samuel Clauzier et Ricardo Parreira durant la manifestation. Dans des images dévoilées par Le Poing, média indépendant montpelliérain, muni de gants renforcés, il se fait entendre asséner :

« En réalité, ici, ce sont les blancs. »

À ses côtés, Ongwé L. G. parle des « Français de souche ».

Célébration néofasciste et alliance contre les drags-queens

Le 3 mars, le canal Telegram Ouest Casual met en ligne une vidéo en provenance de Montpellier montrant un jeune homme portant un t-shirt « Action antifasciste Marseille » se faire agresser par des hommes masqués. La vidéo est accompagnée de leur célèbre slogan : « Montpellier, c’est l’Allemagne ». Entre deux entraînements de boxe avec des membres d’Active Club, un autre groupe d’extrême droite violent, les militants du Bloc ont participé à la manifestation parisienne du C9M, où se rassemblent tous les néofascistes de France. Ils ont également concentré leurs attaques sur une autre cible centrale de leur mouvance : les artistes drags. En juin 2024, le Bloc montpelliérain et la Ligue du Midi ont, par exemple, incité leurs abonnés sur les réseaux à faire des « réservations » pour une lecture pour enfants animée par des drags-queens à la librairie Sauramps lors du mois des Fiertés. Face aux menaces et à la vague de haine en ligne, la librairie a dû abandonner l’événement.

À LIRE AUSSI : « Ici c’est comme l’Allemagne nazie » : un homme roué de coups par des militants d’extrême droite à Mâcon

Mais à l’audience, en écoutant maître Mathieu Sassi, l’avocat d’Ongwé L.G., on apprend que c’est bien son client qui serait victime « d’une campagne de diffamation orchestrée par l’extrême gauche locale ». Il a réclamé l’acquittement du militant d’extrême droite ainsi qu’un complément d’information sur l’enquête. Le procureur, quant à lui, a demandé 12 mois de prison avec sursis, cinq ans d’inéligibilité, une interdiction de port d’arme et un an d’interdiction d’accès au centre-ville de Montpellier. Le jugement sera prononcé le 7 novembre.

(1) Le prénom a été modifié.

Pour continuer le combat contre l’extrême droite, on a besoin de vous

Face au péril, nous nous sommes levés. Entre le soir de la dissolution et le second tour des législatives, StreetPress a réalisé plus de 60 enquêtes. Nos révélations ont été reprises par presque tous les médias français et notre travail référencé dans de nombreux grands journaux étrangers. Nous avons également été à l’origine des deux grands rassemblements contre l’extrême droite, réunissant plus de 90.000 personnes sur la place de la République.

StreetPress, en raison de sa rigueur dans le travail et de ses valeurs, est un média nécessaire. D’autres combats nous attendent. Car le 7 juillet a été un sursis, non une victoire. Marine Le Pen et ses 142 députés planifient déjà la prochaine offensive. Nous aussi devons bâtir l’avenir.

Nous avons besoin de renforcer StreetPress et d’assurer son indépendance. Faites aujourd’hui un don mensuel, même modeste. Grâce à ces contributions récurrentes, nous pouvons envisager notre avenir. C’est la condition pour avoir un impact amplifié dans les mois suivants.

Ni l’adversité, ni les menaces ne nous feront reculer. Nous avons besoin de votre soutien pour progresser, anticiper et nous préparer aux luttes à venir.

Je fais un don mensuel à StreetPress  

mode payements
Vote RN : la conclusion de la citadelle éducative

ECONOMIE

Vote RN : la conclusion de la citadelle éducative

Les élections semblent remonter à une époque lointaine, et le résultat du scrutin est presque oublié, tant la vie politique paraît immuable. Cependant, il est essentiel de se pencher sur un phénomène qui mérite notre attention. Plus de 20 % des enseignants auraient opté pour le rassemblement national (RN) lors des dernières élections. Pourquoi cet électorat, habituellement de gauche, paraît-il également en train de changer de cap ?

Selon les études menées par le politologue Luc Rouban, alors que la moitié des enseignants continuent de voter à gauche, près d’un enseignant sur cinq glisserait aujourd’hui un bulletin d’extrême droite dans l’urne.

Ce chiffre de 20 % est globalement équivalent à celui observé lors du premier tour de l’élection présidentielle de 2022. En revanche, en 2012, le RN, désigné alors sous le nom de Front national, ne recueillait que 3 % des intentions de vote des enseignants.

La newsletter d’Alternatives Économiques

Chaque dimanche à 17h, notre analyse de l’actualité de la semaine

Encore plus à gauche que les autres fonctionnaires

Luc Rouban a néanmoins souligné que « le vote des enseignants dans le secteur public demeure toujours plus à gauche que celui des autres agents de la fonction publique ». Pour lui, ce chiffre de 20 % d’enseignants ayant voté pour des candidats de la droite radicale « paraît faible comparé aux 47 % que rassemble cette droite auprès des policiers et militaires. » Cependant, « cela témoigne d’un changement majeur dans le milieu enseignant, qui, jusqu’à présent, était considéré comme un bastion de résistance contre l’extrême droite ».

Une partie significative des enseignants de droite a désormais basculé vers le RN. De plus, il existe également une convergence : les enseignants commencent à adopter des comportements de plus en plus similaires au reste de la population. Bien que le vote pour le RN ne soit plus aussi tabou qu’auparavant, il reste encore discret dans les salles des professeurs.

Le chercheur Benjamin Chevalier, étudiant les enseignants affiliés au RN, met en lumière les stratégies de « gestion du stigmate », qui poussent souvent à s’éloigner des espaces de sociabilité que représentent les salles des profs. Cependant, les choses évoluent et les préférences politiques deviennent de plus en plus visibles. Quelles sont donc les motivations derrière cette droitisation (relative) du corps enseignant ? Qu’est-ce qui, dans le discours du RN, pourrait séduire les enseignants ?

Le discours du FN, longtemps anti-fonctionnaires, a évolué sous le RN, qui présente les enseignants comme des victimes d’un système et d’un excès de réformes. La question de la violence est également mise en avant, soutenue par les médias.

Dans son programme pour les législatives, Jordan Bardella évoquait le « dévouement des enseignants victimes d’une bureaucratie invasive et souvent lâche face aux agressions dont ils souffrent », en proposant leur revalorisation et la « restauration de l’excellence ». Ce discours pourrait séduire un milieu enseignant où le sentiment d’abandon côtoie la dépolitisation et une confusion grandissante.

Érosion de la culture commune

Les enseignants forment-ils toujours un « bastion de gauche » ? En 2021, l’Observatoire de l’éducation de la Fondation Jean-Jaurès, en partenariat avec l’Ifop, a souhaité dresser un portrait des enseignants. L’étude réalisée par Jérôme Fourquet dépeignait « une population culturellement moins homogène et électoralement plus variée ».

L’expression, souvent employée, de « forteresse enseignante » montre ainsi ses limites et ne reflète pas la réalité d’un groupe qui n’a jamais été homogène. Comme évoqué, il existe toujours eu des enseignants de droite, voire d’extrême droite, mais auparavant, ils étaient peu visibles et leur voix inaudible en raison de la culture dominante et du contrôle social en salle des profs.

L’homogénéité n’était qu’apparente. La « matrice enseignante » (Jérôme Fourquet) est remise en question et n’arrive plus à garantir une culture commune. La sociologue Géraldine Farges évoque même les « mondes enseignants ».

Ce qui structurait cette supposée « forteresse » (déjà bien fragilisée) est en train de disparaître. Le triptyque FEN-MGEN-Maif, c’est du passé ! Autrement dit, les instances de socialisation secondaire ne font plus leur office, ou beaucoup moins efficacement.

En premier lieu, les voies d’entrée dans le métier se diversifient. Le parcours par l’école normale, devenue ensuite IUFM/Espé/Inspé, ne va plus de soi. Complètement tourné vers la préparation aux concours, le parcours de formation a perdu sa fonction socialisatrice.

Par ailleurs, la part des emplois précaires (« vacataires », contractuels et autres termes désignant ces postes) s’élève désormais à près de 25 % des emplois actuels. Cela risque de s’aggraver. Quelle identité professionnelle peuvent-ils se construire ? On sait que la précarité et le déclassement sont deux éléments marquants du vote RN.

Il convient également de noter qu’une part importante des enseignants ont exercé une activité professionnelle avant d’intégrer l’Éducation nationale, et qu’ils ont déjà forgé une identité, des normes et des valeurs qui ne seront pas fondamentalement modifiées par leur intégration dans le monde enseignant.

Bien que le taux de syndicalisation des enseignants demeure relativement élevé par rapport à la moyenne générale, cela peut parfois se révéler illusoire. Actuellement, 30 % d’entre eux sont syndiqués (contre 7 % dans la population active), mais ce chiffre était de 45 % dans les années 1990. De plus, la syndicalisation ne signifie pas nécessairement engagement. Les raisons d’adhérer à un syndicat sont souvent utilitaires et liées à la gestion des mutations. Le syndicat joue un rôle socialisateur moindre qu’auparavant, surtout auprès de personnes ayant des statuts et des revendications variés.

Des conditions de vie hétérogènes

L’endogamie parmi les enseignants (le fait de s’unir avec quelqu’un du même groupe social) a diminué dans le premier degré, alors qu’elle s’accroît dans le second, où elle concerne un quart des couples. Néanmoins, cette baisse cache principalement la forte féminisation du corps enseignant.

Or, la socialisation politique est influencée par le milieu social du partenaire, et les conditions de vie peuvent varier considérablement chez les enseignants. Entre une professeure à la tête d’une famille monoparentale et celle qui partage la vie d’un cadre supérieur, le niveau de vie, tout comme les normes et valeurs, diffèrent grandement.

Le rapport au travail n’est pas le même. J’ai souvent évoqué combien le terme « vocation » devrait être écarté, tant pour ce qu’il implique que parce qu’il ne reflète plus la réalité de l’entrée et de la carrière dans ce métier. La profession n’est plus forcément perçue comme une longue traversée qui façonne toute une existence.

Évidemment, on ne choisit pas ce métier « par hasard », il existe nécessairement des valeurs qui lui sont associées. Toutefois, la notion de « vocation » – ou ce que l’on pourrait appeler le « sens du service public » ou « l’intérêt des enfants » – n’est plus une justification pour supporter le poids de l’autorité, la détérioration des conditions de travail et un déclassement connexe largement documenté.

De ce fait, les opinions politiques des enseignants deviennent de plus en plus sensibles aux idées conservatrices et même réactionnaires, surtout qu’elles les renvoient à une époque idéalisée où l’école fonctionnait (mais pour quels élèves ?) et où leur profession était respectée.

Pour mieux appréhender le conservatisme enseignant, il convient de rappeler que les enseignants sont souvent d’anciens « bons élèves » (et de moins en moins issus des classes populaires, malgré quelques « exceptions »). Pourquoi souhaiter changer un système qui vous a permis de « réussir » et qui vous a conféré un statut ?

« Si j’y suis parvenu avec du dévouement, pourquoi d’autres n’y arriveraient-ils pas ? C’est une question de volonté ! », « Il y en a qui sont “talentueux” et d’autres non. Il faut sélectionner en fonction du mérite » : ce sont des déclarations que l’on peut entendre en salle des profs. Elles peuvent paraître banales, mais elles méconnaissent les enseignements de la sociologie de l’éducation et constituent les bases du maintien d’un ordre inégalitaire.

C’est sur ce terreau de la détérioration des conditions de travail et d’une culture commune en déclin que s’épanouit un vote enseignant qui, à l’instar du reste de la société, devient de plus en plus réceptif aux idées réactionnaires et d’extrême droite.

Le vote RN des enseignants ne doit donc pas être uniquement évalué par une perspective morale. Il doit également être perçu comme un indicateur de l’état actuel du système éducatif et de ses personnels.

Les néofascistes de Bordeaux s'efforcent de s'imiscer parmi les ultras de la North Gate.

CULTURE

Les néofascistes de Bordeaux s’efforcent de s’imiscer parmi les ultras de la North Gate.

déploient une banderole pour exiger le départ du président Gérard Lopez. Parmi eux, deux figures bien connues de la scène néofasciste bordelaise : Luca C. et Arthur R. Ces deux individus sont membres de la Bastide bordelaise, un groupuscule d’extrême droite responsable de nombreuses agressions à connotation raciste et homophobe.

Depuis la manifestation, Lucas C. et Arthur R. ont été vus à plusieurs occasions dans les rangs des North Gate Bordeaux, portant les t-shirts du groupe lors du rassemblement du 1er septembre, au sein du groupe ultra lors du match de National 2 entre les Girondins de Bordeaux et les Voltigeurs de Châteaubriant le 21 septembre, ou face aux Normands d’Avranches le 19 octobre. Ancien membre de Génération Z, mais également des royalistes de l’Action française Bordeaux, Luca C. est l’un des fondateurs de la Bastide bordelaise. Recrue plus récente, Arthur R. a rejoint les néofascistes aquitains grâce à des sessions d’entraînement aux arts martiaux organisées dans les parcs de Bordeaux, avant de commencer à servir comme porte-banderole pour le groupuscule en 2023.

https://backend.streetpress.com/sites/default/files/12_3.png

Lucas C. au centre du groupe ultra lors du match de National 2 entre les Girondins de Bordeaux et les Voltigeurs de Châteaubriant le 21 septembre dernier. /
Crédits : DR

Les néofascistes violents de la Bastide bordelaise

Directement issu de Bordeaux nationaliste, dissoute en février 2023 pour son « idéologie xénophobe » et ses « appels à la haine et à la violence », la Bastide bordelaise a un historique lourd. Sous l’étiquette Bordeaux nationaliste, plusieurs de ses membres ont été condamnés pour des violences perpétrées en juin 2022 lors d’une attaque raciste dans le quartier Saint-Michel. Ce même mois, ils avaient également lancé une attaque contre la marche des fiertés locale. Les militants sont également responsables de l’assaut d’une conférence des députés LFI Louis Boyard et Carlos Martens Bilongo à l’université de Bordeaux en décembre 2022. Et en juin 2024, un membre de la Bastide a attaqué un bar antifasciste à Rome en compagnie d’autres néofascistes français.

https://backend.streetpress.com/sites/default/files/13_1.png

Arthur R. parmi les rangs des North Gate Bordeaux durant le match du 21 septembre dernier. Il a intégré les néofascistes aquitains via des entraînements aux sports de combat organisés dans les parcs de Bordeaux, avant de commencer à apparaître comme porte-banderole pour le groupuscule courant 2023. /
Crédits : DR

Le grand public a surtout découvert la Bastide bordelaise lors de la candidature de son dirigeant, Yanis Iva, aux élections législatives anticipées de juin 2024. Ce dernier, déjà condamné pour les violences de l’été 2022, avait orné son tract d’une croix celtique, symbole néofasciste, et proclamait vouloir donner « une bonne droite à la gauche » comme slogan de campagne.

Un autre membre de la Bastide, Enzo Lebrun, condamné pour les violences dans le quartier Saint-Michel en juin 2022, publie des photos avec Arthur R. sur ses réseaux sociaux arborant un sweat-shirt du Kop of Boulogne, l’ancienne tribune du Paris Saint-Germain, aujourd’hui associée aux néonazis hooligans de la capitale.

https://backend.streetpress.com/sites/default/files/11_1.png

Lucas C. est un ancien activiste de Génération Z, ainsi que des royalistes de l’Action française Bordeaux. Il est aussi un des fondateurs de la Bastide bordelaise. /
Crédits : DR

Une tentative d’implantation ?

Les groupuscules d’extrême droite cherchent souvent à s’infiltrer dans les tribunes ultras, avec plus ou moins de réussite. Un ancien membre de Bordeaux nationaliste, Tristan Arnaud, a notamment joué un rôle crucial dans la transformation d’une partie des tribunes de Clermont-Ferrand vers l’extrême droite, à travers un groupe hooligan informel, la Brigade Arverne. Luca C., Arthur R. et les autres néofascistes de la Bastide bordelaise cherchent-ils à s’implanter dans les tribunes des Girondins avec le même objectif que Tristan Arnaud à Clermont-Ferrand ?

Contactée, la North Gate Bordeaux (NGB) n’a pas répondu à nos demandes. Fondée en mars 2023, située dans le virage Nord du stade dans le bloc 58, ce jeune groupe s’est formé alors que les Girondins rencontraient d’importantes difficultés sportives. La NGB s’est également constituée à la suite d’une scission avec les ultras historiques de Bordeaux, les Ultramarines, à propos de différends concernant le pass vaccinal et les relations de ce principal groupe de supporters avec la direction du club. Selon nos informations, certains de ses membres proviendraient d’anciens groupes hooligans bordelais. Parmi eux, la Meute, un groupe actif entre 2011 et 2012, suspecté de vouloir infuser des idées d’extrême droite dans le stade et disparu suite à l’interdiction de stade infligée à la plupart de ses membres. La North Gate est actuellement en conflit ouvert avec les Ultramarines, réputés notamment pour leurs positions antiracistes, comme l’a rapporté le média Rue89 Bordeaux. Contactés, ces derniers ont informé StreetPress qu’ils ne souhaitaient pas « répondre sur ce sujet ». Les deux groupes ont déjà eu plusieurs altercations, en février et mars 2024 en particulier.

Pour continuer le combat contre l’extrême droite, on a besoin de vous

Face au péril, nous nous sommes levés. Entre le soir de la dissolution et le second tour des législatives, StreetPress a publié plus de 60 enquêtes. Nos révélations ont été reprises par la quasi-totalité des médias français et notre travail cité dans plusieurs grands journaux étrangers. Nous avons aussi été à l’initiative des deux grands rassemblements contre l’extrême droite, réunissant plus de 90.000 personnes sur la place de la République.

StreetPress, parce qu’il est rigoureux dans son travail et sur de ses valeurs, est un média utile. D’autres batailles nous attendent. Car le 7 juillet n’a pas été une victoire, simplement un sursis. Marine Le Pen et ses 142 députés préparent déjà le coup d’après. Nous aussi nous devons construire l’avenir.

Nous avons besoin de renforcer StreetPress et garantir son indépendance. Faites aujourd’hui un don mensuel, même modeste. Grâce à ces dons récurrents, nous pouvons nous projeter. C’est la condition pour avoir un impact démultiplié dans les mois à venir.

Ni l’adversité, ni les menaces ne nous feront reculer. Nous avons besoin de votre soutien pour avancer, anticiper, et nous préparer aux batailles à venir.

Je fais un don mensuel à StreetPress  

mode payements

NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,

ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER