Décoloniser Alain Brossat : Hong Kong et l’anti-impérialisme de façade
Dans une longue interview parue sur le site ACTA, le philosophe Alain Brossat s’étend sur le mouvement hongkongais, qu’il qualifie de “restaurationniste (de l’ordre colonial, impérial), pro-occidental et entièrement réactionnaire”. Y voir autre chose relèverait du “Chinabashing indiscriminé” dicté par “la pensée blanco-occidentalocentrique”, voire par l’emprise idéologique de l’impérialisme américain. Ayant couvert le mouvement hongkongais depuis 2014, je me sens quelque peu mis en cause. C’est effectivement l’un des mouvements sociaux les plus complexes et contradictoires qu’il m’a été donné de voir de près. Il est également vrai – comme le souligne Brossat – que les médias occidentaux n’ont eu de cesse de dresser ses louanges, ce qui a contribué à en éclipser ses diverses facettes. Du moins, je me sentirais mis en cause, si Alain Brossat ne démontrait pas une profonde ignorance de tout ce qui est relatif au Hong Kong post-handover, celui d’après 1997, date de la rétrocession à la Chine. Il s’agit là d’une ignorance revendiquée : “Je ne m’aventurerais pas à proposer une analyse en bonne et due forme (sociologique) de la composition de classe du mouvement de Hong Kong – cela dépasse mes compétences”. Mais le voilà qui s’y aventure quand même. Car au fond, s’il ne montre aucun intérêt envers celles et ceux qui vivent et animent ce mouvement, il a visiblement une haute opinion de sa pensée. Le résultat est un exemple cristallin de cette mentalité “blanco-occidentalocentrique” qui entend exercer un droit de validation pour toute révolte, partout dans le monde. C’est une attitude qui balaie d’un revers de la main toute distance géographique, culturelle, historique ou linguistique. Les révolutions se présentent pourtant rarement dans les formes qu’on aimerait qu’elles prennent – ce qu’Alain Brossat semble oublier, malgré son passé militant dans la gauche révolutionnaire française. Ainsi, dépassant ses “compétences”, Brossat affirme que “du…