Accéder à la propriété à moindre coût : quel est le bilan du bail réel solidaire ?

ECONOMIE

Accéder à la propriété à moindre coût : quel est le bilan du bail réel solidaire ?

En 2022, Benoît Wuzyk projette d’acquérir un appartement. Cependant, à Rueil-Malmaison (92), les tarifs, avoisinant les 8 000 € le m², sont hors de portée pour lui. Il découvre alors qu’il peut bénéficier du bail réel solidaire (BRS). Grâce à ce dispositif, il réussit à obtenir, pour lui et sa famille, un 5 pièces dans son quartier, à 398 000 €, soit 4 200 € le m².

Benoît n’est propriétaire que des murs de son appartement. Le terrain sur lequel son immeuble est bâti appartient à un office foncier solidaire (OFS), à qui le Francilien verse une « redevance » mensuelle de 190 euros. En plus du prix d’achat réduit, le nouvel acquéreur était éligible, au moment de l’achat, à un prêt à taux zéro (PTZ) pour une partie de son emprunt. De quoi diminuer le coût de l’opération financière.

D’après le dernier rapport élaboré par le groupement « Réseau Foncier Solidaire », 1 012 logements en BRS étaient présents en France fin 2022. Qu’ils soient des appartements ou des maisons individuelles, la majorité d’entre eux sont neufs. En dissociant le foncier du bâti, cette structure immobilière assure des prix nettement inférieurs à ceux du marché « libre », offrant ainsi aux ménages plutôt modestes l’opportunité d’accéder à leur propre logement. À la fin de l’année 2022, le revenu fiscal de référence moyen d’un couple avec deux enfants était de seulement 29 507 €.

Les propriétaires BRS doivent occuper leur bien en tant que résidence principale, ce qui contribue à limiter le développement des résidences secondaires dans les zones où ils sont établis. Un autre objectif du dispositif est de lutter contre la spéculation. Les preneurs du bail ne peuvent pas revendre leur bien à n’importe quel prix. Ce dernier est plafonné au prix d’achat initial, augmenté d’une éventuelle plus-value limitée aux travaux d’amélioration. Le foncier, lui, échappe également à la guerre des prix, puisqu’il n’est pas revendu, mais conservé par l’OFS.

Un soutien crucial des collectivités

Le BRS a d’abord été instauré « dans les zones touristiques et les zones tendues des métropoles », précise Hélène Morel, autrice d’un mémoire-action sur les OFS. Le mécanisme a rapidement conquis les régions Nouvelle-Aquitaine, Bretagne et Normandie, qui à elles seules représentent les trois quarts des opérations.

« Si l’on peut acquérir sur le marché libre à 3 000 € le m², opter pour le BRS à 2 400 € avec une redevance à verser, ce n’est pas forcément attractif. Ce produit a moins de sens en Auvergne qu’en Île-de-France », souligne Jean-Emile Barra, directeur du développement et des relations institutionnelles chez Runimmo, une direction commerciale déléguée pour le compte de promoteurs et de bailleurs.

Cependant, le BRS n’est pas uniquement destiné aux milieux urbains, d’autant qu’il rencontre parfois des difficultés à se développer dans les zones les plus tendues.

L’engagement des collectivités locales se révèle alors un facteur clé de succès. Celles-ci agissent notamment pour favoriser l’accès au foncier pour les OFS, en mettant à disposition des « biens immobiliers appartenant à la collectivité », indique Suzanne Brolly, vice-présidente en charge de l’urbanisme de l’Eurométropole de Strasbourg.

Dans les départements de Vendée et Charente-Maritime, l’OFS Terra Noé « n’achète pas directement au prix du marché », confirme Michaël Jungers, directeur général de cette organisation.

« Nous accédons au foncier grâce aux volontés municipales : ce sont soit des terrains bradés, soit les maires réussissent à convaincre les propriétaires privés de vendre à des prix abordables. »

Certaines collectivités interviennent plus directement : « Notre plan local de l’habitat stipule que dans toute opération de construction de plus de 15 logements, une part doit être réservée aux BRS », souligne Nathalie Demeslay, responsable du service habitat de la métropole de Rennes. L’OFS « Rennes Foncier Solidaire », entièrement financé par Rennes Métropole, rachète alors des logements à l’aménageur responsable de l’opération.

Risques d’effets pervers

En l’absence d’aides publiques, d’autres OFS font appel à des emprunts de très longue durée auprès de la Caisse des dépôts. Ces prêts sont ensuite remboursés grâce à la célèbre redevance facturée aux ménages. « Plus le foncier est coûteux, plus la redevance sera élevée », observe Jean-Emile Barra. À l’inverse, les OFS qui ne recourent pas à l’emprunt réussissent à proposer des redevances très faibles – 0,15 € / m² à Rennes par exemple.

Arnaud Portier, directeur de l’EPFL Pays basque, met en garde contre les effets négatifs potentiels de ce système :

« Certains promoteurs en tirent parti pour faire grimper les prix du foncier, conscients que les collectivités s’aligneront pour pouvoir produire du BRS ». Pour cette raison, son OFS évite d’inclure des collectivités en son sein : « Nous ne souhaitions pas faire face à la pression d’élus désireux d’entreprendre des opérations en BRS, ce qui nous aurait contraints à racheter des terrains acquis par des promoteurs privés à des prix déconnectés de la réalité. »

Face à ces dérives potentielles, plusieurs OFS assument un rôle de régulateur, qu’ils aient recours ou non à l’emprunt. Certains fixent des prix plafonds pour l’achat de leur foncier. « Nous établissons nos prix d’achat sur la base d’une redevance se situant entre 1 et 1,50 € le m² », explique alors Mickaël Jungers.

Cette rigueur empêche parfois le développement de BRS dans des zones très tendues, où les prix demeurent trop élevés, d’autant plus sans soutien politique. « L’OFS ne peut pas à lui seul réguler les prix du foncier, c’est le rôle des collectivités », défend Juliette Grenier, chargée de mission à la Fédération des Coopératives HLM.

Les ménages modestes en danger d’exclusion ?

La montée des taux d’intérêt et des coûts de construction ces dernières années a poussé les autorités publiques à augmenter les plafonds de revenus des ménages éligibles aux BRS pour pouvoir proposer des biens à des prix plus élevés. Même si les prix réels des logements restent en dessous des plafonds légaux, cette révision pourrait exclure les accédants les plus modestes.

Selon les projets et le nombre de demandes, certains OFS établissent donc des critères additionnels : priorité aux familles monoparentales, aux primo-accédants… Le montant de la redevance influe également sur les profils des acquéreurs, explique Hélène Morel :

« Elle a le potentiel d’être solvabilisatrice : lorsqu’un bien propose une redevance très élevée et un prix de vente très bas, cela permet d’attirer des ménages avec une faible capacité d’endettement. »

Malgré ces garde-fous, d’autres facteurs risquent potentiellement d’exclure à long terme certains accédants modestes, comme le souligne Jean-Emile Barra. « Un ménage qui souhaite racheter un logement en BRS à un premier acquéreur devra être éligible au dispositif, mais n’aura ni accès au PTZ, ni aux autres avantages fiscaux », rappelle-t-il.

Par ailleurs, certains observateurs s’inquiètent de la situation des revendeurs qui pourraient se retrouver « bloqués à vie » dans des BRS puisqu’ils ne peuvent réaliser de plus-value à la revente et, par conséquent, s’aligner sur des prix de marché, qui ont souvent considérablement augmenté entretemps.

Face à tous ces défis et à la grande flexibilité permis par la loi de 2014, les OFS demeurent les garants d’une application réfléchie du dispositif. Bien qu’ils semblent accomplir leur mission de manière satisfaisante, certains peinent à développer de nombreuses opérations faute de soutien politique ou bancaire. De plus, à ce jour, le BRS reste encore peu connu des ménages.

L'invité du jour - Laurent Jaoul, le premier magistrat de Saint-Brès souhaite postponement de la ZFE.

HERAULT NEWS

L’invité du jour – Laurent Jaoul, le premier magistrat de Saint-Brès souhaite postponement de la ZFE.

Alors que la zone à faibles émissions (ZFE) de Montpellier va entrer dans une nouvelle phase le 1er janvier prochain avec l’interdiction des véhicules Critair 3, le maire de Saint-Brès, Laurent Jaoul, demande un moratoire sur cette initiative.

Vingt-cinq maires sur les 31 de la métropole souhaiteraient se réunir en conseil municipal pour plaider en faveur d’un report de la ZFE, la zone à faibles émissions qui est censée entrer en vigueur le 1er janvier 2025.

Deux points de vue s’affrontent sur cette question : celui de la Métropole, qui souligne les centaines de décès prématurés dus à la pollution de l’air, et celui des détracteurs, qui défendent les intérêts de ceux qui ne seront pas nécessairement en mesure de changer de véhicule d’ici la date limite.

Le maire de Saint-Brès, Laurent Jaoul, a adressé une lettre au Premier ministre Michel Barnier, en demandant un report de cette ZFE, “idéalement après les élections municipales, donc après 2027, afin que les citoyens aient le temps de s’organiser”.

Jean-Denis Combrexelle : « L'abondance de normes encourage le questionnement de l'Etat de droit »

ECONOMIE

Jean-Denis Combrexelle : « L’abondance de normes encourage le questionnement de l’Etat de droit »

« Il y a trop de règles ! » Combien de fois avons-nous entendu ce constat de la part d’un segment de la classe politique, et encore plus fréquemment de la part des syndicats patronaux ?

À travers ses nombreuses fonctions, comme directeur général du Travail, juge au Conseil d’Etat, et directeur de cabinet de la Première ministre Elisabeth Borne, Jean-Denis Combrexelle a occupé une place centrale dans la haute administration française, celle qui génère des normes.

Dans son livre Les normes à l’assaut de la démocratie (Odile Jacob), il aborde l’inflation normative en France et souligne les multiples mécanismes par lesquels la technocratie a tendance à engendrer trop de normes.

Cependant, il ne perd pas de vue que sur ce marché, la demande de normes variées, en particulier de la part des entreprises, est cruciale ! Sans oublier l’influence des juges et des régulations européennes. Un panorama de la machine à générer des normes et ses répercussions sur l’économie française.

Quel est le positionnement de la France concernant l’encadrement normatif de l’économie ?

Jean-Denis Combrexelle : La France se situe dans la moyenne supérieure des pays européens : notre tradition étatique de production de normes est significative. Cependant, si l’on additionne les règles des gouvernements fédéraux et des cantons en Allemagne ou en Suisse, on arrive à des niveaux similaires.

Le véritable enjeu en France réside davantage dans l’inflation normative, car notre rythme de création de nouvelles normes est élevé. Ce phénomène est en partie dû à notre tradition d’État. Par exemple, lors de la canicule de 2006, c’était le ministre du Travail qui se rendait sur les sites de construction pour ordonner la distribution de bouteilles d’eau ! Dans de nombreux pays, cela relèverait de la responsabilité des entreprises.

Est-il possible de dire si ce haut niveau de normes constitue un problème pour la France, et peut-on en évaluer le coût ?

J.-D. C. : Je ne suis pas ici pour affirmer que les normes sont superflues. L’État de droit requiert des normes pour éviter que les rapports de force ne dominent. Montesquieu l’a exprimé de manière plus éloquente. Nous manquons d’éléments pour évaluer précisément le coût d’un excès de normes. Certaines sont indispensables, d’autres superflues voire nuisibles, mais il est complexe de déterminer leur répartition. Des avancées sont nécessaires à cet égard.

L’État est le principal producteur de normes en France. Passons en revue les éléments qui le poussent à générer une inflation normative, en commençant par sa volonté d’exhaustivité.

J.-D. C. : C’est une question de culture. La haute fonction publique regroupe de jeunes professionnels compétents, qui ne comptent pas leurs heures et qui veulent tellement bien faire qu’ils tombent dans le syndrome du Pont de la rivière Kwaï, un roman de Pierre Boule où un officier anglais prisonnier s’efforce tant d’être à la hauteur qu’il construit un splendide pont pour l’ennemi ! La technocratie aspire à produire des normes tellement parfaites qu’elle cherche à couvrir tous les cas imaginable. Il faudrait parvenir à accepter l’idée que tout ne peut pas être parfait.

Prenons l’exemple des 35 heures. En simplifiant, dans les anciennes lois, on aurait pu simplement substituer 39 heures par 35 heures. Au lieu de cela, toutes les compétences mobilisées ont entraîné l’élaboration d’une structure complexe du temps de travail, incluant jusque dans le détail le temps de déshabillage. Je ne remets pas en cause le choix politique, mais techniquement, nous avons été trop loin : il aurait été préférable d’établir des principes et de laisser la négociation collective trancher les détails, comme cela a été fait ultérieurement en 2016, car ce qui est applicable à une entreprise d’un secteur ne s’adapte pas nécessairement à une autre.

Autre illustration : lorsqu’on a instauré l’interdiction de fumer dans les lieux de travail. Alors que j’étais directeur du Travail, aussi bien les médias que les représentants des entreprises me réclamaient des précisions sur la procédure à suivre si un employé descendait fumer et se faisait percuter par une voiture !

Il y a aussi la volonté de contrecarrer l’optimisation et les situations abusives…

J.-D. C. : La mise en place d’un dispositif implique des coûts, donc les services cherchent légitimement à éviter l’optimisation fiscale et l’abus social. Dans la pratique, cependant, les fonctionnaires passent la plupart de leur temps à créer des normes anti-fraude, et beaucoup moins à établir les principes des dispositifs. En fin de compte, en encadrant excessivement, on alourdit la contrainte administrative pour les citoyens honnêtes, sans entraver les fraudeurs qui trouveront toujours des moyens de contourner les règles : un excès de paperasse ne changera rien.

La norme étatique devrait définir des principes et laisser leur application à des instances comme le préfet, le directeur régional d’administration, ou le maire. Cela implique, par exemple, que si vous introduisez une nouvelle prime pour les entreprises, il faut accepter que son application ne soit pas interprétée de la même manière à Dunkerque qu’à Marseille. On n’est pas encore prêt à l’accepter en France tant notre attachement au principe d’égalité est fort.

Un autre problème est que chaque législation évolue dans son propre « couloire »…

J.-D. C. : Cela découle d’une logique administrative : chaque administration suit sa propre logique et ne prend pas suffisamment en compte, malgré de nombreuses réunions interministérielles, les effets combinés de « sa » loi et des autres lois gérées par d’autres ministères sur les entreprises et les particuliers. Par exemple, les régulations concernant les travailleurs étrangers touchent plusieurs ministères – Travail, Intérieur, Justice – et chacun opère selon sa propre logique.

Le plus inquiétant, c’est que tout cela a été théorisé par ce qu’on appelle le principe de l’indépendance des législations. Si une entreprise déclare : « Ce que exige votre norme m’impose des difficultés par rapport à une autre norme », la réponse sera que son argument est « inopérante », qu’il existe peut-être d’autres législations, mais que cela ne remet pas en cause l’injonction contradictoire à laquelle l’entreprise est soumise.

Vous décrivez un processus long alors qu’on a souvent l’impression que les lois sont faites rapidement et maladroitement.

J.-D. C. : Après avoir traversé le bureau administratif, la loi se rend à l’Assemblée, et il est possible de se retrouver avec des centaines, voire des milliers d’amendements. J’ai passé beaucoup de temps au Parlement, et il arrive un moment où l’on perd la vision d’ensemble. Entre le dépôt d’une loi et sa promulgation, le nombre d’articles peut augmenter d’environ 2,5, et dans des cas exceptionnels, cela peut grimper jusqu’à 10 !

Lorsque vous étiez directeur du Travail, vous avez participé à une recodification du Code du travail et ensuite à sa révision suite à votre rapport sur la négociation collective : le nombre d’articles a doublé…

J.-D. C. : Il y a une explication technique à cela : le principe d’« incompétence négative ». Si la loi détermine, par exemple, le taux de rémunération des heures supplémentaires, elle ne peut pas simplement affirmer : « Dorénavant, je laisse l’application aux partenaires sociaux. » La loi doit encadrer la négociation, fixer des minima et d’autres paramètres, etc. Cela a permis d’améliorer le contenu du code sans nécessairement réduire le volume.

Vous avez beaucoup œuvré sur ce sujet : quel état des lieux faites-vous du dialogue social actuel ?

J.-D. C. : Lorsque la direction des ressources humaines et les syndicats sont de bonne volonté, cela se passe bien au niveau de l’entreprise. Pour les branches, les organisations professionnelles n’ont pas toujours les ressources nécessaires pour négocier, ce qui souligne l’importance de restructurer les branches, tout en évitant de tomber dans une logique bureaucratique.

Le niveau le plus compliqué est celui des négociations interprofessionnelles. Il est ardu de concilier les syndicats, les organisations professionnelles et l’État. Ce dernier peut affirmer : « Ce n’est pas parce que les deux autres acteurs sont d’accord que je l’accepte, car un intérêt général que je considère non respecté prédomine. » Or, comme je l’ai constaté, les organisations professionnelles peuvent faire preuve d’une certaine méconnaissance vis-à-vis de l’État et qualifier ses demandes d’illégitimes. Il est impératif que tous les acteurs communiquent et se respectent mutuellement.

De manière concrète, le Code qui contient le plus d’articles est celui de la santé publique, suivi du Code du travail : sont-ils pleins de normes superflues ?

J.-D. C. : Il sera difficile de réduire l’ensemble de normes existant. Je propose de commencer par diminuer le flux. Il faut en finir avec l’habitude de créer une loi après chaque actualité. Pour un ministre, il est paradoxalement plus facile de répondre à un événement en déclarant : « Je vais légiférer. »

Les communicants, qui occupent une part disproportionnée, encouragent d’ailleurs cette idée. Pour le système politico-médiatique, si aucune loi n’est adoptée, c’est comme si rien n’était fait ! Si l’on mobilisait l’expertise de l’administration pour évaluer les résultats des lois passées dans le but de réduire les normes, cela bénéficierait au pays.

Beaucoup de politiques vous rejoignent sur ce point, plaidant pour des « chocs de simplification », des « comités de la hache ». Agissent-ils avec de vraies intentions politiques ?

J.-D. C. : Tous les politiques ne sont pas cohérents, ni même sincères, dans ce discours… Les chocs de simplification ne sont jamais apolitiques, car il y a toujours des choix importants à faire. Les politiques laissent entendre que seule l’administration est responsable des problèmes, et qu’il suffit de l’exposer à la réalité pour qu’elle change. Ils souhaitent agir sur l’offre de normes plutôt que sur la demande de normes, mais cela ne fonctionne pas ainsi ! Il existe également une forte demande pour des normes.

Quel rôle faudrait-il assigner aux garde-fous contre l’inflation normative : études d’impact en amont et évaluation des politiques publiques en aval ?

J.-D. C. : Les études d’impact sont là pour évaluer ex ante l’efficacité potentielle d’une loi, mais elles sont réalisées par les services qui conçoivent le texte. Ces études sont également influencées par le politique. Ainsi, pour un candidat élu démocratiquement avec l’objectif de créer un contrat de génération entre jeunes et seniors, il n’ira pas dire que l’étude d’impact montre des résultats peu probants : il veut que sa mesure soit mise en œuvre.

La France s’appuie peu sur l’évaluation des politiques publiques. Je plaide pour que les chercheurs s’engagent davantage dans ce domaine, même si cela représente un exercice délicat et que beaucoup d’entre eux craignent, à tort, de se compromettre avec le pouvoir.

Les acteurs de la société civile expriment une forte demande pour des normes. Première raison : chaque groupe souhaite faire reconnaître ses spécificités.

J.-D. C. : L’expression que j’ai le plus souvent entendue durant ma carrière, c’est : « Nous sommes spécifiques » ! Et chacun désire que l’État traduise cette spécificité à travers les normes. L’administration commence par repousser ces demandes, mais dès qu’une porte s’ouvre, d’autres acteurs dans des situations similaires formulent la même requête. Cela alimente l’inflation normative. Par exemple, durant la pandémie de Covid, lorsque certaines contraintes ont été assouplies pour les théâtres ou les cinémas afin de soutenir la culture, les libraires ont rapidement demandé un traitement identique.

Deuxième raison : les acteurs économiques recherchent une sécurité juridique.

J.-D. C. : C’est un point fondamental, car cela concerne les relations avec la justice. Les chefs d’entreprise doivent savoir où se situe clairement la limite entre ce qu’ils peuvent ou ne peuvent pas faire. En cas de dépassement, ils risquent des sanctions administratives, pénales, et des atteintes à leur réputation – les fraudeurs volontaires étant l’exception. Les organisations patronales réclament constamment une simplification des normes tout en souhaitant parallèlement l’ajout de règles pour garantir leur sécurité juridique.

Elles tentent ainsi de répondre à l’énorme pouvoir des juges administratifs, civils et commerciaux, qui exercent leur influence à partir d’une certaine vision sociétale. La frontière est donc définie par la loi et la jurisprudence, et elle reste floue. Les organisations patronales estiment que plus la loi est précise, plus elle les protégera des jugements, ce qui est une vue simpliste : le pouvoir d’interprétation de ces juges est large et indépendant.

En contrepartie, il est essentiel que les juges soient plus en phase avec la société, en acceptant, tout en respectant leur indépendance, de dialoguer « à froid » avec les entreprises, les syndicats de travailleurs, les maires, etc., afin d’évaluer les impacts de leurs décisions et de considérer des enjeux au-delà du cadre purement juridique.

Le Premier ministre Michel Barnier a suggéré que la France surtransposa les directives européennes, est-ce une réalité ?

J.-D. C. : Cela résulte de plusieurs facteurs. Lorsque l’on introduce une directive européenne, la réaction initiale de l’administration française est souvent de la juger mal conçue et de chercher à la réécrire lors de sa transposition. Par la suite, si cette nouvelle loi est acceptable, on tend à considérer que l’ancienne loi nationale était de meilleure qualité… Ainsi, on se retrouve avec les deux qui coexistent, sur le fond et l’application.

De plus, si une directive indique, par exemple, qu’il doit y avoir une valeur limite de 10 pour une substance chimique, alors qu’une agence française d’évaluation du risque préconise 8, le fonctionnaire qui valide le passage de 8 à 10 prend des risques sur le plan pénal en cas de problème. Par conséquent, il cherchera à conserver le 8. Cela dit, d’importants progrès ont été réalisés ces dernières années, et la surtransposition a diminué. Il faut également reconnaître que la surtransposition n’est pas toujours synonyme de négativité, elle peut revêtir un intérêt.

Comment réduire effectivement l’inflation normative ?

J.-D. C. : Il faut reconstruire des espaces de dialogue où les gens peuvent échanger et parvenir à des compromis, à l’image de ce qui se faisait dans les commissions du Plan. Pour cela, il est nécessaire que les organisations professionnelles deviennent plus conceptuelles, en développant une vision au lieu de se limiter à des postures, notamment antiétatiques.

Il n’existe pas de solution miracle. Toutefois, si nous ne parvenons pas à gérer cette situation, en produisant plus de normes que de résultats, les citoyens auront une impression encore plus forte d’écart entre la création des normes par l’État et l’amélioration de leur quotidien. Cela peut conduire à des constats selon lesquels la démocratie n’est pas efficace et qu’il faudrait réduire le cadre de l’État de droit. C’est là un véritable danger politique associé à l’inflation normative.

Face aux coupes budgétaires, les maires alertent : « Vous voulez nous mettre à l’os ? »

INVESTIGATIONS

Face aux coupes budgétaires, les maires alertent : « Vous voulez nous mettre à l’os ? »

Privés d’au moins 5 milliards d’euros dans le projet de loi de finances 2025, les élus locaux fustigent, tous bords politiques confondus, les décisions du gouvernement Barnier. Trois maires racontent à Mediapart les conséquences concrètes que pourraient avoir ces décisions dans leur ville, en particulier pour les services publics et l’investissement dans l’adaptation climatique.

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Le Congrès des maires de France, dernière chance de Macron de se réconcilier avant la présidentielle

via Associated PressMacron (ici le 17 septembre 2021) en opération séduction avec les maires, à cinq mois de la présidentielle. POLITIQUE – Ses bien chers maires. Emmanuel Macron repart cette semaine à la conquête des édiles de France, réunis en Congrès à Paris pour élire leur nouveau représentant. Au-delà de la succession houleuse de François Baroin -auquel succédera finalement le maire LR de Cannes David Lisnard-, il s’agit pour le chef de l’État de la dernière occasion avant la présidentielle 2022 de convaincre ces relais de terrain du bien-fondé de son action à l’Élysée. Pour ce faire, le président de la République met les petits plats dans les grands. Il a reçu, dans un premier temps, une importante délégation, composée de quelque 1000 élus, ce mercredi 17 novembre au soir à l’Élysée, avant de clore leur grand raout ce jeudi à la porte de Versailles de Paris. Un tango en deux temps qui tranche avec les premières années du quinquennat. Copieusement hué pour son discours en 2017, Emmanuel Macron avait boycotté ce rendez-vous pourtant rituel dans la sphère politique l’année suivante. Mais à quelques encablures de la présidentielle, il n’est plus question de négliger ces élus tendance “ancien monde”. Cajoleur  Désormais, nous dit l’Élysée, il s’agit, pour le chef de l’État, de “remercier les maires pour leur rôle” durant la pandémie, de parler de son “ambition pour les territoires” et de “dessiner des perspectives liées aux enjeux” qui les attendent. Comprendre: le discours d’Emmanuel Macron devrait mêler satisfecits, projections vers l’avenir et besoin de décentralisation. Un dernier thème que l’exécutif n’a pas été très prompt à porter, au grand dam de ces édiles, souvent loués comme des rouages essentiels de la vie publique. Plus largement, la relation entre les élus locaux et le président de la République a commencé sous le signe d’une franche hostilité, née de…