À l’intérieur de l’industrie florissante du ‘pimping’ d’IA
Des influenceurs générés par l’IA à partir d’images volées de créateurs de contenu pour adultes de la vie réelle inondent les réseaux sociaux.
Des influenceurs générés par l’IA à partir d’images volées de créateurs de contenu pour adultes de la vie réelle inondent les réseaux sociaux.
Les images de guerre et de conflits domestiques de Peter van Agtmael sont saisissantes et presque cinématographiquement épurées, mais c’est l’arc narratif soigneusement construit de son nouveau livre, “Look at the U.S.A.”, qui approfondit l’expérience du spectateur.
Il a fallu moins de vingt-quatre heures après la réélection de Trump pour que de jeunes hommes adoptent un slogan qui pourrait définir l’ère à venir de régression genrée : « Votre corps, mon choix. »
« Nous sommes en direct de la salle de sport pour réaliser la séance Women édition. » Le Raptor – précédemment connu sous le nom de Raptor Dissident, de son vrai nom Ismaïl Ouslimani – fait le beau sur une plage des Maldives. « Le cadre est somptueux ! » Dans cette vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, le vidéaste comptant 750k abonnés sur YouTube promeut activement son programme de remise en forme : Zero to Hero. L’ancien acolyte de l’antisémite Alain Soral et vétéran de la fachosphère s’efforce depuis quelque temps de se réinventer en tant que coach sportif et en nutrition. Il filme sa compagne, casquette rose sur la tête : Betty Autier, 1,2 million d’abonnés sur Instagram, en pleine séance d’exercice. Une publicité pour le moins inattendue venant de cette pionnière du blogging des années 2000.
Depuis plusieurs années, les deux influenceurs affichent leur amour au grand jour. /
Crédits : DR
Depuis plusieurs années, les deux influenceurs exposent leur amour au grand jour sur les réseaux. Désormais, Betty Autier joue même le rôle d’égérie : depuis janvier 2024, elle met en avant une story sur son compte Instagram pour vanter les qualités de « Raptor Nutrition », la marque de compléments alimentaires de son partenaire. La créatrice de contenu propose aussi un code promo à son nom. « De ma compagne, j’attends une relation de conseil… réfléchie », explique Le Raptor dans l’émission à succès sur l’actualité entrepreneuriale Sans permission, diffusée le 5 septembre 2024 :
« Elle m’a soutenu dans mes entreprises, dans ma façon de communiquer. J’attends d’elle qu’elle soit une femme et une mère à part entière. »
Le Raptor, youtubeur emblématique de l’extrême droite, est conseillé par sa femme, Betty Autier. /
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Betty Autier a toujours cultivé une image de it-girl accessible, pétillante et sans drame. Cette stratégie lui a permis de se frayer un chemin jusqu’aux zones VIP des défilés de mode et de signer des contrats à 500.000 euros avec des marques de luxe prestigieuses. Son unique combat a peut-être été de dénoncer dans son autobiographie le body shaming dont elle a été la cible, ainsi que de parler de ses troubles alimentaires. Le Raptor, quant à lui, s’est imposé comme le porte-voix de la fachosphère sous couvert d’humour. Il a attiré l’attention en 2015 pour ses attaques contre les luttes antiracistes, ses remarques misogynes et ses injures. En 2018, il co-fonde avec le vidéaste d’extrême droite Papacito le groupuscule Vengeance Patriote, cherchant à former ses militants au combat et à la gestion des armes, comme l’a rapporté StreetPress en 2020. « Dans l’entourage de Betty, il doit y avoir des homosexuels, et le féminisme doit être bien perçu, ce n’est pas très bon pour son entreprise », interpelle l’antisémite Alain Soral dans une vidéo d’août 2018, énième épisode du clash Internet entre lui et Le Raptor.
À LIRE AUSSI : Vengeance Patriote, le groupe d’extrême droite qui forme ses partisans pour le combat
Betty Autier fait la promotion des compléments alimentaires Raptor Nutrition. /
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La romance entre la modeuse et le leader de la virilosphère aurait débuté vers 2017. D’abord discrets, ils apparaissent ensemble depuis 2020. On les aperçoit notamment à Venise, posant en tenue de bal de style renaissance italienne. « Un couple au sommet de l’Olympe », « un couple royal », commentent plusieurs internautes. Le duo met même en scène ses deux chiens Shar Pei. Bien que Le Raptor cherche à se donner une image glamour, ses positions réactionnaires demeurent présentes. Un exemple étant une photo d’un des chiens publiée au début de leur relation, où le chiot est dans les bras d’Henry de Lesquen, un défenseur du négationnisme et un adversaire de « la musique nègre ». En légende, Le Raptor précise que le toutou est « adoubé » par l’ancien président du média d’extrême droite Radio Courtoisie. « Peux-tu en dire autant ? », termine-t-il, avec sa question rhétorique signature.
Dans la famille Dissident : Betty Autier, Le Raptor, leur petit garçon et leurs Shar Pei. /
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En septembre, Le Raptor a même marqué son retour sur la toile avec une vidéo complotiste : « Pour détruire l’arnaque climatique », qui a suscité près de 800.000 vues. « Vous êtes la proie d’une manipulation mondiale », déclare-t-il :
« [Les influenceurs] ne s’exposent pas beaucoup aux risques en choisissant le camp de la propagande pour espérer capter l’attention d’un public composé de personnes vulnérables (…) c’est-à-dire de femmes avec des problèmes familiaux sous anxiolytiques et de geeks qui espèrent séduire en adoptant les mêmes idées que les femmes au profil psychologique douteux. »
Betty Autier réagit avec un emoji rockstar : la main avec l’index et l’auriculaire levés. Et peu importe les contradictions ! Végétarienne pendant environ vingt ans – aujourd’hui convertie – elle a lancé en décembre 2022 une marque de cosmétiques « cruelty free », qui exclut les tests sur animaux. Elle propose également un masque « en fibre 100% naturelle et biodégradable ». L’influenceuse a aussi ajouté un emoji « poignée de main » sur le post annonçant début novembre le nouveau format vidéo du Raptor et de son partenaire Papacito, intitulé : « On explose les grandes sagas du cinéma. »
Betty a lancé des cosmétiques « cruelty free », tandis que Le Raptor adopte une position climatosceptique.
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Au cours de ce face-à-face, Le Raptor cible la militante et vidéaste Marion Seclin, une de ses cibles favorites parmi les féministes, qui selon lui, portent une lourde responsabilité dans le déclin masculin. Il en profite pour complimenter sa femme, qui semble vouloir se distancer de ces luttes politiques :
« Par le passé, les féministes voulaient devenir des blogueuses. Elles n’ont pas connu le succès escompté et donc elles qualifiaient de superficielles les femmes ayant réussi à créer une communauté parce qu’elles avaient bon goût. Prenons l’exemple de Betty : elle, elle avait du goût pour la mode (…) Elle m’a fourni des informations, j’ai deux ou trois noms de mécontentes bien connues. »
Pas de quoi ternir l’image de Betty Autier. La fashion victim a établi plusieurs partenariats avec des marques renommées : les cosmétiques Bourjois, les cafés L’Or Espresso ou les chaussures Vanessa Wu. En 2019, elle a même reçu en cadeau de la prestigieuse chaîne d’hôtels Sofitel un séjour à Rome, qu’elle a partagé avec son partenaire. Plus récemment, en 2023, la famille s’est vu offrir une suite par l’établissement 5 étoiles le Saint Régis, à Florence. L’équipe hôtelière a décoré la chambre avec des ballons dorés, des photos imprimées de la petite famille et des stickers Zero to Hero, la marque du Raptor. « Ce sont des attentions qui font vraiment plaisir », s’émerveille l’influenceur tout en visitant les lieux, conquis par cette nouvelle notoriété. Il s’extasie devant des meubles en cuir d’une marque de luxe :
« Si vous ne connaissiez pas, n’ayez aucune honte, moi je ne connaissais pas avant, c’est Betty qui m’a un peu ouvert les yeux sur ce monde-là. »
Betty Autier a établi des partenariats avec Bourjois, L’Or Espresso, Vanessa Wu, Accor, Marriott… /
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Depuis deux ans, le couple se consacre à une mini-série de vlogs lifestyle, bien éloignée des habitudes du Raptor : une escapade à la plage de Palombaggia en Corse, la visite d’une villa louée avec quelques amis à Hyères (83), la découverte de leur nouvelle propriété à Florence en Italie, suivie de leur achat à Kéa, en Grèce. Devant le miroir de leur dressing, le vidéaste commente avec soin ses costumes, tandis que sa compagne s’applique à lisser ses cheveux. Lui, en chemise en lin et mocassins en daim, elle, dans une robe en satin et des sandales avec des froufrous roses. Il demande même à ses abonnés de voter pour classer ses tenues préférées. Imposant ainsi un « art de vivre » à la sauce masculiniste, qu’il précise dans une de ses vidéos de coaching :
« Avoir une apparence esthétique est un atout inestimable qui élève nos standards et nos résultats dans tous les domaines de la vie. Que ce soit la posture, la confiance en soi, notre allure plus masculine et plus puissante génère davantage de respect et d’attraction. (…) Nous établissons des relations sociales de meilleure qualité, nos relations amoureuses s’épanouissent. »
Quand le monde de la mode et l’extrême droite se côtoient harmonieusement. /
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Au-delà des vêtements, Le Raptor tisse à travers ses publications un discours sur le modèle familial traditionnel. « La cellule familiale est le pilier d’une nation », déclare-t-il dans l’émission Sans permission. « Je suis le chef de la famille », rappelle-t-il également dans une story à Londres en juin 2023, avec Betty Autier souriante derrière lui. Dans la légende d’une photo où il pose avec son enfant, il écrit :
« Laisse un cœur rouge si tu envies mon porte-bébé de hippie asthmatique. »
Le Raptor défend à travers ses posts l’idée d’une famille traditionnelle. /
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Pour Betty Autier, les répercussions de cette relation sont moins reluisantes. Elle a régulièrement été la cible de commentaires d’incels, des hommes qui adhèrent à la vision masculiniste de son partenaire. Sur le forum Blabla 18-25 ans de jeuxvideo.com, antichambre de la manosphère, elle est qualifiée de différents termes misogynes concernant son physique. Sur les réseaux sociaux, l’influenceuse a également subi de violents attacks de harcèlement après son accouchement en 2020. Elle réagit quelques jours après :
« J’ai tout de même réussi à encaisser quelques commentaires désobligeants (…) sur ma prétendue chirurgie esthétique ratée. Je ne suis pas du genre à répondre à ce genre de choses, mais c’est quoi ce délire ? Je suis juste une femme qui vient d’accoucher, avec les yeux rouges et le visage irrité par des larmes salées. Lui [Le Raptor] m’a pourtant trouvée belle toute cette journée-là. »
Les marques Vanessa Wu, Bourjois, les hôtels Sofitel et Saint Régis n’ont pas répondu à nos demandes. Nous avons été dans l’impossibilité de joindre le service presse de L’Or Espresso.
Ni Betty Autier ni Ismaïl Ouslimani n’ont répondu à nos sollicitations d’interviews.
Illustration de Une : Caroline Varon
Une innovation technologique reposant sur l’intelligence artificielle nous offre une protection contre la reconnaissance faciale inappropriée sur Internet. Nommé « Chameleon », ce modèle génère des masques numériques invisibles pour nos images personnelles. Cela empêche les cybercriminels de les exploiter sans notre autorisation.
Êtes-vous conscient que partager nos images en ligne nous expose au danger de voir notre vie privée compromise par la collecte illégale d’images faciales ?
De plus, les cybercriminels et d’autres individus malintentionnés peuvent effectivement tirer parti de ces bases de données d’images pour réaliser des fraudes d’identité, du harcèlement et d’autres crimes.
À ce propos, nous pourrions facilement devenir des victimes et des cibles aisées pour des publicités et des attaques ciblées indésirables.
Vous pensez sûrement qu’il existe déjà des systèmes fournissant ce type de protection.
Cependant, contrairement aux solutions présentes, y compris celles qui appliquent divers masques à chaque image, Chameleon produit un masque de préservation de la vie privée unique et adapté (P-3) pour toutes les images d’un utilisateur donné.
<p Il va donc générer un masque à partir de quelques photos fournies par l'utilisateur. Une fois celui-ci appliqué, les images protégées ne seront plus détectables par les systèmes de reconnaissance faciale, qui les considéreront comme appartenant à une autre personne.
Développé par une équipe de recherche de Georgia Tech et de l’Université de Hong Kong, Chameleon vise deux objectifs principaux. D’abord, protéger l’identité de l’individu tout en maintenant une différence visuelle minimale par rapport aux images d’origine.
Les tests ont d’ailleurs prouvé que Chameleon dépasse les principaux systèmes existants en matière de performance et d’efficacité.
À l’avenir, les chercheurs ambitionnent d’étendre les domaines d’application de Chameleon. En particulier pour entraver l’usage non autorisé d’images dans la formation de modèles d’intelligence artificielle génératifs.
Ils envisagent également de publier le code de Chameleon sur GitHub afin de permettre à d’autres de continuer cette œuvre de sauvegarde de la vie privée des données visuelles.
LeLe Havre (Seine-Maritime).– « La situation demeure préoccupante et floue. » En ce début d’automne, Dominique Mutel exprime clairement son inquiétude. Ce syndicaliste de la CGT, maintenant à la retraite, dirige le comité de défense des Ehpad publics de la région havraise, Les Escales. Ce groupe « citoyen » a été constitué il y a quelques mois, en plein cœur de la crise. Plusieurs mois se sont écoulés, mais l’avenir des six établissements dispersés dans la ville portuaire, qui accueillent près de 650 résident·es, reste toujours incertain.
Connections: Sports Edition est un jeu de mots du New York Times qui consiste à trouver des liens communs dans le domaine du sport entre des mots. Comment résoudre le puzzle.
The Diplomat, Heartstopper et Hellbound ne sont que quelques-unes des émissions que vous devez regarder sur Netflix ce mois-ci.
Ou du moins, c’est ce qu’affirme un chercheur controversé de Stanford, qui constate que les derniers systèmes ont, contre toute attente, maîtrisé une compétence cognitive de haut niveau.
Les élections semblent remonter à une époque lointaine, et le résultat du scrutin est presque oublié, tant la vie politique paraît immuable. Cependant, il est essentiel de se pencher sur un phénomène qui mérite notre attention. Plus de 20 % des enseignants auraient opté pour le rassemblement national (RN) lors des dernières élections. Pourquoi cet électorat, habituellement de gauche, paraît-il également en train de changer de cap ?
Selon les études menées par le politologue Luc Rouban, alors que la moitié des enseignants continuent de voter à gauche, près d’un enseignant sur cinq glisserait aujourd’hui un bulletin d’extrême droite dans l’urne.
Ce chiffre de 20 % est globalement équivalent à celui observé lors du premier tour de l’élection présidentielle de 2022. En revanche, en 2012, le RN, désigné alors sous le nom de Front national, ne recueillait que 3 % des intentions de vote des enseignants.
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Luc Rouban a néanmoins souligné que « le vote des enseignants dans le secteur public demeure toujours plus à gauche que celui des autres agents de la fonction publique ». Pour lui, ce chiffre de 20 % d’enseignants ayant voté pour des candidats de la droite radicale « paraît faible comparé aux 47 % que rassemble cette droite auprès des policiers et militaires. » Cependant, « cela témoigne d’un changement majeur dans le milieu enseignant, qui, jusqu’à présent, était considéré comme un bastion de résistance contre l’extrême droite ».
Une partie significative des enseignants de droite a désormais basculé vers le RN. De plus, il existe également une convergence : les enseignants commencent à adopter des comportements de plus en plus similaires au reste de la population. Bien que le vote pour le RN ne soit plus aussi tabou qu’auparavant, il reste encore discret dans les salles des professeurs.
Le chercheur Benjamin Chevalier, étudiant les enseignants affiliés au RN, met en lumière les stratégies de « gestion du stigmate », qui poussent souvent à s’éloigner des espaces de sociabilité que représentent les salles des profs. Cependant, les choses évoluent et les préférences politiques deviennent de plus en plus visibles. Quelles sont donc les motivations derrière cette droitisation (relative) du corps enseignant ? Qu’est-ce qui, dans le discours du RN, pourrait séduire les enseignants ?
Le discours du FN, longtemps anti-fonctionnaires, a évolué sous le RN, qui présente les enseignants comme des victimes d’un système et d’un excès de réformes. La question de la violence est également mise en avant, soutenue par les médias.
Dans son programme pour les législatives, Jordan Bardella évoquait le « dévouement des enseignants victimes d’une bureaucratie invasive et souvent lâche face aux agressions dont ils souffrent », en proposant leur revalorisation et la « restauration de l’excellence ». Ce discours pourrait séduire un milieu enseignant où le sentiment d’abandon côtoie la dépolitisation et une confusion grandissante.
Les enseignants forment-ils toujours un « bastion de gauche » ? En 2021, l’Observatoire de l’éducation de la Fondation Jean-Jaurès, en partenariat avec l’Ifop, a souhaité dresser un portrait des enseignants. L’étude réalisée par Jérôme Fourquet dépeignait « une population culturellement moins homogène et électoralement plus variée ».
L’expression, souvent employée, de « forteresse enseignante » montre ainsi ses limites et ne reflète pas la réalité d’un groupe qui n’a jamais été homogène. Comme évoqué, il existe toujours eu des enseignants de droite, voire d’extrême droite, mais auparavant, ils étaient peu visibles et leur voix inaudible en raison de la culture dominante et du contrôle social en salle des profs.
L’homogénéité n’était qu’apparente. La « matrice enseignante » (Jérôme Fourquet) est remise en question et n’arrive plus à garantir une culture commune. La sociologue Géraldine Farges évoque même les « mondes enseignants ».
Ce qui structurait cette supposée « forteresse » (déjà bien fragilisée) est en train de disparaître. Le triptyque FEN-MGEN-Maif, c’est du passé ! Autrement dit, les instances de socialisation secondaire ne font plus leur office, ou beaucoup moins efficacement.
En premier lieu, les voies d’entrée dans le métier se diversifient. Le parcours par l’école normale, devenue ensuite IUFM/Espé/Inspé, ne va plus de soi. Complètement tourné vers la préparation aux concours, le parcours de formation a perdu sa fonction socialisatrice.
Par ailleurs, la part des emplois précaires (« vacataires », contractuels et autres termes désignant ces postes) s’élève désormais à près de 25 % des emplois actuels. Cela risque de s’aggraver. Quelle identité professionnelle peuvent-ils se construire ? On sait que la précarité et le déclassement sont deux éléments marquants du vote RN.
Il convient également de noter qu’une part importante des enseignants ont exercé une activité professionnelle avant d’intégrer l’Éducation nationale, et qu’ils ont déjà forgé une identité, des normes et des valeurs qui ne seront pas fondamentalement modifiées par leur intégration dans le monde enseignant.
Bien que le taux de syndicalisation des enseignants demeure relativement élevé par rapport à la moyenne générale, cela peut parfois se révéler illusoire. Actuellement, 30 % d’entre eux sont syndiqués (contre 7 % dans la population active), mais ce chiffre était de 45 % dans les années 1990. De plus, la syndicalisation ne signifie pas nécessairement engagement. Les raisons d’adhérer à un syndicat sont souvent utilitaires et liées à la gestion des mutations. Le syndicat joue un rôle socialisateur moindre qu’auparavant, surtout auprès de personnes ayant des statuts et des revendications variés.
L’endogamie parmi les enseignants (le fait de s’unir avec quelqu’un du même groupe social) a diminué dans le premier degré, alors qu’elle s’accroît dans le second, où elle concerne un quart des couples. Néanmoins, cette baisse cache principalement la forte féminisation du corps enseignant.
Or, la socialisation politique est influencée par le milieu social du partenaire, et les conditions de vie peuvent varier considérablement chez les enseignants. Entre une professeure à la tête d’une famille monoparentale et celle qui partage la vie d’un cadre supérieur, le niveau de vie, tout comme les normes et valeurs, diffèrent grandement.
Le rapport au travail n’est pas le même. J’ai souvent évoqué combien le terme « vocation » devrait être écarté, tant pour ce qu’il implique que parce qu’il ne reflète plus la réalité de l’entrée et de la carrière dans ce métier. La profession n’est plus forcément perçue comme une longue traversée qui façonne toute une existence.
Évidemment, on ne choisit pas ce métier « par hasard », il existe nécessairement des valeurs qui lui sont associées. Toutefois, la notion de « vocation » – ou ce que l’on pourrait appeler le « sens du service public » ou « l’intérêt des enfants » – n’est plus une justification pour supporter le poids de l’autorité, la détérioration des conditions de travail et un déclassement connexe largement documenté.
De ce fait, les opinions politiques des enseignants deviennent de plus en plus sensibles aux idées conservatrices et même réactionnaires, surtout qu’elles les renvoient à une époque idéalisée où l’école fonctionnait (mais pour quels élèves ?) et où leur profession était respectée.
Pour mieux appréhender le conservatisme enseignant, il convient de rappeler que les enseignants sont souvent d’anciens « bons élèves » (et de moins en moins issus des classes populaires, malgré quelques « exceptions »). Pourquoi souhaiter changer un système qui vous a permis de « réussir » et qui vous a conféré un statut ?
« Si j’y suis parvenu avec du dévouement, pourquoi d’autres n’y arriveraient-ils pas ? C’est une question de volonté ! », « Il y en a qui sont “talentueux” et d’autres non. Il faut sélectionner en fonction du mérite » : ce sont des déclarations que l’on peut entendre en salle des profs. Elles peuvent paraître banales, mais elles méconnaissent les enseignements de la sociologie de l’éducation et constituent les bases du maintien d’un ordre inégalitaire.
C’est sur ce terreau de la détérioration des conditions de travail et d’une culture commune en déclin que s’épanouit un vote enseignant qui, à l’instar du reste de la société, devient de plus en plus réceptif aux idées réactionnaires et d’extrême droite.
Le vote RN des enseignants ne doit donc pas être uniquement évalué par une perspective morale. Il doit également être perçu comme un indicateur de l’état actuel du système éducatif et de ses personnels.
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