Pourquoi le solide bilan économique de Joe Biden n'a-t-il pas bénéficié à Kamala Harris ?

ECONOMIE

Pourquoi le solide bilan économique de Joe Biden n’a-t-il pas bénéficié à Kamala Harris ?

Les citoyens américains résidant dans un parc de mobile homes en Californie, ou près d’une usine désaffectée dans le Michigan, et ayant voté pour Donald Trump, ont-ils manqué de compréhension ? C’est ce qu’ont insinué certains analystes pour commenter la défaite des démocrates, soulignant le paradoxe entre cet échec électoral et le bilan économique plutôt positif du président en fonction, Joe Biden.

Sa tactique, axée sur un investissement public massif, un protectionnisme réajusté pour favoriser le développement des industries écologiques, ainsi que des augmentations fiscales, semblait avoir porté ses fruits : depuis l’entrée en fonction de Biden, l’emploi a augmenté de 12 %, le salaire moyen de 19 % et le taux de chômage est tombé à 4,1 %, approchant son plus bas historique. Tout cela tout en freinant l’envolée des prix causée par la pandémie de Covid et la guerre en Ukraine.

Plus qu’un simple slogan électoral, les « Bidenomics », appellation de cette stratégie économique, ont marqué un véritable changement idéologique aux États-Unis, avec le retour de l’État au cœur des préoccupations.

Pourtant, seulement un quart des personnes interrogées par CNN au lendemain des élections présidentielles estimaient que leur situation économique s’était améliorée par rapport à il y a quatre ans, les autres y voyant au mieux une stagnation, et souvent une dégradation.

Parmi ceux qui ont une vision négative de la situation économique, 70 % ont voté Trump. Comme en 2016, le magnat a reçu le soutien de la classe moyenne, que les démocrates espéraient bien récupérer.

Comment expliquer ce paradoxe apparent, entre un bon bilan macroéconomique pour Joe Biden et une désapprobation des électeurs vis-à-vis des démocrates en matière économique ?

Les attentes étaient élevées lors de l’investiture de Biden : le pays sortait d’une récession post-pandémie de Covid-19, la reprise demeurait fragile et le chômage atteignait 14,7 %. En réponse aux crises majeures, le président a débloqué des milliards de dollars en crédits d’impôts et allocations pour préserver le pouvoir d’achat des ménages et soutenir l’activité économique.

Cette approche a porté ses fruits, mais a conduit à un creusement du déficit public. Actuellement, la dette fédérale s’élève à 35 500 milliards de dollars, soit une hausse de 29 % depuis l’arrivée de Biden à la Maison Blanche.

Une somme que les Américains appréhendent de devoir rembourser, alors que l’inflation les a contraints à épuiser leur épargne accumulée pendant la période de Covid pour maintenir leur consommation, une fois les aides exceptionnelles stoppées. 37 % des ménages affirment qu’ils seraient incapables de couvrir une dépense imprévue de 400 dollars sans recourir à un endettement.

Les salaires n’ont pas suivi l’inflation

<pPourquoi les aides publiques n’ont-elles pas suffi ? Très vraisemblablement parce que les salaires n’ont pas évolué parallèlement à l’inflation. Durant la campagne, les Démocrates ont souligné que l’augmentation des prix commençait enfin à ralentir. Cependant, les électeurs n’ont pas oublié le déroulement complet de la séquence inflationniste.

En effet, même si la hausse de l’inflation est désormais moins rapide, nous sommes encore loin d’une déflation (une baisse des prix), qui permettrait d’annuler les hausses précédentes. Certaines dépenses nécessaires ont connu une forte augmentation entre l’investiture et la défaite de Biden : + 23 % pour le logement et l’alimentation, + 13 % pour le transport, + 12 % pour l’éducation et + 8 % pour la santé.

Une augmentation des prix ne constitue pas nécessairement un problème… si les salaires progressent en conséquence. Ce qui n’a pas été le cas de manière suffisante. L’économiste Lucas Chancel a récemment rappelé qu’entre 2020 et 2023, le revenu disponible avant redistribution des 50 % des Américains les moins riches a crû moins rapidement que celui de l’ensemble de la population. En revanche, entre 2016 et 2020, la moitié la plus pauvre de la population avait vu sa situation se renforcer davantage que la moyenne.

« L’inflation a sapé le pouvoir d’achat. Les salariés n’oublient pas qu’ils ont été lésés pendant la période où l’inflation était supérieure à la hausse de leur salaire », confirme François Geerolf, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).

En tenant compte de l’inflation et de la distribution des emplois par secteur, le salaire horaire moyen a diminué de 1,54 dollar entre 2020 et 2024 aux États-Unis.

« Une grande partie du vote pour Trump est le reflet de la colère des électeurs face à cette situation : ils ont travaillé durement et ont l’impression de ne pas avoir été récompensés », indique Cécile Coquet-Mokoko, professeure en civilisation américaine à l’université de Versailles St-Quentin-en-Yvelines. À tel point que dans la « Rust Belt » (« ceinture de la rouille »), un ancien bastion industriel du Nord-Est, le bleu démocrate des élections de 2020 est désormais en train de virer au rouge républicain.

Pourquoi les bons chiffres de l’emploi n’ont-ils pas agi comme un rempart contre l’inflation ? Il existe d’abord des raisons conjoncturelles : les négociations salariales, pour s’ajuster à l’augmentation des prix, prennent toujours du temps. Cela peut sembler être un lointain souvenir maintenant, car les salaires progressent plus rapidement que l’inflation. Mais pendant ce temps, la fin de mois de nombre d’employés a été délicate.

Au-delà de cet aspect temporel, des changements plus fondamentaux affectent la structure de l’emploi. Les deux législations clés du mandat de Joe Biden – l’Inflation Reduction Act (IRA) et le CHIPS and Science Act – avaient vocation à créer des « good jobs ». Cela signifie : des emplois manufacturiers bien rémunérés avec des avantages sociaux. Cependant, ces 800 000 postes tant espérés « ne suffisent pas à compenser les millions d’emplois manufacturiers perdus depuis les années 2000 », remarque François Geerolf.

S’il manque ces « good jobs », c’est, selon l’économiste Dani Rodrik, parce que les mesures de soutien actuelles à l’investissement ciblent des secteurs où la productivité dépend davantage de l’automatisation et de nouvelles technologies que de la main-d’œuvre humaine. En d’autres termes, les nouvelles usines font appel à de nombreuses machines et peu d’ouvriers.

Par exemple, l’ouverture d’une usine de puces électroniques en Arizona cette année devrait « générer à peine 6 000 emplois manufacturiers, ce qui représente plus de 10 millions de dollars investis par emploi créé », explique-t-il.

Les services, notamment l’entretien et le soin aux personnes, ont déjà été le moteur des 16 millions de postes créés en quatre ans. Cependant, la classe moyenne cherche à éviter ces emplois moins bien rémunérés.

Dans un pays où « le succès s’acquiert par le travail », selon Cécile Coquet-Mokoko, la précarisation de l’emploi est perçue comme un obstacle à l’ascension sociale. Cet mécontentement est amplifié par le fait que les aides publiques sont perçues de manière variable de l’autre côté de l’Atlantique. De son expérience aux États-Unis, elle se souvient que « l’État providence est quelque chose de mal vu dans la société américaine ; les Américains ont une répulsion à dépendre d’un État protecteur ».

Ainsi, la chercheuse ajoute que « certains votent Trump car ils admirent la figure qu’il représente, un homme qui aurait atteint le sommet grâce à son intelligence et à son audace ».

Conscient de ces éléments, le camp démocrate a proposé d’instaurer un salaire minimum fédéral de 15 dollars de l’heure. Cela reste cependant insuffisant pour endiguer le mouvement des travailleurs vers le parti de Donald Trump.

Enfin, la politique monétaire a entraîné des conséquences néfastes pour les ménages à faibles revenus. En maintenant des taux bas de 2020 à 2022, la Fed (la banque centrale américaine) a certes soutenu l’activité économique, un bénéfice pour les plus défavorisés. Mais cela a également contribué à l’augmentation des prix des actifs financiers et immobiliers, enrichissant les « Américains détenteurs d’un patrimoine confortable, souvent des seniors, dont beaucoup vivent aujourd’hui de leurs rentes », décrit l’économiste Véronique Riches-Flores.

Trump va décevoir

Pour les primo-accédants, acquérir un logement est devenu presque impossible.

« Ceux qui avaient un peu possèdent maintenant beaucoup, tandis que les autres, les défavorisés, accèdent à de moins en moins de choses », résume l’économiste.

Dans ce contexte social tendu, des formes de racisme sont faciles à attiser. « Les républicains ont appelé aux craintes et émotions de l’électorat », indique Cécile Coquet-Mokoko. En affirmant, par exemple, que les emplois créés allaient aux immigrés, Trump a rassemblé les jeunes électeurs et les Latinos. Pour cause : « les générations récemment intégrées, telles que les Latinos, ferment la porte derrière elles par crainte de perdre leurs acquis », complète François Geerolf.

Cependant, ces acquis ne seront pas mieux protégés par Donald Trump. Au contraire.

« Avec la réduction des aides sociales et un protectionnisme qui fera grimper le prix des biens, la classe moyenne risque de déchanter », avertit Véronique Riches-Flores.

Avec Trump, c’est effectivement le retour de la théorie du ruissellement, qui soutient que des baisses d’impôts pour les plus riches stimuleront la croissance au profit de tous.

Confettis, banderoles et festivités : soyez les bienvenus à l'ouverture de la « maison du peuple » du député RN Tonussi

CULTURE

Confettis, banderoles et festivités : soyez les bienvenus à l’ouverture de la « maison du peuple » du...

Samedi 9 novembre, 19h, Salon-de-Provence (13) – Il est 19h10 lorsqu’un groupe de manifestants de gauche s’engage sur la rue Théodore Jourdan, devant le tout nouvel espace du député RN Tonussi, qui qualifie lui-même sa permanence de « maison du peuple ». Le petit groupe déploie une grande banderole : « Le Pen et Macron s’allient contre le peuple. » Ils lancent des confettis devant l’élu ainsi que devant les nombreux soutiens des antennes locales du Rassemblement national (RN) présents pour fêter l’événement. Habitué à ce type d’actions, Alexandre Beddock mène la petite foule de manifestants. Ce militant de Salon et candidat du Nouveau Front populaire, arrivé 3e aux dernières législatives, s’engage en premier et salue les députés Tonussi et Baubry, avant de faire quelques pas fièrement devant la banderole, un sourire ironique aux lèvres tandis qu’il applaudit sarcastiquement les soutiens du RN. Derrière lui, les militants tenant la banderole n’ont guère le temps de crier faussement « bravo ! », que le service d’ordre (SO) de l’événement les charge et les renvoie manu militari – sans discussion.

À lire aussi : Alexandre Beddock, jugé pour avoir projeté des confettis sur un député macroniste

« Cela s’est passé très rapidement ! », raconte Mathilde, 28 ans, militante de Salon. Elle filme la situation avec son téléphone, avant que celui-ci ne tombe lorsqu’elle reçoit un coup au bras. Elle relate :

« À partir de ce moment-là, je ne pouvais plus filmer et j’ai vu mon copain se faire étrangler. »

Alexandre Beddock est quant à lui saisi par le torse et repoussé en arrière. Il reçoit un coup doux mais agressif au visage par un homme portant une doudoune sans manches verte, alors qu’il est violemment repoussé, tout comme ses camarades, de la rue Théodore Jourdan vers la place Crousillat, juste à côté. Son médecin lui prescrit trois jours d’interruption temporaire de travail (ITT). Des actes de violence que StreetPress a pu confirmer grâce aux vidéos de l’événement. Simultanément, Daniel Captier, le suppléant de Tonussi, pointé du doigt par la presse en raison de tweets racistes, s’adresse à Alexandre, rouge de colère devant trois témoins : « Saloperie ! » Captier aurait même ajouté : « Alexandre, t’es mort ! », à l’encontre du militant, selon ce dernier dans sa plainte, le 14 novembre.

Réaction de Tonussi

Au même moment, le député Tonussi intervient et tente de calmer l’homme avec la doudoune. Thibauld, un des manifestants présents et directeur d’entreprise salonais de 36 ans, observe : « Il voulait simplement préserver son image politique. Il a feint de vouloir apaiser la situation. » Dans la foulée, des supporters du parti d’extrême droite tentent violemment d’empêcher Thibauld de filmer avec sa caméra. Lui finit avec une ITT de zéro jour – ce qui a néanmoins une valeur juridique en cas de condamnation – et doit porter une attelle pendant deux semaines. Il reprend :

« Quand ils m’ont frappé le bras, le député était déjà reparti pour son inauguration. »

Lors de l’action, une personne sans brassard de sécurité visible, masquée par un cache-cou rouge et une casquette bleue agite une bombe aérosol au poivre de 300ml face aux manifestants. Bien qu’il ne l’active pas, le port de cette arme de catégorie B (comme les pistolets) est strictement encadré et réservé aux agents de sécurité professionnels, gendarmes, policiers ou CRS. Au début de la charge, un autre membre du SO a même pris soin de dissimuler un modèle identique dans sa poche en réalisant qu’il était filmé.

À lire aussi : Un député RN des Bouches-du-Rhône se débarrasse discrètement de son collaborateur royaliste

Le rassemblement s’achève par une remise de prix ironiques, sur la petite place Crousillat : « Prix du courage en politique » ou « Prix de l’écologie pour la lutte acharnée contre… rien ». Ensuite, les manifestants quittent les lieux et l’inauguration se poursuit dans la nuit, en présence de Romain Baubry, député de la circonscription voisine, déjà critiqué par StreetPress pour ses recrutements de collaborateurs néofascistes…

Dans le compte rendu de La Provence, intitulé « Tonussi chahuté lors de l’inauguration de sa permanence », le député ne fait aucune mention de l’intervention violente de son entourage. « Ce ne sont pas des gens violents, donc cela s’est tout de même bien passé, c’était festif », peut-on lire dans le quotidien. Le parlementaire a même eu l’audace de déclarer :

« Je suis ouvert à la discussion et je défends la liberté d’expression. »

Malgré cette prétendue ouverture, Romain Tonussi n’a pas répondu aux questions de StreetPress concernant la réaction de son SO. Pour leur part, Alexandre Beddock et Thibauld ont déposé une plainte le 14 novembre pour violences.

Photo d’illustration provenant du compte Twitter du député Romain Tonussi.

Sans vos dons, nous risquons de disparaître.

Si vous souhaitez que StreetPress soit présent l’année prochaine, votre soutien est essentiel.

En presque 15 ans, nous avons prouvé notre utilité. StreetPress lutte pour créer un monde plus juste. Nos articles ont un impact. Vous êtes des centaines de milliers à suivre notre travail chaque mois et à partager nos valeurs.

Aujourd’hui, nous avons réellement besoin de vous. Si vous n’êtes pas 6.000 à nous faire un don mensuel ou annuel, nous ne pourrons pas poursuivre notre mission.

Chaque don à partir de 1€ ouvre droit à une réduction fiscale de 66%. Vous pouvez annuler votre don à tout moment.

Je donne

Comment Dior, Gucci et Tod’s ont mené à la fermeture d'une petite usine de textile en Roumanie.

INVESTIGATIONS

Comment Dior, Gucci et Tod’s ont mené à la fermeture d’une petite usine de textile en Roumanie.

Lisa* a débuté son emploi à l’âge de 17 ans dans l’usine de textile Selezione, située dans la région de Brasov, en Roumanie (à 180 km au nord de Bucarest). Aujourd’hui, elle a 38 ans. Elle a consacré presque un quart de sa vie à assembler des bottines et des baskets, durant huit heures quotidiennes, pour de grandes marques de luxe européennes. « Je terminais toujours la semaine très épuisée, mais au moins, c’était un emploi stable et les salaires étaient toujours payés à l’heure, précise-t-elle. L’ambiance entre les ouvrières était très bonne, nous étions comme une famille. » 

L'alimentation de qualité n'est pas uniquement pour les personnes fortunées.

ECONOMIE

L’alimentation de qualité n’est pas uniquement pour les personnes fortunées.

Il est regrettable que certaines réalités persistent. D’après une étude du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc) réalisée au milieu de l’année 2023, 16 % des Français ne consomment pas une alimentation suffisante, tandis que 45 % mangent suffisamment mais sans toujours pouvoir accéder aux aliments désirés.

Les conséquences de l’inflation sur ces manques sont significatives, comme le montre les statistiques des Restos du cœur : en 2022-2023, 18 % de personnes supplémentaires y ont reçu de l’aide par rapport à l’année précédente.

Les banques alimentaires se trouvent en première ligne. L’un de leurs principaux défis est d’augmenter l’approvisionnement en fruits et légumes. Bien qu’elles soient limitées par la composition des stocks invendus de la grande distribution qui leur sont destinés et la logistique plus contraignante des produits frais par rapport aux produits secs, elles bénéficient de l’aide d’organisations de l’économie sociale et solidaire qui se sont engagées à fournir des aliments de qualité aux plus défavorisés.

Collecte de fruits et légumes

C’est le cas de Solaal, une association qui regroupe onze antennes régionales (seule la région Nouvelle-Aquitaine est absente) et a été créée en 2013 pour lutter contre la précarité alimentaire et les pertes agricoles. L’association collecte les fruits et légumes auprès des producteurs « lorsqu’ils rencontrent temporairement des difficultés pour vendre leur production », souligne Angélique Delahaye, sa présidente.

Solaal s’occupe ensuite d’organiser le don dans son intégralité, du retrait à l’exploitation jusqu’au transport vers l’association d’aide alimentaire concernée (Restos du cœur, réseau d’épiceries solidaires, Secours populaire, etc.). En dix ans, 35 000 tonnes ont été sauvé de la benne, correspondant à 70 millions de repas.

Depuis quelques années, des récoltes sont également effectuées lors d’opérations de « glanage solidaire » pour des producteurs n’ayant pas pu tout cueillir, pour des raisons techniques ou de calibre. C’est une occasion de créer un lien entre les glaneurs bénévoles – des jeunes du milieu agricole ou des bénéficiaires de l’aide alimentaire – et les agriculteurs.

Ne générant jusqu’à présent aucun chiffre d’affaires, la structure, qui emploie six salariés à l’échelle nationale et quatorze dans ses antennes, dépend des subventions publiques et du mécénat privé.

Elle explore de nouveaux champs d’activité, en offrant la possibilité aux producteurs de vendre certains de leurs produits « à un prix qu’ils déterminent et que nous ne négocions pas », insiste Angélique Delahaye. Une petite part des revenus revient à Solaal, ce qui permet de maintenir la gratuité de la gestion des dons.

De leur côté, les associations d’aide alimentaire achètent les produits grâce aux aides nationales du fonds « Mieux manger pour tous », instauré en 2023 pour améliorer la qualité nutritionnelle des denrées alimentaires d’aide.

Bocaux antigaspi

A Romans-sur-Isère (26), la conserverie mobile et solidaire, réactivée en 2023 par une nouvelle équipe, a deux ambitions : sensibiliser à la cuisine locale et de saison, ainsi qu’à la lutte contre le gaspillage alimentaire. Pour cela, elle propose des animations dans des maisons de quartier, des centres sociaux ou selon les demandes de la communauté d’agglomération, ainsi que des ateliers de cuisine ou de préparation de conserves en bocaux.

Ce volet « animation » de La conserverie, constituée en société coopérative d’intérêt collectif (Scic) qui implique dans sa gouvernance les salariés, les maisons de quartier et les bénéficiaires, est associé à une activité de préparation de bocaux pour éviter le gaspillage de productions agricoles. Le tout s’effectue grâce à un camion équipé d’un autoclave capable de réaliser 200 bocaux simultanément.

Une fois les bocaux confectionnés et la prestation rémunérée par les agriculteurs utilisant le camion – ils sont actuellement une dizaine à l’utiliser régulièrement – c’est à eux de gérer leur circuit de distribution : paniers pour des associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (Amap), marchés, vente directe, etc.

Cependant, une partie de la production de La conserverie est dédiée aux plus démunis.

« Nous menons des opérations de glanage solidaire avec des bénévoles, puis un processus de transformation collective en bocaux, qui sont ensuite distribués aux associations d’aide alimentaire », décrit Célia Schwaederlé, responsable de l’animation-formation de la structure.

Le but est d’étendre la production. « Nous réalisons des économies d’échelle avec les bocaux : plus nous en produisons, plus les coûts diminuent », admet Célia Schwaederlé. En attendant, c’est en grande partie grâce à l’animation que les trois mi-temps des salariées de La conserverie sont financés, soutenus en outre par des subventions publiques.

Du bio dans les quartiers prioritaires

A Nantes (44), la branche locale de l’association nationale Vrac s’adresse, quant à elle, aux résidents des quartiers prioritaires de la ville et des logements sociaux, à qui elle propose de faire des achats en vrac, principalement de produits bio. Elle dispose d’environ soixante produits, parmi lesquels des œufs, du fromage, du café, des pâtes, des haricots rouges et, récemment, une offre ponctuelle de fruits et légumes.

Vrac Nantes, avec ses quatre salariés à temps plein, dessert près de 800 foyers sur sept quartiers et collabore avec une vingtaine de producteurs.

« Lorsque nous devons choisir entre le bio et le local, nous privilégions le bio, car l’impact écologique des pratiques agricoles est plus déterminant que celui du transport », explique Guillaume Hernandez, responsable de Vrac Nantes. « Les producteurs qui nous ont rejoints au départ étaient plutôt motivés par un engagement militant pour rendre le bio accessible. Aujourd’hui, nous leur offrons un véritable débouché ! »

L’association fait appel à des dégustations pour se faire connaître auprès des habitants, par le biais de travailleurs sociaux, d’autres partenaires du quartier ou de bailleurs.

Pour les consommateurs, « nous sommes 30 à 40 % moins chers que les enseignes bio. Une boîte de six œufs bio et locaux coûte entre 1,10 € et 2,20 € », donne-t-il en exemple. Le prix constitue également le principal attrait pour les habitants.

« Au départ, lorsque l’on évoque le bio, les habitants sont réticents, pensant que cela est réservé aux ménages aisés en centre-ville », précise-t-il. « Des rencontres avec les producteurs, organisées plusieurs fois par an, permettent à certains de changer d’avis, en découvrant ce que le bio implique en termes de qualité des produits, de conditions de production, mais aussi de travail pour les agriculteurs. »

Ces visites et les ateliers de cuisine orientent les adhérents dans la préparation de plats avec les aliments fournis, mettant l’accent sur la sensibilisation à la nutrition chez Vrac.

En parallèle, l’association a récemment lancé l’expérimentation d’une caisse sociale de l’alimentation, qui est l’application locale des principes de la Sécurité sociale alimentaire, déjà en place à Montpellier, Lyon ou Bordeaux.

L’objectif est de démontrer sur le terrain que l’instauration de ce système, basé sur les mêmes trois piliers que notre système de santé – l’universalité, la cotisation et la convention des produits – peut structurellement répondre à la précarité alimentaire, qui est fondamentalement multifactorielle. Et mérite d’être instaurée à l’échelle nationale. Qu’en pensez-vous ?

POUR ALLER PLUS LOIN :

Le débat « Comment se passer des pesticides sans appauvrir les agriculteurs ?»  aura lieu le vendredi 29 novembre à 14 h 30 durant les Journées de l’économie autrement, à Dijon. Consultez le programme complet de cet événement organisé par Alternatives Economiques.