Lucie Castets : « La gauche doit mettre au cœur du débat politique les préoccupations des classes populaires »

ECONOMIE

Lucie Castets : « La gauche doit mettre au cœur du débat politique les préoccupations des classes populaires »

La victoire de Donald Trump face à Kamala Harris lors des élections présidentielles américaines, ainsi que celle des républicains « MAGA » (« Make America Great Again ») plus extrêmes que jamais contre le parti démocrate au Congrès suscite de nombreuses interrogations : pourquoi les démocrates ont-ils été abandonnés par les « blue collars » d’Amérique alors que Joe Biden avait mis en place une politique censée répondre à leurs besoins économiques ? Quelles répercussions l’inflation a-t-elle eu sur la vie quotidienne des classes populaires ? Quels impacts a générés la propagande identitaire des républicains ?

Autant de points de réflexion pour la gauche française alors que l’échéance de la prochaine élection majeure approche dans moins de trois ans, à moins que d’autres élections ne se précipitent avant. Premières pistes de réponses avec Lucie Castets, que les dirigeants du Nouveau Front populaire souhaitaient voir devenir Première ministre, et qui se veut le « trait d’union » entre les différentes composantes.

Donald Trump a non seulement remporté l’élection présidentielle, mais a également gagné le vote populaire, le Sénat et potentiellement la Chambre des représentants. Quelles sont vos réactions face à cette défaite significative du parti démocrate et quelles leçons peut-on en tirer pour la gauche française, qui a également perdu une grande partie des voix des classes populaires ?

Lucie Castets : À mon avis, ce qui est le plus marquant dans la victoire de Donald Trump, c’est l’écart de voix avec Kamala Harris, qui dépasse les cinq millions à l’heure actuelle. Cela devrait nous interroger en France, non seulement à gauche mais également pour l’ensemble du camp démocrate, car aux États-Unis, ce parti va bien au-delà de la conception de la gauche que nous avons ici. De plus, le trumpisme semble peu résonner de ce côté-ci de l’Atlantique, et de nombreux électeurs de droite, y compris du Rassemblement national, exprimaient le souhait de voir Harris l’emporter sur Trump !

Une des clés de ce résultat réside dans les classes populaires, qui ont été désapprises à défendre leurs intérêts économiques en étant mobilisées sur des peurs morales largement construites. Cela a permis à Donald Trump de s’imposer dans la « rust belt », où les ouvriers, majoritairement des hommes blancs de la classe moyenne, ont opté pour le vote républicain.

Cependant, je ne pense pas qu’il faille renoncer aux mobilisations sur des questionnements sociétaux, car celles-ci sont nécessaires pour combattre ces peurs morales, mais il est essentiel de recentrer nos discussions sur les enjeux économiques, les intérêts de classe. Quels intérêts sont actuellement lésés par les politiques publiques en cours ? Qui a tout à gagner d’une politique fiscale plus redistributive ? Qui profiterait de politiques industrielles et écologiques plus audacieuses ?

Il est impératif de replacer ces enjeux économiques et sociaux au cœur de nos débats politiques, en mettant notamment en avant les intérêts des classes populaires.

Les démocrates auraient pu jouer un rôle prédominant sur ces thématiques économiques et sociales. Ils auraient donc dû orienter leur campagne dans cette direction.

Les Démocrates avaient pourtant un bilan économique solide, grâce à la relance initiée par Joe Biden pour répondre aux aspirations de la classe moyenne : réindustrialisation via d’importants investissements, protectionnisme, réduction du chômage…

L. C. : Bien que Joe Biden ait connu un succès économique réel, il a beaucoup souffert de l’inflation, contre laquelle il a pourtant lutté avec une certaine détermination. Cependant, pour les Américains défavorisés, cette inflation a duré trop longtemps et a été suffisamment violente pour qu’ils aient du mal à reconnaître qu’ils se trouvent dans une position meilleure aujourd’hui qu’il y a quatre ans, à la fin du dernier mandat de Trump.

En conséquence, le récit démocrate a été contrecarré par l’offensive identitaire des républicains, avec le discours très viril de leur candidat, qui demeure par ailleurs assez creux. À la fin de la campagne, il était toujours flou sur ses véritables intentions. Cela a fonctionné parce que le débat a été détourné des enjeux réels, comme celui de la répartition des richesses générées par l’économie.

Donald Trump a centré sa campagne sur la lutte contre l’immigration. En France, l’extrême droite ainsi que les droites en général investissent également ce thème. La question de l’immigration est évidemment instrumentalisée, mais elle trouve néanmoins un écho auprès des électeurs populaires. Comment, au cours des deux prochaines années, le NFP peut-il l’aborder ?

L. C. : En 2019 – ce n’est pas si loin –, lors du Grand Débat post-gilets jaunes, pratiquement aucune contribution manuscrite des cahiers de doléances n’évoquait l’immigration ou la sécurité, contre 16 % sur la transition écologique, et énormément de propositions relatives à la fiscalité, y compris le rétablissement de l’ISF. Vincent Tiberj, dans son récent ouvrage sur la prétendue « droitisation de la France », a démontré comment le gouvernement Macron-Borne avait construit une demande fictive venant de l’opinion populaire pour justifier sa loi immigration-intégration [promulguée en janvier 2024, NDLR]. La récente enquête du CESE montre que la préoccupation principale des Français demeure la santé, loin devant les questions migratoires.

Effectivement, l’immigration est bien instrumentalisée, comme en témoigne déjà la préparation de la prochaine loi Retailleau, qui ne proposera pas de véritables solutions. Son principal objectif semble être d’augmenter les taux de retour des migrants sous obligation de quitter le territoire français (OQTF), alors même qu’on sait qu’il y a peu de marge de progression à ce niveau, la France se situant déjà en tête du nombre de reconduites…

Pourtant, je pense que la gauche n’aborde pas suffisamment la question de l’immigration, ne met pas assez en avant ce qu’elle apporte à l’économie française, même en prenant appui sur l’exemple paradoxal de Giorgia Meloni, qui, après avoir été élue avec la promesse d’expulser les migrants au-delà de la Méditerranée, a changé de discours sous l’influence du patronat italien qui a révélé que certains secteurs de l’économie ne pourraient fonctionner sans travailleurs immigrés. Les patrons français de la restauration ou du bâtiment affirment d’ailleurs la même chose.

Nous devons avoir un discours de vérité et établir une politique migratoire claire. Une politique concertée doit se construire en tenant compte de la réalité actuelle, car même avec un taux de chômage de 7 %, certains secteurs – restauration, bâtiment, services à la personne – dépendent des immigrés ; et il est essentiel de considérer l’avenir, car nous savons que notre démographie évolue et que nos besoins en main-d’œuvre vont croître.

Mais la politique migratoire actuelle est insatisfaisante et son résultat le plus évident est la présence de migrants sans-abri qui attendent que l’administration prenne en compte leur situation…

L. C. : C’est un enjeu qu’il est crucial d’aborder, en commençant par rétablir une politique d’accueil digne de ce nom. Nous observons actuellement des personnes qui, en attendant un rendez-vous en préfecture pour renouveler leurs documents, se retrouvent en situation irrégulière. C’est une mécanique qui produit des sans-papiers ! En empêchant ces personnes de s’intégrer, l’État va à l’encontre des principes qu’il prétend défendre. Et au-delà de la justification de la régularisation des sans-papiers par le travail, les considérations humanitaires et de solidarité doivent être prises en compte.

Mais l’économie – sur laquelle la gauche, pas seulement aux États-Unis, peut légitimement revendiquer une réflexion et un savoir-faire accru – peut-elle tout résoudre ? Éradiquer ce que l’on nomme les paniques morales ? Par exemple, satisfaire le désir de sécurité en s’attaquant à un véritable défi que représente le narcotrafic dont la violence se propage jusque dans les villes moyennes ?

L. C. : Sans aller jusqu’à affirmer que tout se résout par une question budgétaire, il est clair qu’ignorer l’aspect économique peut conduire à des illusions et à l’échec. C’est le cas de la lutte contre le narcotrafic, qui a souffert d’un sous-investissement politique structurel visible dans le financement de la lutte contre la criminalité financière au sens large.

Nous avons ainsi constaté que les effectifs de police et de gendarmerie ont été augmentés pour lutter contre le trafic de stupéfiants, tandis qu’aucune réflexion n’a été engendrée sur sa contrepartie financière, entraînant une réduction des effectifs dédiés aux enquêtes complexes sur le blanchiment d’argent, qui nécessitent des personnels très qualifiés. L’État a sous-investi. Résultat : l’accent est mis sur les maillons faibles du trafic – les consommateurs et les petites mains, aux dépens de ceux qui orchestrent le trafic. La cohérence de l’action publique est altérée, ce qui impacte son efficacité.

Nous avons appris début septembre que le déficit de l’État serait beaucoup plus important que prévu, s’établissant à 6,4 % au lieu des 4,4 % initialement anticipés. Cette annonce a-t-elle pris au dépourvu l’ancienne membre de la direction du Trésor ?

L. C. : Oui. Je me mets à la place de mes anciens collègues de bureau, attachés à la défense des intérêts de l’État, et je me dis que ce moment doit être assez inconfortable pour eux… Avec des auditions prévues au Sénat et à l’Assemblée nationale, il sera intéressant de découvrir les avertissements contenus dans les notes que l’administration a envoyées antérieurement aux politiques.

Ce qui m’interpelle, c’est l’irresponsabilité de la politique qui a été menée. Rappelons-nous qu’il a fallu annuler 10 milliards de crédits quelques semaines seulement après l’adoption de la loi de finances 2024. Qui fait ça, sinon des personnes peu expérimentées ? Si la gauche avait commis un dixième de cette erreur, elle aurait été accusée d’incompétence.

Bruno Le Maire aurait-il dû démissionner lorsque Emmanuel Macron et Gabriel Attal lui ont refusé une loi de finances rectificative au printemps 2024 ?

L. C. : La question était effectivement légitime.

La situation des finances publiques étant, hélas, ce qu’elle est, Michel Barnier n’avait-il pas d’autre choix que d’adopter un budget d’austérité ?

L. C. : Oui, il existait bien d’autres alternatives, et cela demeure le cas. Je pense que les différents gouvernements se sont enfermés dans une stratégie dogmatique de rejet du levier fiscal. Au cours de la dernière décennie, on a abandonné entre 50 et 60 milliards d’euros de recettes annuelles. À tel point qu’ils en ont oublié qu’il était possible de mobiliser la fiscalité pour réduire le déficit public, en se concentrant uniquement sur les dépenses. En résumé, le gouvernement s’appuie énormément sur le volet dépenses, redirigeant les maigres recettes supplémentaires vers le désendettement.

La proposition du gouvernement Barnier de toucher marginairement à l’outil fiscal est cependant un tournant idéologique de la part d’un exécutif à tendance LR qui n’a pas été suffisamment souligné. Cette dynamique entraîne d’ailleurs une débâcle par la macronie, accroquée par son refus des impôts, donc sur sa droite ! C’est un aspect intéressant sur le plan idéologique. La droite est en train de perdre toute crédibilité en matière économique, car selon l’OFCE, la contraction budgétaire planifiée par Michel Barnier coûtera 0,8 point de PIB en 2025.

En revanche, le NFP a présenté en ouverture du débat sur la loi de finances 2025 dix mesures susceptibles de générer 50 milliards d’euros. C’est une approche plus responsable car d’une part, elle ne nuira pas à l’activité alors que la croissance est faible [lire ici l’analyse d’Anne-Laure Delatte, NDLR]. Nous pensons que notre plan soutiendrait l’économie et – j’insiste là-dessus – tout en réduisant progressivement l’endettement.

Nous arrivons à la fin de la discussion sur les recettes. Alors que les échanges sont peu clairs à l’Assemblée nationale, quel bilan tirez-vous du plan que vous avez présenté avec les parlementaires du NFP ?

L. C. : Tout le monde considérait le NFP comme mort. Cependant, nous avons su travailler en commun pour proposer des éléments cohérents visant à rendre le budget plus juste et efficace. La plupart de nos amendements ont été adoptés en commission des finances, et certains dans l’Hémicycle. Ainsi, nous avons pu constater qu’il existe à l’Assemblée une demande pour une justice fiscale et un rétablissement de l’équité fiscale.

La cacophonie ne provient pas de la gauche, qui a même restreint le nombre de ses amendements, mais de la compétition au sein du bloc central et du gouvernement qui semble vouloir s’en servir pour faire passer son projet en recourant à l’article 49.3 de la Constitution. Il a d’ailleurs déjà ignoré les votes des députés concernant le projet de loi de financement de la sécurité sociale en soumettant sa propre version au Sénat.

Une dissolution sera à nouveau envisageable à partir de juin 2025. Le NFP ne doit-il pas utiliser cette période pour réajuster son programme, dont on sait qu’il a été élaboré dans la hâte d’une part, et s’adapter à la dégradation de la situation économique et géopolitique ?

L. C. : Pour moi, la dissolution n’est pas la perspective la plus probable, même si le gouvernement Barnier pourrait falloir. Pour approfondir les positions du NFP, nous avons déjà travaillé durant tout l’été sur des sujets significatifs : l’éducation, la santé, les services publics, le pouvoir d’achat, l’augmentation du point d’indice des fonctionnaires, du Smic, et le dialogue avec les partenaires sociaux. 

La conjoncture économique peut nécessiter des ajustements, mais je réaffirme l’importance d’une logique cohérente : restaurer la justice fiscale et abolir les aberrations fiscales anti-économiques, les niches fiscales inutiles, ainsi que les dépenses fiscales mal ciblées qui entraînent des effets d’aubaine pour des entreprises qui n’en ont pas besoin. Il est donc nécessaire de mettre en place une réforme fiscale précise qui vise à récupérer de l’argent là où il se trouve sans impact excessif sur l’activité économique et sans conséquences sur les catégories populaires, afin d’aider à réduire le déficit et à financer les services publics, etc. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de revoir totalement le programme du NFP.

Vous souhaitiez être candidate du NFP lors de l’élection législative partielle en Isère, mais les luttes internes ont rendu cela impossible. Le fait qu’une coalition politique ne laisse pas de place à la personnalité qu’elle avait envisagée comme sa future Première ministre ne remet-il pas en question sa solidité ?

L. C. : Quand on s’intéresse à la chose publique, il est normal de vouloir obtenir la légitimité des suffrages de ses concitoyens. En Isère, la France Insoumise n’était pas prête à céder une député qui siégerait dans son groupe. J’ai tenu à conserver ma liberté. Cela a été fait de manière cordiale.

Si une autre circonscription se libérait, j’y réfléchirais à nouveau. À condition que je puisse demeurer un trait d’union entre les partis du NFP, ce qui m’interdit de siéger dans l’un ou l’autre de ses deux pôles, et, bien sûr, que j’obtienne l’accord des militants locaux.

Pourquoi le retour de Trump représente un danger pour l’économie mondiale

ECONOMIE

Pourquoi le retour de Trump représente un danger pour l’économie mondiale

Il revient. Quatre ans après son tumultueux retrait de la Maison-Blanche, Donald Trump est devenu le 47e président des Etats-Unis. L’homme d’affaires, qui a su rassembler son électorat tout en grignotant des voix chez sa rivale démocrate Kamala Harris, s’installera au bureau ovale en janvier, bénéficiant d’une victoire indiscutable puisqu’il a remporté à la fois le vote des grands électeurs et le vote populaire, contrairement à son premier mandat.

Malheureusement pour les Etats-Unis et surtout pour le reste du monde, son retour en puissance pourrait s’avérer particulièrement nuisible, avec des mesures fiscales inéquitables, des politiques destructrices pour le climat, une guerre commerciale mondiale et des déstabilisations géopolitiques.

De plus, cette fois-ci, Donald Trump devrait bénéficier des « pleins pouvoirs » : le Sénat est déjà acquis à sa cause, la Chambre des représentants pourrait suivre, et un grand nombre de juges lui sont plus favorables qu’entre 2016 et 2020.

Dans ce contexte, nous avons analysé cinq domaines où le retour de Donald Trump devrait être le plus marquant et préoccupant.

1/ En économie, un triple danger financier

Si Donald Trump met en œuvre son programme économique, le déficit budgétaire sera amené à croître… d’approximativement 8 000 milliards de dollars au cours des dix prochaines années ! C’est en effet l’estimation du Committee for a responsible federal budget, un think tank bi-partisan.

Cette aggravation est principalement due à de vastes réductions d’impôts, dépassant les 10 000 milliards, en faveur des plus riches et des sociétés. Elles seraient légèrement compensées par une diminution de certaines dépenses et des recettes supplémentaires générées par la mise en place de tarifs douaniers. Par conséquent, la dette publique américaine pourrait passer de 100 % du produit intérieur brut (PIB) aujourd’hui à plus de 140 % d’ici 2035.

Premier souci : une telle demande de financement devrait entraîner une hausse des taux d’intérêt dans la décennie à venir. Le taux d’emprunt à 10 ans, actuellement aux alentours de 4,5 %, pourrait être amené à diminuer à court terme grâce à la politique monétaire de la banque centrale, qui est en phase de baisse des taux. Cependant, le besoin massif d’argent de Trump devrait plutôt, toutes choses égales par ailleurs, conduire à une montée des coûts d’emprunt (et donc des taux d’intérêt) à moyen et long terme.

Ce problème interne aux Etats-Unis ne se limitera pas à leurs frontières. La dette américaine agira comme un aspirateur sans précédent de l’épargne mondiale. Alors que le reste du monde est déjà endetté et doit investir massivement dans la transition énergétique, l’innovation, la santé et les retraites, sans oublier la défense face à une Amérique qui se replie, la lutte pour l’épargne mondiale sera acharnée. Cela entraînera des tensions financières régulières.

Ces tensions risquent encore de se transformer en crises bancaires, puisque Donald Trump devrait adopter une politique de déréglementation financière ainsi que de fortes pressions politiques sur la banque centrale. Même un Jamie Dimon, le PDG de J.P. Morgan, qui a longtemps soutenu que de bonnes régulations renforçaient la solidité des bilans bancaires, appelle désormais à une baisse des réglementations.

Nul doute que le Royaume-Uni en profitera pour suivre la même voie afin que la City conserve ses avantages compétitifs. De même, les banques du Vieux continent profiteront de la situation pour demander moins de règles.

Deux scénarios apparaissent désormais possibles. Dans le premier, Donald Trump parvient à appliquer son programme. Les Etats-Unis se trouveraient alors dans une situation semblable aux années 1920 et à la crise de 2007-2008, deux périodes marquées par une triple convergence : des inégalités fortes et croissantes, des banques peu régulées, et au final, une crise financière d’ampleur historique.

Dans le second scénario, les Républicains conservateurs en matière de budget freinent les baisses d’impôts que souhaite Trump (par exemple à hauteur de 5 000 milliards de dollars, comme en 2017).

C’est la tendance ressentie chez les analystes de marchés après l’annonce de la victoire de Donald Trump. Selon un adage américain, il pourrait « aboyer plus fort qu’il ne mord ». Mais quand la première puissance économique mondiale mord, même légèrement, elle a tout de même le potentiel de causer des dommages à tout le monde.

Christian Chavagneux

2/ La guerre commerciale sera bien au rendez-vous

Il est difficile de reprocher à Donald Trump le manque de clarté de ses intentions. Celui qui prendra ses fonctions en janvier prochain a promis un renforcement significatif de la guerre commerciale. Il souhaite porter les droits de douane à 10 % (contre 3 % actuellement) sur tous les produits importés. La Chine, pour sa part, aura un traitement défavorable avec un taux de 60 %.

L’augmentation des droits de douane sur certains produits n’est pas nouvelle, tant les tensions commerciales sont vives depuis des années. Mais le durcissement du protectionnisme américain promis par Donald Trump est d’un tout autre niveau : la dernière fois qu’une telle hausse des tarifs douaniers a été observée aux Etats-Unis remonte aux années 1920.

Si un taux de 10 % peut sembler modeste, il est en réalité très conséquent, sachant que le droit de douane moyen dans le monde est de 3,9 % et qu’aux Etats-Unis, il est même légèrement inférieur (3 %). L’ampleur de la mesure est d’autant plus importante qu’elle touchera tous les pays du monde et tous les produits.

Si les fabricants étrangers et les distributeurs américains ne modifient pas leurs marges, à court terme, ces hausses de tarifs devraient être répercutées sur le consommateur américain. Mais les conséquences ne se limiteront pas aux Etats-Unis, car ce durcissement du protectionnisme de la part de la première puissance économique mondiale risque de bouleverser les flux commerciaux internationaux.

En ciblant très spécifiquement la Chine, avec un taux de 60 %, les exportations de Pékin vers les Etats-Unis devraient mécaniquement diminuer. Une récente étude du Cepii anticipe une réduction de 80 % des exportations chinoises vers Washington si Donald Trump met en œuvre ses promesses. Les capacités de production chinoises étant telles, ce que Pékin n’exporte plus aux Etats-Unis sera vraisemblablement redirigé ailleurs. À commencer par l’Europe, qui pourrait être inondée de Made in China dans ses magasins.

Justin Delépine

3/ Social : une stratégie fiscale indifférente aux inégalités

Rebelote ! Donald Trump n’a pas seulement été réélu, il a également l’intention de renforcer les inégalités aux Etats-Unis. Son programme économique prévoit déréglementation et baisses d’impôts, les mêmes politiques ayant contribué à enrichir les plus riches et à appauvrir les moins chanceux depuis les années 1980.

Le Républicain va reconduire les réductions d’impôts instaurées en 2017 et arrivant à expiration l’an prochain. Ces allégements fiscaux aux plus riches et aux entreprises n’ont pas eu l’effet d’un « ruissellement » sur la classe moyenne comme il l’affirmait. Le coefficient de Gini, qui mesure les inégalités de revenus, a augmenté après la mise en place de ces réductions d’impôts, atteignant son niveau le plus élevé depuis 1967 avec 0,494 en 2021.

Ce n’est pas de nature à préoccuper l’ancien homme d’affaires, qui veut aller encore plus loin. Il envisage ainsi de faire baisser le taux d’imposition des sociétés. Celui-ci, déjà réduit de 35 % à 21 % en 2017, devrait bientôt passer à 15 %. Le Président promet aussi de nouvelles exonérations fiscales sur le revenu. Des mesures qui bénéficieront uniquement à ceux suffisamment riches pour être imposés.

Selon les calculs du think tank Tax Foundation, cette politique fiscale, couplée à l’augmentation des droits de douane qui alourdira le prix des biens importés, réduira le revenu net des 40 % des Américains les plus pauvres d’ici 2034. Ainsi, les 20 % des ménages les plus pauvres verront leur revenu diminuer de 0,6 %, tandis que le deuxième quintile (les ménages se situant entre les 20 % les moins riches et les 60 % les plus riches) connaîtra une baisse de 0,4 %.

Quant aux 20 % les plus riches, ils devraient bénéficier d’une augmentation de 3,1 % de leur revenu après impôts. De quoi exacerber les inégalités déjà profondes qui prévalent dans ce pays.

Juliette Le Chevallier

4/ Une menace climatique à retardement

« One of the greatest scams of all time » (traduction : « une des plus grandes arnaques de tous les temps ») . Voilà comment Donald Trump qualifie le réchauffement climatique. À quel point donc devrions-nous nous inquiéter de ses perspectives en matière climatique ?

À l’international, Donald Trump a déclaré qu’il ferait à nouveau sortir l’Amérique de l’accord de Paris sur le climat. C’est un coup de tonnerre semblable à celui de 2016, mais amplifié, car l’urgence est telle que tout retard dans les politiques de décarbonation représente une véritable bombes climatique.

À court terme, les négociations de la COP 29 qui débutent la semaine prochaine en Azerbaïdjan, déjà mal engagées, sont plus que jamais compromises. Leur principal enjeu sera d’accroître les financements des pays riches en faveur des nations en développement. Mais si l’acteur mondial principal (en termes d’émissions historiques de gaz à effet de serre) se retire, il sera très compliqué de progresser vers un accord.

Sans financements additionnels significatifs, on craint que les pays émergents et en développement n’acceptent pas d’élever leurs engagements climatiques à court terme. Cela sera d’autant moins probable que les pays riches, à commencer par les Etats-Unis, n’intensifient pas leurs efforts pour diminuer leurs propres émissions de gaz à effet de serre.

De surcroît, l’Europe, dont la détermination climatiques a notablement faibli à cause de la montée des droites dure, pourrait être encore moins encline à maintenir son cap si son concurrent américain choisit de faire un pas en arrière. L’élévation des engagements nationaux (et leur mise en œuvre), au Sud comme au Nord, demeure pourtant une condition essentielle pour s’aligner sur l’objectif vital de rester bien en dessous de 2 °C. Pour référence, les politiques en cours conduisent vers un réchauffement global de + 3 °C.

Sur le plan intérieur, le second mandat de Donald Trump devrait avoir un impact climatique et environnemental bien plus désastreux que le premier. Il est difficile de dire si le nouveau Président va annuler – et dans quelle mesure – les subventions massives accordées aux industries vertes sous Joe Biden dans le cadre de l’Inflation Reduction Act. En effet, ces mesures favorisent le « made in America », ce qui réjouit les dirigeants républicains du secteur. Cet héritage pourrait donc demeurer intact.

En revanche, Donald Trump sera en mesure de modifier considérablement les normes environnementales, bien plus facilement que lors de son premier mandat. Cela pourrait accentuer la prospection et la production de combustibles fossiles, la construction automobile (thermique) et les industries polluantes, ou encore faciliter l’exploitation des centrales électriques à charbon et à gaz.

Au cours de ses quatre premières années au pouvoir, il avait œuvré à supprimer une centaine de réglementations environnementales, dont celles limitant les émissions des véhicules et des centrales électriques. Cependant, ses équipes avaient été confrontées à une fonction publique réticente et à des recours devant la justice fédérale, qui ont souvent annulé ses réformes jugées illégales et mal préparées. De plus, ce qui avait été abrogé sous Trump a pu être facilement rétabli et même renforcé sous Biden.

Depuis, les collaborateurs de Donald Trump ont tiré des leçons de leurs erreurs passées. Ils vont procéder à un nettoyage approfondi au sein des administrations, notamment dans la puissante Agence de protection de l’environnement (EPA) et dans les instances de recherche. Ils s’assureront que les réformes futures soient juridiquement solides et difficilement annulables par la suite.

Donald Trump devrait être soutenu par un congrès désormais majoritairement républicain et par les nombreux juges nommés durant son premier mandat, dont trois à la Cour suprême, qui est majoritairement conservatrice.

Antoine de Ravignan

5/ International : l’Ukraine affaiblie, Israël renforcé

L’Ukraine endure. Dans son message de félicitations à Donald Trump, le président Volodymyr Zelensky a rappelé que son pays fait « d’un soutien fort, continu et bipartisan » dépendre de l’aide des Etats-Unis. Or, celle-ci pourrait diminuer, le camp trumpiste ayant critiqué à plusieurs reprises la politique de livraison d’armes à l’Ukraine initiée par Joe Biden.

Le candidat Trump a promis de mettre fin à la guerre en moins de vingt-quatre heures, sans préciser comment il s’y prendrait. « Il y a beaucoup d’incertitudes sur ce dossier : pourrait-il trouver un accord avec Poutine ? Va-t-il suspendre les livraisons d’armes ? », questionne Adrien Schu, maître de conférences en science politique à l’Université de Bordeaux.

Cependant, le chercheur souligne qu’entre les Républicains modérés et les Démocrates, le Congrès maintiendra toujours une majorité transpartisane en faveur du soutien à l’Ukraine.

« Cette majorité sera-t-elle suffisante pour contraindre l’action présidentielle ? Pour l’instant, nous ne le savons pas », ajoute-t-il.

Concernant le conflit israélo-palestinien, le milliardaire devrait poursuivre la ligne de son prédécesseur, c’est-à-dire un soutien militaire et politique au gouvernement de Benyamin Netanyahou. Ce dernier s’est réjoui sur X (ex-Twitter) : le retour de Trump à la Maison-Blanche « offre un nouveau départ pour l’Amérique et un réengagement puissant en faveur de la grande alliance entre Israël et les Etats-Unis ».

Bibi – surnom du Premier ministre israélien – sait que le prochain Président ne devrait plus dénoncer la « crise humanitaire » (terme utilisé par les démocrates) à Gaza ni inciter verbalement Israël à faire preuve de retenue, comme l’a fait Biden.

« Lors de son premier mandat, Donald Trump avait entouré de Républicains traditionnels issus de l’establishment. Ceux-ci ne partageaient pas forcément la même vision que lui et ont agi comme des contre-pouvoirs internes. Mais il s’est séparé de ces personnes et la loyauté sera le principal critère pour former sa prochaine administration », ajoute Adrien Schu.

En résumé, Trump pourra décider seul de sa politique étrangère qui semble promettre d’être encore moins atlantiste, moins multilatérale, et davantage axée sur le bilatéralisme et la compétition.

Eva Moysan

Israël-Palestine, Russie-Ukraine : les modifications que l'élection de Trump apportera aux États-Unis

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Israël-Palestine, Russie-Ukraine : les modifications que l’élection de Trump apportera aux États-Unis

Nous sommes le mercredi 6 novembre 2024, découvrez le programme de “Toujours Debout”, animé par Fabrice Wuimo : Au sommaire de cette édition : Comme chaque soir, Baptiste nous présentera le récapitulatif de l’actualité. Dans la première partie, nous aborderons les faits marquants du jour, ainsi que l’événement nocturne, à savoir l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis. Notre collègue et amie Amina Kalache aura l’opportunité d’analyser les répercussions sur le conflit au Proche-Orient, en se concentrant particulièrement sur Gaza. Ensuite, nous serons en compagnie de Paul Elek, Jean-Claude Beaujour et Oussama Laraichi… Nous analyserons plus en profondeur les implications de cette victoire pour les Américains, mais aussi pour les relations avec la Russie, la Chine, ainsi qu’avec la France. Dans la seconde partie, Lisa Lap et Andreï Manivit ont interviewé des femmes qui ont été attaquées par des hommes utilisant des mortiers d’artifices lors d’une soirée réservée aux femmes, le jeudi 31 octobre. Elles dénoncent un “attentat” visant spécifiquement des femmes, dans l’indifférence des médias. Reportage. Ensuite, nous accueillerons l’économiste Nicolas Da Silva pour discuter de la section «recettes» du projet de loi de financement de la Sécurité sociale, qui a été approuvé à l’Assemblée Nationale grâce aux voix du Nouveau Front populaire.