L’assistance au développement mise en péril par sa financiarisation
Les allocations de développement destinées aux nations les plus démunies répondent-elles réellement à leurs attentes ? Un récent rapport annuel de l’OCDE propose une réponse nuancée à cette question majeure.
En particulier concernant l’aide multilatérale, qui, contrairement à l’aide bilatérale (d’État à État), transite essentiellement par les Nations unies ou diverses banques de développement – la Banque mondiale, la Banque africaine de développement ou celles des Brics – chargées de les acheminer vers les pays bénéficiaires. Cette modalité d’aide représente les deux tiers du soutien au développement.
Malgré une augmentation des besoins, notamment face au changement climatique, trois tendances récentes remettent en question la capacité des donateurs à s’acquitter de leurs responsabilités auprès des pays en développement.
Augmentation des financements, mais insuffisants
La première tendance est celle de la financiarisation de l’aide, favorisée par diverses réformes des modalités de financement des banques de développement mises en place depuis 2021. En raison de la stabilité des apports des pays donateurs, les banques se voient désormais encouragées à « faire plus avec des ressources financières similaires, voire moindres ».
En d’autres termes : elles ont désormais la possibilité de prêter plus avec le même montant de capital, augmentant ainsi leur « effet de levier ». Cela peut atteindre jusqu’à 30 %, permettant de générer 400 milliards de dollars d’ici 2032. Bien que ce soit une augmentation significative, elle reste inférieure aux fonds nécessaires pour réaliser les objectifs de développement durable, qui sont estimés à 750 milliards de dollars d’ici 2030.
De plus, cette financiarisation se traduit par un accroissement des prêts non concessionnels. Cela signifie qu’ils deviennent plus onéreux pour les bénéficiaires, afin d’assurer le retour sur investissement nécessaire pour ces opérations qualifiées « d’optimisation de bilan ».
« Ce problème est particulièrement préoccupant compte tenu des risques accrus associés à l’endettement des pays en développement », souligne le rapport de l’OCDE. Cela est particulièrement vrai en Afrique.
« Cette financiarisation pourrait négliger certains secteurs comme l’éducation ou le social, tout en favorisant celui des infrastructures », illustre Olivier Cattanéo, l’un des auteurs.
Bien que la financiarisation du système « a permis d’accroître la capacité de financement des banques multilatérales de développement », reconnaît l’OCDE, celle-ci « ne sera pas suffisante pour mettre en œuvre des mandats multilatéraux élargis englobant notamment la lutte contre le changement climatique, tout en maintenant les actions dans les domaines essentiels comme la réduction de la pauvreté ».
En d’autres termes, cela ne sera pas réalisable sans une augmentation parallèlement des contributions des pays donateurs.
Orientations des fonds et fragmentation de l’aide
Une autre tendance inquiétante est la part croissante des dons « fléchés » par les pays donateurs, illustrant une forme de microgestion de leur part. Contrairement aux contributions « de base » distribuées aux banques multilatérales, ces fonds fléchés sont alloués à des objectifs spécifiques, tels que des besoins humanitaires lors de crises ponctuelles, la lutte contre le Covid-19 ou, plus récemment, l’assistance à l’Ukraine.
Ces dons fléchés ont crû de plus de 400 % au cours de la dernière décennie, contre seulement 43 % pour les contributions classiques. En conséquence, ces fonds ciblés représentent désormais 49 % de l’aide multilatérale, contre 30 % il y a dix ans.
« On pourrait penser que ce fléchage est bénéfique car il permet de répondre rapidement aux crises. Cependant, certaines études montrent qu’il peut en fait retarder la réponse qui aurait été plus rapide en utilisant les fonds pluriannuels de base disponibles pour les donateurs », explique Lisa Chauvet, économiste et spécialiste du financement du développement à l’université Paris 1.
Par ailleurs, « Ils engendrent une distorsion en faveur des objectifs qui servent les intérêts des bailleurs, et vers des projets à court terme dont les résultats sont plus faciles à mesurer », ajoute la chercheuse. Ils augmentent également les coûts de gestion, de reporting, de levée de fonds, etc., pour les bailleurs. »
En revanche, les contributions de base « permettent aux organisations multilatérales la flexibilité nécessaire pour allouer des fonds en fonction de l’évolution des besoins des pays bénéficiaires », souligne l’organisation.
Enfin, le rapport souligne la fragmentation croissante de l’aide au développement, avec l’avènement de pays émergents. En tête, la Chine, suivie par des pays comme l’Inde ou l’Arabie saoudite.
À noter : « Ces nouveaux donateurs offrent une bien plus grande latitude aux organisations multilatérales, en se servant moins de contributions fléchées », observe Olivier Cattanéo.
Cependant, la multiplicité des donateurs soulève plusieurs défis pour l’architecture mondiale du développement, ce qui implique, par exemple, une révision du cadre de restructuration des dettes des pays bénéficiaires, dont les nouveaux donateurs ne font pas partie pour le moment.
En opposition à ces défis, le gouvernement français a décidé, après plusieurs années d’augmentation, de réduire son budget d’aide au développement : celui-ci a été diminué de 1,3 milliard d’euros dans son projet de loi de finances pour 2025.