Crise agricole : débris, panneaux des municipalités démontés et toile noire sur les Trois Grâces à Montpellier

HERAULT NEWS

Crise agricole : débris, panneaux des municipalités démontés et toile noire sur les Trois Grâces à Montpellier

Le Mercosur représente une méthode de consommation que la France rejette“, affirme Cédric Saur, le secrétaire général de la Fédération Départementale des syndicats exploitants agricoles de l’Hérault (FDSEA). Il a organisé, ce lundi 18 novembre, une mobilisation avec une centaine d’autres agriculteurs dans les rues de Montpellier.

Ils manifestent pour la deuxième fois en moins d’un an, et leur exaspération face à la situation perdure. Ils s’opposent au traité de libre-échange avec les nations sud-américaines, considérant cela comme une concurrence injuste. De plus, ils s’insurgent contre les tarifs imposés par les distributeurs et la bureaucratie pesante, des sujets déjà soulevés lors de leur mouvement de janvier dernier.

“Nous souhaitons pratiquer notre métier”

Ce lundi, le défilé a commencé devant la préfecture de l’Hérault avec deux tracteurs. Des panneaux, au préalable retirés à l’entrée des communes héraultaises, ont été accrochés aux grilles. Sur des banderoles, on peut également lire : “nous souhaitons pratiquer notre métier“. Une exigence qui unit aussi bien les éleveurs que les viticulteurs du département.

François, un éleveur de brebis au Mas-de-Londres, déclare que le Mercosur est en désaccord avec le “bon sens des agriculteurs” et entrave les efforts pour la souveraineté alimentaire. “Mes brebis paissent à l’extérieur, il me faut deux à trois ans pour qu’elles soient prêtes, avec cet accord, la concurrence étrangère va atteindre le même poids en seulement six mois, mais avec des antibiotiques et des OGM que nous ne donnons pas ici“, se lamente cet amoureux du monde agricole qui a choisi d’en faire sa profession.

Une augmentation de 15 centimes sur chaque bouteille de vin

Pour les viticulteurs, qui représentent un secteur économique vital pour le département, le mécontentement est également palpable. Caroline, membre d’une coopérative de Clermont-l’Hérault, déclare : “Depuis que nous avons bloqué l’autoroute A9 en janvier dernier, rien n’a changé. Je passe toujours autant de temps sur les démarches administratives, tout autant dans mes vignes, mais mon salaire n’a pas augmenté“. Ce sentiment d’urgence est partagé par un autre viticulteur, qui interpelle le préfet de l’Hérault. “Depuis 2021, nous subissons de nombreux aléas climatiques et nos finances sont au plus bas“, précise-t-il. Il souhaite que le prix de rachat de ses hectolitres de vin soit au minimum équivalent à ses coûts de production et que les taux soient fixes, sans imposer par les distributeurs.

J’ai compris que vous ne recherchez pas des subventions mais un prix juste“, a fini par s’exclamer le préfet Francois-Xavier Lauch à l’aide d’un mégaphone. Un acte rare pour un représentant de l’Etat à ce niveau. La FDSEA et les Jeunes Agriculteurs suggèrent ainsi d’augmenter de 15 centimes le prix de chaque bouteille de vin à la charge du consommateur.Une excellente idée“, estime le préfet, qui y voit une occasion pour un rétablissement citoyen si sur ces bouteilles est indiquée la mention “cette bouteille soutient un vigneron“. Cette proposition sera examinée le 2 décembre prochain, en présence de viticulteurs, distributeurs et services administratifs.

Vers un durcissement de la mobilisation ?

Cependant, ces déclarations ne calment pas totalement les agriculteurs, qui affirment être prêts à intensifier leur mouvement s’ils ne sont pas entendus. François, l’éleveur, termine en disant : “nous souhaitons pour l’instant mener des actions pacifiques, faire preuve de pédagogie envers nos concitoyens, mais peut-on se faire entendre sans élever la voix ? Je ne le pense pas.

Le traité de libre-échange ne passe pas auprès des agriculteurs héraultais.
Le traité de libre-échange ne passe pas auprès des agriculteurs héraultais. © Radio France
Julia Beaufils

Devant la préfecture de l'Hérault, les agriculteurs ont déployé les banderoles.
Devant la préfecture de l’Hérault, les agriculteurs ont déployé les banderoles. © Radio France
Julia Beaufils

Le cortège des agriculteurs a traversé la ville pour rejoindre la place de la Comédie.
Le cortège des agriculteurs a traversé la ville pour rejoindre la place de la Comédie. © Radio France
Julia Beaufils

Les Trois Grâces de la fontaine de la place de la comédie ont été bâchées.
Les Trois Grâces de la fontaine de la place de la comédie ont été bâchées. © Radio France
Julia Beaufils

Des pommes ont été distribuées pas la FDSEA 34.
Des pommes ont été distribuées pas la FDSEA 34. © Radio France
Julia Beaufils

Emploi des seniors : quelques avancées... et de grands reculs

ECONOMIE

Emploi des seniors : quelques avancées… et de grands reculs

Les deux sujets étaient indissociables. Conduites en simultané, les discussions entre les partenaires sociaux concernant l’assurance chômage et l’emploi des seniors ont abouti, le 14 novembre dernier, à un compromis nécessitant l’approbation de chaque organisation syndicale et patronale.

Il convient de souligner que le texte relatif à l’emploi des seniors était particulièrement attendu. En effet, ce sujet avait permis au gouvernement Attal de reprendre la main sur l’assurance chômage. Les partenaires sociaux avaient convenu en novembre 2023 d’un certain nombre de règles, tout en demandant qu’un accord spécifique soit établi pour l’emploi des seniors.

L’exécutif en a alors profité pour reprendre le contrôle – un comportement devenu habituel depuis 2019 – en rendant les conditions d’indemnisation des chômeurs beaucoup plus strictes. La réforme a finalement été abandonnée le 30 juin, au soir du premier tour des élections législatives.

Le gouvernement Barnier a remis les pendules à l’heure et a demandé aux partenaires sociaux de repartir du texte de novembre 2023. La mesure phare, qui bénéficie le plus aux salariés âgés, concerne l’élargissement de l’accès à la retraite progressive. Une victoire politique significative après la phase difficile entourant la réforme des retraites.

Encore peu connue et peu utilisée – un peu plus de 30 000 travailleurs en profitaient en 2020 – cette mesure permet aux salariés, agents de la fonction publique et travailleurs indépendants ayant validé 150 trimestres, de réduire leur charge de travail de 40 % à 80 % tout en combinant une part de leur salaire et de leur retraite. Pendant cette période, le travailleur continue d’accumuler des droits à la retraite, qui seront recalculés au moment de son départ définitif.

Grâce à cet accord, il sera possible d’y faire appel dès 60 ans, ce qui n’était pas prévu auparavant. Précédemment, ce dispositif n’était accessible que deux ans avant l’âge légal de la retraite. La limite de 64 ans signifie qu’à terme, il aurait fallu attendre 62 ans pour soumettre une demande à l’employeur.

Jusqu’à présent, le faible taux de demande de retraite progressive s’expliquait en partie par le fait que la direction de l’entreprise pouvait s’y opposer. Les syndicats ont souhaité que cela devienne un droit opposable. Cependant, le patronat n’a pas accepté cette avancée. En revanche, à partir de demain, les employeurs devront justifier par écrit leur refus, et le salarié aura la possibilité de faire appel au CSE (Comité social et économique) de sa structure.

Des avancées limitées pour l’emploi des seniors

Un autre progrès significatif est que l’emploi des seniors devra désormais être l’objet d’une négociation obligatoire dans les branches et les entreprises. De plus, le rendez-vous de carrière de 45 ans sera renforcé.

Plus controversée est la création du « CDI seniors », récemment renommé « CDI de valorisation de l’expérience ». À la demande du patronat, ce contrat ciblera les demandeurs d’emploi de 60 ans et plus. Si un employeur recrute un senior, il pourra mettre fin au contrat lorsque le salarié atteindra l’âge de départ à la retraite à taux plein (c’est-à-dire lorsqu’il remplit les deux critères : âge légal et nombre de trimestres nécessaires).

Cela implique que le salarié devra fournir à l’employeur une date de départ, même s’en théorie, il peut continuer à travailler jusqu’à 70 ans, âge auquel il sera mis à la retraite d’office.

Ce nouveau dispositif pourrait créer des difficultés pour les seniors qui souhaitent surpasser leurs droits « de base » et surcotiser pour obtenir une pension plus élevée. Un senior se retrouvant sans emploi à 64 ans, ayant tous ses trimestres, n’aura d’autre choix que de partir à la retraite ou de tenter de retrouver un emploi, ce qui est complexe à cet âge. De plus, il ne pourra plus compter sur le filet de sécurité de l’assurance chômage, qui cesse de l’indemniser dès qu’il atteint l’âge du taux plein (une règle toujours en vigueur aujourd’hui). La date butoir pour le CDI senior complique davantage la gestion de la fin de carrière pour les salariés.

Les organisations patronales, Medef et U2P, ont cependant accepté de renoncer à l’exonération de cotisations chômage patronales qu’elles revendiquaient pour les CDI seniors. Cette demande sera réexaminée ultérieurement, idéalement après évaluation du dispositif, au plus tôt en 2027.

Renforcement des restrictions pour les chômeurs âgés

Cet accord national interprofessionnel relatif à l’emploi des seniors devrait être ratifié par la plupart des organisations. Seules la CGT (côté salarié) et la CPME (côté patronal) semblent, pour l’instant, opposées. Cependant, ce texte engendrera des dépenses. À lui seul, l’élargissement de la retraite progressive coûtera près de 400 millions d’euros par an.

Dans un contexte budgétaire où le gouvernement exige des économies, les regards se tournent donc, sans surprise, vers l’assurance chômage. D’autant plus que la ministre du Travail, Astrid Panosyan-Bouvet, a sollicité 400 millions d’euros supplémentaires de la part des partenaires sociaux, par rapport à la situation actuelle.

Le compromis atteint concernant l’assurance chômage, qui ne devrait pas être signé par la CGT et la CFE-CGC, devrait à terme engendrer 1,7 milliard d’euros d’économies annuelles en rythme de croisière, bien que toutes les mesures n’aient pas encore été précisément évaluées.

Quelle est la teneur de cet accord ? Tout d’abord, les employeurs obtiennent une réduction de leur cotisation chômage, attendue depuis longtemps. Celle-ci passera à partir de janvier 2025 de 4,05 % à 4 %. Parallèlement, les syndicats de salariés obtiennent un assouplissement des conditions d’accès à l’assurance chômage pour les primo-entrants et les saisonniers, qui devront avoir travaillé 5 mois, au lieu des 6 requis pour les autres chômeurs, afin de bénéficier d’indemnisation.

Pour le reste, le texte limite pour les créateurs et repreneurs d’entreprise la possibilité de cumuler allocations chômage et revenus non-salariés. Il contient également une mesure technique qui mensualisera les allocations pour tous les chômeurs sur une période de 30 jours, même pour les mois de 31 jours. Ce qui réduit mécaniquement les allocations. Ces deux modifications représentent les principales économies prévues.

Les chômeurs frontaliers vont être concernés

S’ensuivent les nouvelles dispositions visant les travailleurs frontaliers. Conformément à un accord européen de réciprocité, les travailleurs résidant en France et perdant leur emploi en Allemagne, en Italie, en Espagne, au Luxembourg ou en Suisse sont pris en charge par l’assurance chômage française. Inversement, les résidents de ces pays, licenciés en France, sont couverts par leur propre régime. À chaque fois, le pays d’emploi s’engage à reverser le montant des allocations au pays de résidence, dans la limite de cinq mois.

Cependant, le différentiel salarial entre les différents pays, par exemple à Mulhouse (France) et à Bâle (Suisse), désavantage l’assurance chômage française (Unédic). Au total, le surcoût engendré par les demandeurs d’emploi frontaliers a atteint 800 millions d’euros l’an dernier. En France, un allocataire perçoit en moyenne 1 265 euros, alors que cela fait plus du double (2 600 euros) pour ceux ayant travaillé en Suisse et 1 780 euros pour ceux ayant un contrat au Luxembourg. Ces deux nations représentent près de 90 % des indemnisations des frontaliers.

L’accord entre partenaires sociaux renforce les conditions pour les travailleurs frontaliers. Un coefficient sera appliqué pour ajuster leurs allocations en fonction des disparités de niveau de vie entre chaque pays. Le texte prévoit également que ces travailleurs bénéficieront d’un meilleur « suivi et accompagnement » par France Travail. Une renégociation plus globale de cet accord de réciprocité est souhaitable. Toutefois, les discussions sont dans l’impasse et la continuelle évolution des institutions européennes complique la situation.

Les demandeurs d’emploi seniors ne seront pas en reste. En effet, toutes les filières dites « seniors » seront repoussées de deux ans pour s’aligner sur la retraite à 64 ans. Actuellement, dès 53 ans, un chômeur peut prétendre à une indemnisation prolongée (22,5 mois, contre 18 mois pour les autres). Il devra à présent attendre 55 ans.

Quant aux chômeurs qui, dès 55 ans, avaient droit à une allocation de 27 mois, ils devront désormais patienter jusqu’à 57 ans. Le maintien des droits des demandeurs d’emploi jusqu’à l’âge de la retraite à taux plein sera également progressivement reculé. Seule (petite) compensation, la dégressivité des allocations sera assouplie : elle ne sera plus appliquée qu’à partir de 57 ans, et non dès 55 ans comme c’est le cas actuellement.

Ces durcissements ne sont pas bien accueillis. Le marché de l’emploi commence à se bloquer, et les plans sociaux se multiplient. Ils risquent d’aggraver la situation des « ni en emploi ni à la retraite » et n’auront probablement pas d’impact significatif sur le taux d’emploi des seniors en France.

Les femmes ukrainiennes au cœur de la guerre et de la lutte pour l'égalité

ECONOMIE

Les femmes ukrainiennes au cœur de la guerre et de la lutte pour l’égalité

Natalia Myronenko avait prévu de tirer parti de son congé maternité pour se réorienter vers l’architecture d’intérieur. Contrôleuse qualité sur de grands projets à Kiev, la guerre l’a poussée vers un domaine qu’elle n’avait jamais envisagé : le déminage.

Employée comme ingénieure qualité, cette mère de deux jeunes enfants s’attendait à un rôle administratif. « J’ai compris que mon métier, c’était la guerre. Cela a été un choc », révèle Natalia Myronenko, 40 ans. Elle se retrouve à superviser, non la conformité des sites, mais des terrains jonchés de pièges létaux.

« Ce travail est infiniment plus captivant », admet-elle depuis Peja, au Kosovo, où elle suit une formation pour reconnaître des dizaines de dispositifs explosifs – mines, bombes à fragmentation, mortiers. Pour l’Ukraine, devenue le pays le plus miné au monde après le retrait des forces russes des zones occupées, c’est essentiel.

Valentina Kastrenko, 57 ans, ne s’était également jamais imaginé exercer un « métier d’homme », encore moins y éprouver du plaisir. Suite au siège et à la prise de Marioupol, elle a dû fuir sa ville natale et se reconvertir. Après avoir vu une annonce qui l’avait d’abord amusée, elle fait maintenant partie des 300 femmes certifiées conductrices de poids lourds.

Avec la fermeture des ports et aéroports, l’invasion a rendu le transport routier indispensable à l’économie ukrainienne. « Pour moi aussi, cet apprentissage était une question de survie », confie-t-elle.

La bataille de la main-d’œuvre

Inimaginables il y a peu, ces parcours reflètent une révolution en Ukraine : des dizaines de milliers de femmes maintiennent l’économie à flot, lorsqu’elles ne rejoignent pas les forces armées.

Entre les hommes mobilisés, ceux qui se cachent pour éviter la mobilisation et les millions d’expatriés, l’Ukraine souffrirait d’un manque de 4,5 millions de personnes pour reconstruire et soutenir son économie dans les dix prochaines années, d’après les chiffres officiels. Cette pénurie engendre « une bataille quotidienne entre les recruteurs militaires qui souhaitent mobiliser les employés, et les employeurs qui tentent de préserver leurs effectifs », explique Hlib Vyshlinsky, directeur exécutif du Centre de stratégie économique à Kiev.

Les propositions de formation et de reconversion pour les femmes se sont alors multipliées, par exemple pour conduire des excavatrices et des grues. « C’est comparable à Londres en 1942, compare Hlib Vyshlinsky. Mais ici, avec beaucoup de femmes ayant quitté le pays, nous faisons également face à un manque de femmes »

Neuf des dix millions d’Ukrainiens déplacés – principalement à l’étranger – sont des femmes. Celles qui sont restées prennent la relève dans des secteurs essentiels comme le transport, la construction et l’énergie.

« Force motrice de l’émergence d’une Ukraine plus inclusive et tolérante », les Ukrainiennes ne se contentent pas de « combler les vides », analyse Evgeniya Blyznyuk. Dans le cadre d’une série d’« enquêtes en temps de guerre », cette sociologue évalue une société « profondément transformée ».

Ouvrir le chemin

En occupant des rôles stratégiques dans des domaines devenus essentiels, tels le déminage, la fabrication de drones militaires ou le soin des traumatismes, « les femmes ukrainiennes ouvrent la voie vers l’avenir », affirme la déminueuse Natalia Myronenko.

Entre une rivière et un champ de pastèques à Kam’yanka, proche d’Izioum et près de la ligne de front, Galina Burkina passe soigneusement son détecteur de métaux sur le sol. Devant elle, des bandes rouges et blanches signalent la zone à déminer. Vivre ou travailler ici est potentiellement mortel. Galina Burkina, anciennement employée de la centrale électrique de Vouhlehirska, a fui sa région à pied. Oleksiy Kryvosheya, l’un des douze démineurs sous ses ordres, est habitué à travailler avec des femmes.

« En Russie, elles sont considérées comme des esclaves, mais ici, elles sont les descendantes des Amazones », prétend-il.

Dans le secteur du déminage, le manque de main-d’œuvre est évident, selon Iryna Kustovska, responsable des opérations humanitaires de Demining Solution. Voir des femmes démineuses, « cela a été une surprise au début », se souvient-elle. Aujourd’hui, elles constituent un tiers des effectifs.

Svitlana Streliana, PDG d’une société de transport routier à Kharkiv, voit plus loin que simplement « mettre des femmes au volant de camions ». Pour « rendre la profession attrayante pour elles, sans pour autant la romantiser », cette mère de cinq enfants a lancé une campagne sur TikTok et à la télévision, et vient de créer Sisters of the Road, un groupe de soutien.

« Nos femmes sont fortes, mais elles ne le réalisent pas encore. Cette profession peut les aider à découvrir cette force », affirme-t-elle.

« Le féminisme, c’est la défense de notre pays »

Svitlana Streliana elle-même a fait un long chemin. Lors de l’invasion russe à l’hiver 2022, des bombardements frappent les bureaux de son entreprise à Kharkiv, l’obligeant à se cacher pendant quatre jours avec sa fille cadette dans un parking souterrain. Quatre de ses conducteurs sont morts au combat, deux autres sont toujours capturés.

La guerre a ouvert la voie à plus d’égalité et d’indépendance pour les femmes, mais l’émancipation progressé indépendamment en Ukraine, souligne Anna Colin Lebedev, chercheuse à l’université de Paris Nanterre :

« Les femmes ukrainiennes ont toujours été actives dans la société. Il n’y a pas eu du jour au lendemain plus de cheffes d’entreprise : il y en avait déjà un bon nombre avant la guerre. Puisque toute la société est mobilisée pour la guerre, les femmes jouent forcément un rôle prépondérant ».

Tetyana Pashkina, économiste ukrainienne spécialisée dans le marché du travail, acquiesce : « Pour nous, le féminisme, c’est la défense de notre pays ».

La tournure a commencé en 2014 lors de l’agression russe dans le Donbass. Des femmes sont montées au front, sans salaire ni pension, car le métier de combattant, comme 450 autres jugés « dangereux pour la santé reproductive » des femmes – par une idéologie héritée de l’ère soviétique – leur était interdit.

À la suite d’une campagne de sensibilisation menée par la soldate volontaire Maria Berlinska et son film Le Bataillon invisible, le gouvernement a progressivement ouvert ces métiers aux femmes. Depuis 2022, elles peuvent notamment travailler dans les mines.

Faire la guerre ou œuvrer pour elle

« Vous pouvez fabriquerez un drone qui détruira un char russe depuis votre cuisine », affirme Maria Berlinska, qui organise une formation gratuite à la fabrication de drones à laquelle des milliers d’Ukrainiens ont participé. Parmi eux, Violetta Oliynyk. Cette artiste bijoutière de 29 ans a réalisé plus de 123 « drones de la victoire », avec environ dix fabriqués chaque semaine.

« En Ukraine, quand on souhaite défendre son pays, il faut en acquérir les moyens », explique cette jeune femme originaire de Ternopil, dans le sud-ouest du pays.

En 2022, elle vend ses bijoux pour financer l’achat de munitions. Et en décembre 2023, lorsque son père l’appelle avec une demande particulière – peut-elle se procurer cinq drones pour son unité près de Kherson ? – elle se met en action.

« Ici, il n’y a que deux options : faire la guerre ou travailler pour elle, déclare Violetta Oliynyk. Il est crucial de comprendre que si la Russie occupe ma ville, ma famille ne survivra pas. »

L’engagement des Ukrainiennes dans la guerre leur a ouvert des opportunités. Natalya Kolisnickenko a ainsi, à 52 ans, réalisé son rêve d’enfance de conduire des camions. Un rêve mêlé à un cauchemar : « Au-delà de la beauté de notre pays et de ses forêts luxuriantes, je fais face à des destructions, des voitures calcinées, des ambulances surchargées de soldats blessés. »

« Cela fait mal, mais je suis convaincue que si chacun y met du sien, nous parviendrons à tout reconstruire, espère-t-elle. J’ai de la valeur, c’est ma fierté ! »

Pourquoi le solide bilan économique de Joe Biden n'a-t-il pas bénéficié à Kamala Harris ?

ECONOMIE

Pourquoi le solide bilan économique de Joe Biden n’a-t-il pas bénéficié à Kamala Harris ?

Les citoyens américains résidant dans un parc de mobile homes en Californie, ou près d’une usine désaffectée dans le Michigan, et ayant voté pour Donald Trump, ont-ils manqué de compréhension ? C’est ce qu’ont insinué certains analystes pour commenter la défaite des démocrates, soulignant le paradoxe entre cet échec électoral et le bilan économique plutôt positif du président en fonction, Joe Biden.

Sa tactique, axée sur un investissement public massif, un protectionnisme réajusté pour favoriser le développement des industries écologiques, ainsi que des augmentations fiscales, semblait avoir porté ses fruits : depuis l’entrée en fonction de Biden, l’emploi a augmenté de 12 %, le salaire moyen de 19 % et le taux de chômage est tombé à 4,1 %, approchant son plus bas historique. Tout cela tout en freinant l’envolée des prix causée par la pandémie de Covid et la guerre en Ukraine.

Plus qu’un simple slogan électoral, les « Bidenomics », appellation de cette stratégie économique, ont marqué un véritable changement idéologique aux États-Unis, avec le retour de l’État au cœur des préoccupations.

Pourtant, seulement un quart des personnes interrogées par CNN au lendemain des élections présidentielles estimaient que leur situation économique s’était améliorée par rapport à il y a quatre ans, les autres y voyant au mieux une stagnation, et souvent une dégradation.

Parmi ceux qui ont une vision négative de la situation économique, 70 % ont voté Trump. Comme en 2016, le magnat a reçu le soutien de la classe moyenne, que les démocrates espéraient bien récupérer.

Comment expliquer ce paradoxe apparent, entre un bon bilan macroéconomique pour Joe Biden et une désapprobation des électeurs vis-à-vis des démocrates en matière économique ?

Les attentes étaient élevées lors de l’investiture de Biden : le pays sortait d’une récession post-pandémie de Covid-19, la reprise demeurait fragile et le chômage atteignait 14,7 %. En réponse aux crises majeures, le président a débloqué des milliards de dollars en crédits d’impôts et allocations pour préserver le pouvoir d’achat des ménages et soutenir l’activité économique.

Cette approche a porté ses fruits, mais a conduit à un creusement du déficit public. Actuellement, la dette fédérale s’élève à 35 500 milliards de dollars, soit une hausse de 29 % depuis l’arrivée de Biden à la Maison Blanche.

Une somme que les Américains appréhendent de devoir rembourser, alors que l’inflation les a contraints à épuiser leur épargne accumulée pendant la période de Covid pour maintenir leur consommation, une fois les aides exceptionnelles stoppées. 37 % des ménages affirment qu’ils seraient incapables de couvrir une dépense imprévue de 400 dollars sans recourir à un endettement.

Les salaires n’ont pas suivi l’inflation

<pPourquoi les aides publiques n’ont-elles pas suffi ? Très vraisemblablement parce que les salaires n’ont pas évolué parallèlement à l’inflation. Durant la campagne, les Démocrates ont souligné que l’augmentation des prix commençait enfin à ralentir. Cependant, les électeurs n’ont pas oublié le déroulement complet de la séquence inflationniste.

En effet, même si la hausse de l’inflation est désormais moins rapide, nous sommes encore loin d’une déflation (une baisse des prix), qui permettrait d’annuler les hausses précédentes. Certaines dépenses nécessaires ont connu une forte augmentation entre l’investiture et la défaite de Biden : + 23 % pour le logement et l’alimentation, + 13 % pour le transport, + 12 % pour l’éducation et + 8 % pour la santé.

Une augmentation des prix ne constitue pas nécessairement un problème… si les salaires progressent en conséquence. Ce qui n’a pas été le cas de manière suffisante. L’économiste Lucas Chancel a récemment rappelé qu’entre 2020 et 2023, le revenu disponible avant redistribution des 50 % des Américains les moins riches a crû moins rapidement que celui de l’ensemble de la population. En revanche, entre 2016 et 2020, la moitié la plus pauvre de la population avait vu sa situation se renforcer davantage que la moyenne.

« L’inflation a sapé le pouvoir d’achat. Les salariés n’oublient pas qu’ils ont été lésés pendant la période où l’inflation était supérieure à la hausse de leur salaire », confirme François Geerolf, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).

En tenant compte de l’inflation et de la distribution des emplois par secteur, le salaire horaire moyen a diminué de 1,54 dollar entre 2020 et 2024 aux États-Unis.

« Une grande partie du vote pour Trump est le reflet de la colère des électeurs face à cette situation : ils ont travaillé durement et ont l’impression de ne pas avoir été récompensés », indique Cécile Coquet-Mokoko, professeure en civilisation américaine à l’université de Versailles St-Quentin-en-Yvelines. À tel point que dans la « Rust Belt » (« ceinture de la rouille »), un ancien bastion industriel du Nord-Est, le bleu démocrate des élections de 2020 est désormais en train de virer au rouge républicain.

Pourquoi les bons chiffres de l’emploi n’ont-ils pas agi comme un rempart contre l’inflation ? Il existe d’abord des raisons conjoncturelles : les négociations salariales, pour s’ajuster à l’augmentation des prix, prennent toujours du temps. Cela peut sembler être un lointain souvenir maintenant, car les salaires progressent plus rapidement que l’inflation. Mais pendant ce temps, la fin de mois de nombre d’employés a été délicate.

Au-delà de cet aspect temporel, des changements plus fondamentaux affectent la structure de l’emploi. Les deux législations clés du mandat de Joe Biden – l’Inflation Reduction Act (IRA) et le CHIPS and Science Act – avaient vocation à créer des « good jobs ». Cela signifie : des emplois manufacturiers bien rémunérés avec des avantages sociaux. Cependant, ces 800 000 postes tant espérés « ne suffisent pas à compenser les millions d’emplois manufacturiers perdus depuis les années 2000 », remarque François Geerolf.

S’il manque ces « good jobs », c’est, selon l’économiste Dani Rodrik, parce que les mesures de soutien actuelles à l’investissement ciblent des secteurs où la productivité dépend davantage de l’automatisation et de nouvelles technologies que de la main-d’œuvre humaine. En d’autres termes, les nouvelles usines font appel à de nombreuses machines et peu d’ouvriers.

Par exemple, l’ouverture d’une usine de puces électroniques en Arizona cette année devrait « générer à peine 6 000 emplois manufacturiers, ce qui représente plus de 10 millions de dollars investis par emploi créé », explique-t-il.

Les services, notamment l’entretien et le soin aux personnes, ont déjà été le moteur des 16 millions de postes créés en quatre ans. Cependant, la classe moyenne cherche à éviter ces emplois moins bien rémunérés.

Dans un pays où « le succès s’acquiert par le travail », selon Cécile Coquet-Mokoko, la précarisation de l’emploi est perçue comme un obstacle à l’ascension sociale. Cet mécontentement est amplifié par le fait que les aides publiques sont perçues de manière variable de l’autre côté de l’Atlantique. De son expérience aux États-Unis, elle se souvient que « l’État providence est quelque chose de mal vu dans la société américaine ; les Américains ont une répulsion à dépendre d’un État protecteur ».

Ainsi, la chercheuse ajoute que « certains votent Trump car ils admirent la figure qu’il représente, un homme qui aurait atteint le sommet grâce à son intelligence et à son audace ».

Conscient de ces éléments, le camp démocrate a proposé d’instaurer un salaire minimum fédéral de 15 dollars de l’heure. Cela reste cependant insuffisant pour endiguer le mouvement des travailleurs vers le parti de Donald Trump.

Enfin, la politique monétaire a entraîné des conséquences néfastes pour les ménages à faibles revenus. En maintenant des taux bas de 2020 à 2022, la Fed (la banque centrale américaine) a certes soutenu l’activité économique, un bénéfice pour les plus défavorisés. Mais cela a également contribué à l’augmentation des prix des actifs financiers et immobiliers, enrichissant les « Américains détenteurs d’un patrimoine confortable, souvent des seniors, dont beaucoup vivent aujourd’hui de leurs rentes », décrit l’économiste Véronique Riches-Flores.

Trump va décevoir

Pour les primo-accédants, acquérir un logement est devenu presque impossible.

« Ceux qui avaient un peu possèdent maintenant beaucoup, tandis que les autres, les défavorisés, accèdent à de moins en moins de choses », résume l’économiste.

Dans ce contexte social tendu, des formes de racisme sont faciles à attiser. « Les républicains ont appelé aux craintes et émotions de l’électorat », indique Cécile Coquet-Mokoko. En affirmant, par exemple, que les emplois créés allaient aux immigrés, Trump a rassemblé les jeunes électeurs et les Latinos. Pour cause : « les générations récemment intégrées, telles que les Latinos, ferment la porte derrière elles par crainte de perdre leurs acquis », complète François Geerolf.

Cependant, ces acquis ne seront pas mieux protégés par Donald Trump. Au contraire.

« Avec la réduction des aides sociales et un protectionnisme qui fera grimper le prix des biens, la classe moyenne risque de déchanter », avertit Véronique Riches-Flores.

Avec Trump, c’est effectivement le retour de la théorie du ruissellement, qui soutient que des baisses d’impôts pour les plus riches stimuleront la croissance au profit de tous.

La mairie de Montpellier fouillée suite à des doutes concernant des employés payés sans fonction entre 2015 et 2021.

HERAULT NEWS

La mairie de Montpellier fouillée suite à des doutes concernant des employés payés sans fonction entre 2015 et

Ce jeudi 14 novembre, la police judiciaire a effectué des perquisitions au sein de l’hôtel de ville de Montpellier, une information rapportée par nos collègues de Midi Libre et confirmée par France Bleu Hérault. Ces opérations s’inscrivent dans le sillage d’un rapport de la Chambre régionale des comptes datant du 6 juin 2023, qui a analysé la situation de 2015 à 2021, c’est-à-dire sous la présidence de Philippe Saurel, maire sans étiquette, et au début du mandat du maire socialiste Michaël Delafosse.

Ce rapport mettait en lumière un taux d’absentéisme anormal parmi les employés municipaux et des agents qui perçoivent des salaires sans attribution de postes. “À la fin de l’année 2021, la collectivité a recensé, parmi ses effectifs mutualisés, 297 agents sans affectation. Ces travailleurs représentent 8 % des effectifs en équivalent temps plein. Le coût annuel de ces agents non affectés pour la collectivité est estimé, à minima, à 10.813.176 euros”.

En tout, 297 postes vacants sur 3.710 agents dans la ville de Montpellier. Ce même rapport a également indiqué que le taux d’absence des agents s’élève à 44 jours par an, comparativement à 33 jours en moyenne dans d’autres grandes villes françaises.

La municipalité “calme et claire”

Du côté de la mairie, on se déclare “calme et clair” : les documents relatifs aux ressources humaines ont été remis aux enquêteurs. L’équipe municipale actuelle, sous la direction de Michaël Delafosse, souligne que la problématique de l’absentéisme a été abordée dès l’élection municipale de 2020, avec l’instauration d’un plan de prévention et de lutte contre l’absentéisme, qui est entré en application le 1er janvier 2023. Ce plan vise à renforcer la politique d’indemnisation en cas de congés maladie.

Suite aux annonces de réductions budgétaires faites par le Premier ministre, Michel Barnier, le maire de Montpellier, Michaël Delafosse, a critiqué les efforts demandés à la Ville : “Je n’ai rien contre l’idée de réaliser des économies. En fait, depuis mon arrivée au poste de maire, le temps de travail à la mairie est passé de 1.507 heures à 1.607 heures, j’ai appliqué la législation, et j’ai lancé un plan contre l’absentéisme. En permanence, nous cherchons à améliorer la qualité du service public“.

L’élue de l’opposition, Alenka Doulain, a réagi en appelant le maire de Montpellier à fournir des explications : “Depuis le début de son mandat, j’attire l’attention sur les méthodes de gestion du personnel à la mairie de Montpellier. J’ai à plusieurs reprises demandé, lors des séances du conseil municipal, des précisions sur le salaire et la composition des membres de son cabinet, sans obtenir de réponses. La ville et ses habitants méritent une administration transparente qui assure une gouvernance municipale responsable et équitable”.

Ces coopératives qui font face à l’ubérisation de l’emploi

ECONOMIE

Ces coopératives qui font face à l’ubérisation de l’emploi

En dépit de l’opposition de la France, une directive européenne qui prévoit une présomption de salariat pour les travailleurs des plateformes est en voie d’être adoptée. Reste à déterminer comment elle sera intégrée dans les législations nationales. En attendant, la résistance continue de s’organiser sur le terrain.

Dans le domaine de la livraison à vélo, de nombreuses coopératives de cyclistes ont vu le jour çà et là : en France, Sicklo à Grenoble, Fast and Curious au Havre, Les Coursiers de Metz dans la ville éponyme… Au total, on dénombre environ quarante coopératives de cyclistes livreurs et logisticiens dans le pays, toutes affiliées à la fédération CoopCycle.

Le principe : ces coopératives embauchent les livreurs et ont collaboré au développement d’une application de mise en relation. « Nous sommes à la fois livreurs, logisticiens, gestionnaires et mécaniciens (…) Nous ne désirons pas travailler dans une économie ubérisée, nous créons nos propres coopératives », souligne le site de CoopCycle.

En Seine-Saint-Denis, la démarche des chauffeurs VTC est différente. Plus de 500 d’entre eux se sont regroupés au sein d’une société coopérative d’intérêt collectif (Scic), Maze. L’objectif : offrir « une alternative à l’entrepreneuriat fictif des plateformes », précise Brahim Ben Ali, le fondateur et directeur général. Contrairement aux livreurs à vélo, les chauffeurs de Maze ne sont pas salariés de la Scic. Ils demeurent indépendants, étant chacun propriétaires de leur véhicule.

Quels sont alors les atouts de la coopérative ? « Elle négocie des protections sociales, les tarifs des assurances des véhicules et les véhicules eux-mêmes », énumère Brahim Ben Ali. Il s’agit donc d’assurances individuelles, mais négociées collectivement. L’idée est malgré tout de garantir une uniformité dans le service fourni : par exemple, un code vestimentaire sur lequel les chauffeurs se sont mis d’accord.

Des décisions prises collectivement

De manière générale, fini le lien de subordination : les décisions sont prises de manière collective. Maze est constitué de cinq collèges regroupant différentes catégories d’associés, qui participent aux votes : deux collèges « chauffeurs », selon qu’ils comptent plus ou moins de trois ans d’ancienneté, un collège d’utilisateurs bénéficiaires (la part sociale s’élève à 50 euros), un collège d’institutions publiques, incluant l’intercommunalité Plaine Commune et le département de Seine-Saint-Denis, et enfin, un collège « bénévoles ».

Comme pour les VTC des grandes plateformes, et en accord avec la loi Thévenoud de 2014, il est interdit pour les chauffeurs de Maze de proposer des courses « à la volée ». Les clients doivent s’inscrire via une plateforme de réservation, qui a coûté à la jeune entreprise un investissement de 300 000 euros.

Pour une nuit « normale » dans la métropole parisienne, il faut compter environ 3 000 chauffeurs. Avec ses quelque 500 « chauffeurs-sociétaires », Maze est encore loin du nombre requis. C’est pourquoi l’idée est de se lancer d’abord sur le marché professionnel, le B2B, à Lille et Paris. L’entreprise vise également les collectivités. « Il faut roder la bécane », résume Brahim Ben Ali.

Pour un trajet Lille centre-aéroport, un chauffeur Maze percevra 29 euros, auxquels s’ajoute une commission (15 % sur la gamme économique, 20 % sur les berlines et vans) qui va au pot commun et est redistribuée sous forme de bénéfices.

Sur le plan économique, l’incertitude demeure. L’argent reste un enjeu crucial. « Nous n’avons bénéficié d’aucune aide de l’Etat », déplore le PDG. Mi-octobre, Maze a lancé un financement participatif, espérant collecter entre 1,5 et 2 millions d’euros d’ici février prochain. Avis aux intéressés !

Une approche différente du nettoyage

Une autre ville, un autre secteur, un autre modèle. À Nantes, Véry’fiable offre depuis douze ans des services de nettoyage et de ménage pour les entreprises et les particuliers. Bien qu’il n’y ait pas de plateforme d’intermédiation dans ce domaine, la précarité y est omniprésente.

« À l’origine, il y a un groupe de cinq personnes travaillant pour une grande entreprise qui ont décidé de fonder leur propre société », résume Anne Chauchat, qui vient de devenir sociétaire après un parcours d’intégration de deux ans. La Scop compte 35 employés, dont seuls 9 ont été transformés en sociétaires après avoir suivi le célèbre parcours.

Véry’fiable emploie de nombreuses personnes initialement éloignées de l’emploi. « Nous collaborons avec des structures d’insertion et des organismes d’accompagnement pour les personnes étrangères », ajoute encore Anne Chauchat.

Le choix de la coopérative répond à plusieurs objectifs : valoriser des métiers souvent dévalorisés ; offrir des perspectives d’évolution professionnelle, avec l’apprentissage de compétences entrepreneuriales, puisque les sociétaires d’une Scop doivent superviser la gestion ; améliorer les conditions de travail ; et répondre à une demande de clients prêts à payer davantage pour des salariés traités avec plus de considération.

« Lors d’une première visite chez les clients, nous examinons le matériel proposé », explique Anne Chauchat. Nous recommandons d’utiliser uniquement du vinaigre blanc et du liquide vaisselle. Un client qui voudrait imposer de l’eau de javel par exemple, c’est non. »

Idem pour les aspirateurs muraux légers : « À l’usage, ils entraînent des tendinites. »

Les employés sont rémunérés au Smic ou au-dessus, en fonction de leur expérience. Le salaire est annualisé, avec un nombre d’heures fixes comptées dans le mois, afin d’assurer une sécurité tout en tenant compte des annulations de dernière minute. Sur le marché des particuliers, la prestation est facturée 33 euros de l’heure + 4 euros de frais de déplacement. « C’est la fourchette haute, mais nous l’assumons », souligne Anne Chauchat.

Sur le plan financier, la Scop se porte bien, même si elle ne génère pas « des marges énormes », précise encore la sociétaire. Elle investit beaucoup dans la formation aux métiers et les parcours d’intégration pour devenir associé. Tout cela sans bénéficier des aides d’une association ou celles d’une structure d’insertion par l’activité économique. Toutefois, elle est en partie soumise à la convention des services à la personne, ce qui permet à sa clientèle de particuliers de profiter d’un crédit d’impôt de 50 %.

Véry’fiable a reçu en 2021 le prix national de la Fondation du crédit coopératif et, en 2023, le prix régional Pays-de-la-Loire de l’économie sociale et solidaire.

POUR ALLER PLUS LOIN :

Le débat « A-t-on renoncé à lutter contre la pauvreté ? », le samedi 30 novembre à 9 h 45 aux Journées de l’économie autrement, à Dijon. Consultez le programme complet de cet événement organisé par Alternatives Economiques.

Les librairies autonomes, cruciales et fragiles

ECONOMIE

Les librairies autonomes, cruciales et fragiles

Être entouré de livres n’immunise pas contre les fluctuations économiques. Depuis le printemps passé, Emilie Grieu, créatrice de la librairie Les Pipelettes à Romainville (Seine-Saint-Denis), a « souvent été à découvert dès le dix de chaque mois », partage-t-elle. « C’est inédit », précise cette quadragénaire dynamique.

Pour les environ 3 700 librairies indépendantes présentes en France (au sein de 25 000 points de vente de livres au total, y compris hypermarchés et stations-service, selon le ministère de la Culture), l’année 2024 s’annonce comme un challenge. Après l’enthousiasme des lecteurs et lectrices pour leur librairie de quartier, qualifiée de « commerce essentiel » durant la crise de la Covid, les ventes stagnent.

Selon l’Observatoire de la librairie française, les ventes reculent même pour les livres, hors papeterie (- 0,9 % de janvier à septembre 2024 par rapport aux neuf premiers mois de l’an passé).

Pour les plus petites librairies, celles dont le chiffre d’affaires annuel ne dépasse pas 500 000 euros, comme Les Pipelettes, la condition devient alarmante. D’après une analyse du cabinet Xerfi, de nombreux commerces pourraient faire face à la faillite dès l’année prochaine. Unique au monde grâce à la densité de son réseau, essentielle pour le lien social et le tissu territorial autant que pour l’échange d’idées, cette industrie se retrouve prise dans un redoutable effet ciseau.

Augmentation des coûts

D’une part, les coûts ont fortement grimpé depuis 2021. L’énergie en tête. Les plus grandes librairies indépendantes, parmi les plus coûteuses à chauffer, ont enregistré une hausse de 150 % de leur facture d’électricité.

Contrairement aux boulangers, d’autres commerçants « essentiels », les libraires n’ont pas bénéficié de tarifs plafonnés. Résultat ? Comme beaucoup de patrons de PME, certains libraires expriment parfois le sentiment de « travailler pour Engie », confie Amanda Spiegel, à la tête de Folie d’encre à Montreuil (Seine-Saint-Denis) et vice-présidente du Syndicat de la librairie française (SLF).

En outre, la flambée des prix des carburants impacte également les frais de transport (+13 % depuis 2021) que supportent les libraires : ils doivent financer l’acheminement des livres commandés et le retour des invendus au distributeur.

Ce n’est pas tout. Les commerces indépendants, généralement situés en centre-ville, doivent aussi gérer la hausse des loyers, un important poste de dépenses. Dans le quartier populaire en transformation de Romainville, Emilie Grieu doit débourser 3 000 euros par mois pour 70 mètres carrés de surface de vente en rez-de-chaussée et un sous-sol de 30 mètres carrés.

Concernant le personnel, souvent mal rémunéré, il a fallu augmenter les salaires (+10 % de masse salariale) pour faire face à l’inflation, atteignant en 2024 un salaire moyen de 1 720 euros nets, somme modeste pour des diplômés engagés et cultivés.

Dans les librairies indépendantes, la masse salariale représente une part plus conséquente du budget (environ 20 % contre 14 % à la Fnac, 10 % en grande surface, 5 % sur Amazon). C’est logique : conseiller les clients, valoriser des titres méconnus et inviter des auteurs requiert du temps et des compétences. « C’est vital », résume Emilie Grieu, qui emploie Cécile, libraire expérimentée en CDI, et un stagiaire, Alexis, apprenti libraire et passionné de sciences humaines.

À l’opposé, les prix ne suivent pas. Fixés par les éditeurs selon la loi Lang de 1981 sur le « prix unique du livre », ils n’ont crû que de 2,2 % en moyenne en 2024. Cette législation a le mérite de protéger l’écosystème des librairies indépendantes de la concurrence des grandes surfaces, sauvegardant ainsi la pluralité éditoriale.

Le souci, c’est que les remises accordées par les éditeurs aux libraires, d’environ un tiers du prix de vente, ne suffisent plus : « Il faudrait obtenir 38 % à 40 % », estime Emilie Grieu. En conséquence, les marges des librairies se resserrent. Cette année, elles ne dépassent pas 1 % de leur chiffre d’affaires moyen, l’un des taux de marge les plus bas dans le commerce de détail, « avec les fleuristes », nous informe-t-on.

Trois fois plus qu’il y a trente ans

Les livres deviendraient-ils jetables ? En termes logistiques, c’est certain. Toutes catégories confondues, du manuel scolaire au livre de cuisine en passant par le roman, environ 75 000 publications voient le jour chaque année, soit trois fois plus que dans les années 1990. Et ce, alors même que la population n’a augmenté que de 20 % et que les Français ne lisent pas davantage.

Bien que cette richesse puisse illustrer une diversité bienvenue dans l’offre de lecture, il en résulte qu’à peine arrivées en rayon, les nouveautés doivent céder la place à des titres encore plus récents. « Nous passons notre temps à décharger et à remplir des cartons », témoigne Anne Martelle. La production éditoriale pousse les cadences à un rythme insoutenable :

« On n’a plus le temps de lire ! s’écrie sa collègue Amanda Spiegel. Dans ces conditions, on ne parvient plus à faire découvrir les livres, on perd l’essence même du métier. »

Cette précipitation impacte également l’empreinte carbone de la filière : l’écologie était l’un des thèmes majeurs des rencontres nationales de la librairie, tenues à Strasbourg en juin dernier. Au début de l’année, l’association de libraires indépendants Pour l’écologie du livre a lancé une « trêve des nouveautés », sous l’égide de sa cofondatrice Anaïs Massola, libraire au Rideau rouge, à Paris.

Ingénieux, les participants ont refusé certains ouvrages selon des critères délibérément surprenants (comme la couleur de la couverture…). Cette initiative incitera-t-elle les éditeurs à réduire leur production (un peu) ? Les libraires auraient tout à y gagner, car le rythme élevé des commandes et des retours pèse sur leur budget.

Diversité de l’offre culturelle

Et après ? « Déjà sur le fil, écrivent les spécialistes de Xerfi, la situation financière des librairies (indépendantes, NDLR.) pourrait encore se détériorer dans les années à venir ». Dès 2025, précisent-ils, les plus petites pourraient encaisser des « pertes considérables » et des fermetures.

Cette vulnérabilité menace la pluralité de l’offre culturelle en France et soulève également une question politique. Dans un contexte économique délicat, les libraires se trouvent en effet exposés aux manœuvres de riches entrepreneurs d’idées, souvent proches de l’extrême droite. En septembre 2023, Vivendi, le groupe dirigé par Vincent Bolloré, a acquis l’Écume des pages, célèbre enseigne parisienne située à Saint-Germain-des-Prés.

Cet automne, un autre milliardaire « patriote » (sic) s’intéresse aux librairies indépendantes : Pierre-Edouard Stérin, leader du fonds Otium Capital, finance le projet nommé « Périclès » à hauteur de 150 millions d’euros pour « l’enracinement, l’identité » et « l’anthropologie chrétienne ».

Après avoir échoué l’an passé à acquérir le groupe Editis (Belfond, Julliard, Robert Laffont…) puis, en août dernier, le magazine Marianne, il a publié une annonce. Il recherche « un entrepreneur » afin de constituer d’ici cinq ans « un réseau de 300 librairies indépendantes dans les régions françaises » qui organiseraient « plus de 5 000 événements culturels locaux ». L’objectif ? « Réinventer le concept de librairie multi-activités avec une offre culturelle au service des familles ». Une bataille culturelle est en cours.