Quand la Sécurité sociale soutient les assurances santé complémentaires

ECONOMIE

Quand la Sécurité sociale soutient les assurances santé complémentaires

Une augmentation de 10 points pour le ticket modérateur lors d’une consultation médicale est-elle imminente ? Si le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour l’année 2025 (PLFSS 2025) est validé selon les souhaits du gouvernement, le « reste à charge » pour un patient consultant son médecin pourrait effectivement grimper de 30 % à 40 %. À moins, bien entendu, que sa complémentaire santé n’intervienne.

Cela constitue véritablement un transfert de financement des soins vers des complémentaires santé qui, paradoxalement, sont à la fois plus onéreuses et plus inégalitaires que la Sécurité sociale. Ce transfert affiche une baisse des dépenses publiques, mais entraîne une dégradation des conditions pour la population, en raison de la montée prévisible des primes et des difficultés croissantes d’accès aux soins, surtout pour les plus modestes qui ne disposent pas d’une complémentaire.

Ces limites sont désormais bien établies, mais un autre aspect est moins connu. En effet, les transferts de charge de la Sécurité sociale vers les complémentaires santé entraînent une diminution des revenus de la Sécu. Les transferts de charge ne se contentent pas de réduire les dépenses de la Sécu, ils en diminuent également les recettes.

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Pour appréhender ce phénomène, il est impératif de faire un détour par le concept de dépense socio-fiscale. Selon l’économiste Michaël Zemmour, « les dépenses socio-fiscales regroupent tous les dispositifs dérogatoires aux prélèvements obligatoires habituels ». Pour atteindre divers objectifs de politique publique, le régulateur choisit de réduire délibérément le niveau des prélèvements fiscaux et/ou sociaux.

Concernant la Sécurité sociale, le cas le plus emblématique est l’exonération des cotisations sociales pour les bas salaires, visant à dynamiser l’emploi. Les dépenses socio-fiscales peuvent être évaluées en termes de réalisation de leur objectif initial (ici l’emploi) ainsi que par rapport aux conséquences en termes de pertes de recettes pour les institutions publiques (la Sécurité sociale ici).

De l’incitation à l’obligation

Comme l’ont noté la juriste Marion Del Sol et l’économiste Pascale Turquet, une dépense socio-fiscale spécifique a été mise en place pour encourager le développement des complémentaires santé depuis la fin des années 1970.

La loi du 29 décembre 1979 introduit une exemption d’assiette pour les contributions des employeurs destinées au financement de prestations complémentaires de retraite et de prévoyance. L’exemption d’assiette signifie l’exclusion d’une partie du salaire dans le calcul des cotisations, ce qui réduit mécaniquement les ressources de la Sécurité sociale.

L’objectif de ce mécanisme est de nature incitative : encourager les entreprises à instituer de manière volontaire des prestations sociales complémentaires pour la santé et/ou la retraite de leurs employés.

Pour les entreprises, ces nouvelles règles modifient les choix entre salaire et prestations complémentaires au profit de ces dernières. Du côté de la Sécurité sociale, les ressources diminuent lorsque l’initiative privée des employeurs finance la complémentaire privée au lieu du salaire. De plus, la Sécurité sociale ne finance pas directement les complémentaires. Cependant, leur développement à travers l’entreprise entraîne un manque à gagner pour elle.

Un contournement de la Sécu subventionné

Les modalités de l’exemption d’assiette ont beaucoup évolué au fil des années 2000. L’Accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013 a marqué une étape majeure. Cet accord a permis aux salariés du secteur privé d’accéder à une complémentaire santé obligatoire, financée à hauteur d’au moins 50 % par l’employeur. Ce droit a été instauré en contrepartie des mesures de flexibilisation de la gestion de l’emploi obtenues par le patronat (ce qui explique l’absence de signature des syndicats CGT et FO).

L’ANI a été ratifié par la loi du 14 juin 2013, avec une mise en application des mesures concernant la complémentaire d’entreprise à partir du 1er janvier 2016. L’ANI a consolidé les exemptions d’assiette pour les employeurs finançant une complémentaire d’entreprise.

Marion Del Sol et Pascale Turquet soulignent que nous avons évolué d’une logique d’incitation à celle de subvention. Auparavant, l’exemption d’assiette était conditionnée à une initiative volontaire de l’entreprise considérée par le régulateur comme vertueuse. Maintenant, étant donné que la couverture d’entreprise est obligatoire, l’exemption d’assiette s’apparente à une pure subvention, au détriment de la Sécurité sociale.

Des pertes de recettes considérables pour la Sécu

À quel coût ? L’annexe 4 du PLFSS 2025 présente une estimation des pertes de recettes dues aux exemptions d’assiette. Celles-ci concernent non seulement les complémentaires santé d’entreprise mais également d’autres dispositifs de contournement du salaire (participation, intéressement, tickets-restaurants, chèques vacances, etc.).

Tous dispositifs confondus, l’assiette exonérée pour 2022 s’élève à 66,1 milliards d’euros, représentant ainsi une perte de 17,8 milliards d’euros de cotisations brutes ou de 13,3 milliards d’euros de cotisations nettes pour la Sécurité sociale. La cotisation brute inclut à la fois les pertes dues à l’exemption d’assiette et les exonérations générales de cotisations.

Les estimations fournies dans le PLFSS ne stipulent pas précisément le montant en euros de ce qui pourrait être récupéré en modifiant une disposition ou une autre. En effet, l’évolution de la réglementation occasionne un changement de comportement non pris en compte ici.

Néanmoins, ces calculs permettent d’évaluer les pertes potentielles, qui peuvent être mises en relation avec les déficits de la Sécurité sociale, mettant ainsi en lumière l’ampleur de la situation. En 2023, les pertes de cotisations engendrées par les politiques d’exemption étaient supérieures au déficit de la Sécurité sociale.

Et qu’en est-il des complémentaires santé d’entreprise ? En 2022, elles représentent le premier motif d’exemption d’assiette, totalisant 21,1 milliards d’euros sur 66,1 milliards exemptés (31,9 % du total). Elles constituent également la principale cause de perte de cotisations : 6,3 milliards de cotisations brutes et 4,9 milliards de cotisations nettes.

La contribution des complémentaires santé d’entreprise aux pertes de recettes de la Sécurité sociale est loin d’être négligeable. En 2023, les pertes de recettes attribuables aux déductions d’assiette dues à une complémentaire d’entreprise représentent environ la moitié du déficit de la Sécurité sociale (entre 4,8 et 6,6 milliards sur 10,8 milliards d’euros).

Étant donné l’ampleur des pertes de recettes pour la Sécurité sociale, des taxes compensatoires ont été progressivement instituées. Le régulateur cherche à établir une taxation intermédiaire, située entre l’absence d’exemption et l’exemption intégrale.

En 2022, les taxes compensatoires ont permis en moyenne de récupérer 36,1 % des montants perdus à cause des exemptions d’assiettes. Les données spécifiques sur les contrats de complémentaires santé ne sont pas accessibles. Le manque à gagner est sans doute très important, se chiffrant en milliards d’euros.

Il existe donc structurellement un lien entre l’expansion des complémentaires santé d’entreprise et les pertes de recettes pour la Sécurité sociale. Lorsque les complémentaires santé d’entreprise prospèrent, la Sécu subit une réduction de ses recettes. Cela a pour conséquence d’affaiblir le solde de la Sécurité sociale, justifiant ainsi le transfert de charge vers les complémentaires santé. Un cercle vicieux se développant au détriment des patients.

L'éco d'ICI - L'établissement Cewe, expert dans les albums sur mesure, se met en condition pour un niveau d'activité élevé lors des fêtes de Noël

HERAULT NEWS

L’éco d’ICI – L’établissement Cewe, expert dans les albums sur mesure, se met en condition...

Cewe s’apprête à affronter le pic d’activité annuel, en l’occurrence Noël. L’usine située à Fabrègues se concentre sur la fabrication d’albums et de calendriers photo sur mesure. Pour répondre à la demande croissante, la société augmente son personnel par trois. Une chronique réalisée en collaboration avec ToulÉco Montpellier.

Avec l’arrivée des célébrations de Noël, Cewe, localisée à Fabrègues, anticipe déjà une période d’activité intense. Le champion européen de l’impression photo et de l’élaboration d’albums personnalisés offre diverses options. Pour concevoir le livre photo, vous pouvez utiliser le site Web ou son application dédiée, un logiciel pour modifier et sélectionner des cadres uniques. “Notre produit vedette durant cette saison, ce sont les calendriers de l’Avent”, précise Don Weedman, le directeur.

Pour la fin d’année, le site est au centre de cette montée en charge. L’année précédente, ce laboratoire d’impression avait réalisé 17 % de son total de livres photo annuels et 70 % des calendriers en décembre seul.

80 emplois supplémentaires dans l’Hérault

De la mi-novembre jusqu’à janvier, le laboratoire intensifie sa production pour suivre le rythme. Alors que l’entreprise fonctionne avec environ trente employés tout au long de l’année, à l’occasion des fêtes, Cewe met en place 80 postes temporaires supplémentaires. Des contrats à durée déterminée ainsi que des missions intérimaires sont offerts. “Il a fallu seulement quelques jours pour recruter le personnel. Nous travaillerons durant les quatre week-ends de décembre. Tous les samedis et une partie des dimanches pour les saisonniers”, ajoute le directeur. L’objectif est de garantir une production continue, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.

Fonctionnaires, préparez-vous à endurer ! Porcher analyse les déclarations du gouvernement et de Kasbarian

ECONOMIE

Fonctionnaires, préparez-vous à endurer ! Porcher analyse les déclarations du gouvernement et de Kasbarian

Thomas Porcher a récemment publié “L’économie pour les 99%” chez Stock, avec la collaboration de Ludivine Stock et Raphaël Ruffier-Fossoul. L’économie des 99% s’adresse à tous et vise à servir le plus grand nombre, selon l’économiste. À travers un voyage narratif en bande dessinée, Thomas Porcher revisite des concepts sérieux avec une touche d’humour pour offrir un véritable guide d’autodéfense économique. Nous sommes désormais au courant que le gouvernement tente de réduire ses dépenses. Les fonctionnaires sont désormais dans la ligne de mire. Le dimanche 27 octobre, le ministre de la fonction publique, Guillaume Kasbarian, a déclaré envisager de durcir le régime des arrêts maladie des fonctionnaires : passer de 1 à 3 jours de carence et réduire l’indemnisation en cas d’arrêt de 100 % à 90 %. Pour justifier cette décision, les partisans de Macron affirment que les employés du secteur public bénéficieraient d’avantages par rapport à ceux du secteur privé. Mathieu Lefèvre, député de la majorité, évoque lui l’“absentéisme” et revendique une plus grande productivité au sein de la fonction publique. Le gouvernement espère réaliser une économie de 1,2 milliard d’euros chaque année. Est-ce un nivellement par le bas ou le secteur privé qui devient la norme ? Thomas Porcher et Lisa Lap précisent que les salariés du privé n’ont fréquemment aucun jour de carence. De surcroît, les données indiquent clairement que l’augmentation des jours de carence ne diminue pas significativement le nombre d’arrêts maladie, et peut même entraîner une prolongation de ceux-ci. Enfin, Thomas Porcher souligne que les fonctionnaires côtoient souvent des personnes malades, âgées ou de jeunes enfants, ce qui les expose davantage au risque de contagion. En fin de compte, cette réforme risquerait de rendre moins attrayant le statut de salarié dans le public par rapport au privé. L’économiste rappelle que si un service public…

Le fiasco Volkswagen révèle les restrictions de la «codétermination» à l’allemande.

INVESTIGATIONS

Le fiasco Volkswagen révèle les restrictions de la «codétermination» à l’allemande.

La dégringolade de l’empire Volkswagen marque également la fin d’un rêve qui a longtemps passionné les gauches européennes et américaines : celui d’une régulation du capitalisme par la cogestion. En effet, l’entreprise de Wolfsburg incarne l’exemple type de la cogestion la plus poussée du « capitalisme rhénan », censée contrecarrer les dynamiques du « capitalisme actionnarial » anglo-saxon. Or, son échec, actuellement en cours, qui se révèle être un échec économique, vient mettre à mal ces convictions.

Violence, omission d'assistance à personne en danger… En Moselle, l'inaction face aux dérives d'un foyer pour l'enfance

CULTURE

Violence, omission d’assistance à personne en danger… En Moselle, l’inaction face aux dérives...

Sonia se souvient bien de ce 13 juin 2024. Comme chaque jour, cette mère de famille se rend à la maison d’enfants à caractère social (MECS) de Saint-Avold (57), où elle exerce depuis quelques mois en tant qu’éducatrice. Ouvert en 2022, le centre accueille des mineurs et jeunes adultes encadrés par l’aide sociale à l’enfance. Alors qu’elle est en service l’après-midi, Sonia voit arriver dans la soirée Marie (1), une jeune fille du foyer, en pleurs. « J’essaye de la consoler, mais rien ne fonctionne », confie Sonia. Marie lui confie avoir été enfermée durant plusieurs heures dans un véhicule par son éducateur, qui jouait au football avec d’autres adolescents, se remémore Sonia :

« Elle aurait réussi à sortir du véhicule et à marcher plusieurs kilomètres jusqu’au foyer. »

Quelques jours plus tard, Sonia relate les événements dans des emails adressés à la directrice de l’aide sociale à l’enfance (ASE) de Moselle ainsi qu’à la directrice générale de l’association Moissons Nouvelles, gestionnaire du lieu. Elle décrit une « scène de violence », où un éducateur serait revenu précipitamment au centre avant de « balayer » Marie. « Je n’ai pas pu dormir pendant des jours. J’en ai parlé à ma supérieure, mais elle n’a rien fait », se lamente Sonia. Dans une lettre écrite quelques jours après ces faits et signée par Marie, on dénonce à nouveau la conduite de cet éducateur. « Je ne me sens vraiment pas à l’aise lorsqu’il est en service », écrit-elle. Ces propos sont confirmés par une personne proche, contactée par StreetPress. Début 2024, une autre éducatrice s’interrogeait déjà auprès de sa direction sur les méthodes de travail pratiquées par le même éducateur.

Cette MECS, baptisée So Green, est spécialisée dans la protection et le secours des enfants et adolescents. L’association Moissons Nouvelles emploie plus de 1.000 personnes en France pour un budget de 68 millions d’euros. Sa structure comprend six pôles régionaux, le plus important situé dans le Grand-Est, avec un budget de 18 millions d’euros en 2023 et dix services. Plusieurs structures se trouvent dans l’Est de la Moselle : à Saint-Avold, Petite-Rosselle et Folschviller. Durant notre enquête, nous avons recueilli les témoignages de huit salariés, passés ou actuels, complétés par des échanges d’emails et de messages. Ces récits décrivent un foyer où les mineurs sont parfois mis en danger en raison d’un sous-effectif chronique ou de conflits entre encadrants.

Non-assistance envers un mineur vulnérable

Début 2024, Lysalia Schreiber assiste à la crise d’un adolescent face à laquelle deux responsables restent insensibles. « Cet adolescent avait déjà tenté de se défenestrer en novembre 2023 », relate cette ancienne éducatrice à la MECS de Saint-Avold. « J’ai demandé à intervenir pour le calmer, mais mon supérieur m’en a empêchée, affirmant qu’il devait se calmer tout seul. » Quelques instants après, elle entend des bruits de verre, se tourne vers l’extérieur et « voit des éclats au sol et un grand trou dans le vitrage de la chambre ». Lysalia poursuit :

« J’ai de nouveau interpellé mon supérieur, qui observait la scène et m’a ordonné de nettoyer les débris. Lorsque je suis entrée dans la chambre, j’ai trouvé l’adolescent avec un gros éclat de verre à la main, tentant de se blesser. »

Le supérieur, contacté, affirme être intervenu dans la chambre après Lysalia et avoir demandé au jeune de lâcher le morceau de verre. Ce dernier aurait obéi, non sans s’écorcher légèrement. Lui aussi critique alors directement la gestion de Moissons Nouvelles :

« J’ai signalé à maintes reprises à la direction que ce garçon, parfois violent, nécessitait un accompagnement thérapeutique. Je n’ai jamais été entendu. »

Lors de notre investigation, six anciens collaborateurs, principalement de So Green, ont rapporté des expériences comparables : des dysfonctionnements signalés à la direction, souvent sans suite. Presque tous ont depuis quitté leur poste, que ce soit par démission ou licenciement, comme Sonia, ou encore à travers le non-renouvellement de contrat, comme Lysalia. Après avoir tenté de sensibiliser une autre direction proche, cette dernière a vécu une fin de CDD « tendue ». Sonia regrette, quant à elle, de ne plus pouvoir travailler avec les adolescents « avec qui elle avait tissé de bons liens » et d’avoir dû abandonner un emploi « dans lequel elle se sentait utile ».

Un foyer en crise et en sous-effectif

« Ce qu’il se passe depuis plusieurs mois est préoccupant », affirme Sophie Weber. Assistante de direction à la MECS So Green, elle a été licenciée début 2024 tandis qu’elle traversait des difficultés personnelles dues à son travail. De mai à septembre, elle avait signalé plusieurs situations – dont celle de Sonia – à la direction de la protection de l’enfance, mais aussi au président du département, Patrick Weiten. Dans divers échanges consultés par StreetPress, elle expose le quotidien d’une MECS fracturée, en sous-effectifs, où les rivalités entre employés impactent directement les mineurs. Un cadre où les moyens manquent :

« Depuis des années, les responsables de services se succèdent, les éducateurs partent en arrêts-maladie fréquents, et le recours aux intérimaires ne cesse d’augmenter », note un ancien employé sous anonymat. Une ex-collègue corrobore :

« On évolue dans un environnement chaotique : un éducateur se retrouve parfois seul face à une quinzaine d’adolescents, et les absences ne sont pas comblées à temps. Ce sont les enfants qui subissent ces violences institutionnelles. »

Un autre ancien de So Green, parti il y a plusieurs mois, estime la situation hautement alarmante et suggère que la MECS « devrait fermer » :

« Les enfants et les équipes éducatives sont constamment mis en danger à cause de l’inaction et du désintérêt de la direction. J’ai assisté à plusieurs incidents impliquant adolescents ou éducateurs, et j’ai moi-même été visé. »

Ce manque criant de ressources a des conséquences dramatiques. En décembre 2023, plusieurs jeunes réussissent à fuguer. Quelques mois plus tard, c’est un adolescent de Folschviller qui vole un véhicule de service, provoquant un accident à quelques kilomètres. Dans des correspondances, un chef de service dénonce le comportement de certaines éducatrices, qui manipuleraient des adolescents pour « exercer une pression sur eux, les forçant à se soumettre ».

Face à cette réalité qui touche tout le département, un collectif baptisé Protect 57 est créé début 2024. Composé majoritairement de travailleurs sociaux, il revendique davantage de moyens humains et financiers pour protéger l’enfance. « Dans le domaine social, le turn-over de 50 % et l’absentéisme avoisinant 15 % sont généralisés », déplore Éric Florindi, membre du collectif et syndicaliste Sud santé-sociaux Moselle. Il souligne :

« Les appels d’offres privilégient la rigueur budgétaire au détriment de l’accompagnement qualitatif des enfants. À la tête de ces structures, on retrouve des gestionnaires, non des personnes à valeurs humanistes. »

En décembre 2023, Éric Florindi relatait cette situation lors d’un entretien avec Patrick Weiten. Un document relatant les difficultés au sein de la MECS So Green lui avait été remis. Toutefois, les discussions promises n’ont pas eu lieu.

Multiples plaintes déposées en 2024

Les graves dysfonctionnements des foyers mosellans dirigés par Moissons Nouvelles, notamment So Green, sont également dans le collimateur de la justice. Un groupe d’ex-employés a engagé une procédure pour licenciements abusifs aux prud’hommes. Parallèlement, plusieurs plaintes ont été déposées début 2024 auprès des tribunaux de Metz et Sarreguemines pour divers motifs, dont non-assistance à mineurs vulnérables en danger.

L’une de ces plaintes, déposée par Lysalia Schreiber en mars 2024, relate son expérience durant la crise de l’adolescent face à l’inaction de sa hiérarchie. Le Parquet de Sarreguemines confirme qu’une enquête est actuellement menée par les forces de Freyming-Merlebach (57).

(1) Le prénom a été changé.

Le 8 novembre, le département de la Moselle a adressé ce droit de réponse à notre rédaction, publié ci-dessous :

« Le département affirme que l’article intitulé “Violences, non-assistance à personne en danger… En Moselle, le silence face aux dysfonctionnements d’un foyer de l’enfance” ne reflète pas la réalité de la protection de l’enfance. La Moselle place la protection des enfants au cœur de ses priorités, augmentant son budget de 28 % entre 2020 et 2024 (+32 M€). Aujourd’hui, 144,3 M€ y sont consacrés. Nous réfutons les accusations de “rigueur budgétaire” mentionnées. Chaque enfant est évalué après chaque incident, et des contrôles surprise ont été diligentés. Le Président Patrick Weiten s’est engagé pour sécuriser la prise en charge des jeunes. Des signalements judicaires ont été émis, mais face à une enquête en cours, nous ne commenterons pas davantage pour respecter le travail des autorités. Notre action quotidienne vise à offrir aux enfants un environnement sécurisé et bienveillant. »

Contactés, ni l’éducateur concerné ni les directrices responsables n’ont répondu.

Karine Legrand, directrice ASE Moselle, n’a pas donné suite à nos sollicitations.

Illustration : Léa Taillefert.

Dans le Gard, la crise des abattoirs met à mal les circuits courts de la viande

ECONOMIE

Dans le Gard, la crise des abattoirs met à mal les circuits courts de la viande

Le jour de l’abattage, le processus se déroule de la même manière. Tom Rampazzi, qui gère un élevage d’environ une vingtaine de vaches, envoie une notification à ses clients. Ces derniers sont avertis qu’ils devront venir rapidement chercher leurs colis de viande fraîchement découpée directement sur sa ferme, à Massillargues-Attuech, une petite localité de 700 habitants située au sud d’Alès, dans le département du Gard.

Le modèle économique de l’éleveur, qui repose sur la vente directe et la polyculture élevage, est menacé par la fermeture annoncée, jugée inévitable, de l’abattoir d’Alès. Établi en 1962 par la municipalité en régie publique pour assurer une production de 5 000 tonnes de viande par an, cet abattoir peine à atteindre la rentabilité depuis plusieurs années.

En 2022, l’abattoir change de statut pour devenir une société d’économie mixte mêlant capitaux publics (51 %) et privés (49 %). Cependant, en 2023, il ne reçoit que 2 900 tonnes de viande. C’est proche du seuil de rentabilité, fixé à 3 500 tonnes par an. Toutefois, cet écart se traduit par un déficit de 350 000 euros lors de cette année, conduisant à son placement en redressement judiciaire. Si aucun repreneur n’est trouvé d’ici fin janvier 2025, la liquidation pourrait être prononcée, entraînant alors la fermeture de l’abattoir.

« Actuellement, je me trouve à vingt kilomètres de l’abattoir. La demi-heure de trajet est déjà éprouvante pour les vaches. Un trajet d’une heure et demie jusqu’à Aubenas, en Ardèche, à 120 kilomètres, serait catastrophique pour le bien-être animal. Sans compter le coût financier et le temps, je suis déjà submergé », se plaint Tom Rampazzi.

La crise des abattoirs de proximité est un phénomène à l’échelle nationale. En 2003, la France comptait 400 établissements. En 2022, il n’en restait plus que 234. « Rien que depuis le début de l’année, cinq établissements ont fermé », souligne Yves-Pierre Malbec, membre de la commission « abattoir » du syndicat agricole de la Confédération paysanne. « Cette fermeture est souvent associée au départ de grands fournisseurs qui choisissent de se tourner vers d’autres établissements. Les petits producteurs se retrouvent alors sans outil, sauf à parcourir des centaines de kilomètres. »

Les circuits courts en péril

À Alès, suite à la diffusion par l’association L214 de vidéos montrant la souffrance animale, de grands clients se sont éloignés de l’abattoir, faisant chuter son activité de 5 217 tonnes en 2014 à 2 663 tonnes en 2018. En 2021, seulement quatre chevillards réalisaient 80 % du tonnage, rendant la structure, qui emploie 25 salariés, tributaire de ses plus grands fournisseurs. « Quand l’un d’eux, Alès Viande, a fait faillite, c’est tout le système qui a sombré », explique Olivier Villain, éleveur de porcs en plein air.

Considéré comme impopulaire en raison de son association avec la mort, un abattoir demeure néanmoins un maillon crucial de la filière agricole et agroalimentaire. Sa disparition pourrait compromettre la dynamique de diversification des agriculteurs gardois.

« Depuis quelques années, la polyculture élevage connaît une expansion. Des viticulteurs, du fait de la crise de surproduction de vin actuelle, ont commencé à élever du bétail pour valoriser des terres en friche et accroître la valeur ajoutée de leur production », explique Patrick Gravil, président du syndicat bovin du Gard, qui a initié la création d’un label pour la viande locale, Bovigard.

Reprises en coopérative

D’après les données de la société d’économie mixte des abattoirs Alès-Cévennes (Semaac), près de 38 % des bovins abattus proviennent d’élevages gardois ou des départements voisins. Ce chiffre s’élève à 95 % pour les ovins et caprins. Au cours des trois dernières années, 938 clients, dont seulement 15 chevillards, ont sollicité l’abattoir selon la Chambre d’agriculture du Gard. Bien qu’ils représentent un volume de viande inférieur annuellement, ce sont les petits éleveurs, dont la viande est transformée et vendue localement, qui sont les plus impactés par la perte d’une infrastructure initialement conçue pour une production industrielle.

Confrontés aux mêmes défis de rentabilité, les abattoirs voisins du Vigan et de Tarascon, situés chacun à environ 70 kilomètres d’Alès, ont été repris par des éleveurs sous la forme d’une société d’intérêt collectif agricole. Le premier est entièrement géré par les éleveurs, qui s’occupent eux-mêmes de l’abattage de leurs animaux, tandis que le second a réussi à maintenir ses quinze employés en poste.

Pourront-ils prendre en charge les 938 clients d’Alès ? « Il y aura sûrement des personnes laissées de côté, ce qui serait une catastrophe pour nos paysages et notre économie locale », alerte Patrick Viala, président du Mas des agriculteurs, à Nîmes. La boucherie de ce supermarché, consacré aux producteurs locaux (6,5 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel), propose une viande dont 80 % des animaux ont été abattus… à Alès.

Jean-Denis Combrexelle : « L'abondance de normes encourage le questionnement de l'Etat de droit »

ECONOMIE

Jean-Denis Combrexelle : « L’abondance de normes encourage le questionnement de l’Etat de droit »

« Il y a trop de règles ! » Combien de fois avons-nous entendu ce constat de la part d’un segment de la classe politique, et encore plus fréquemment de la part des syndicats patronaux ?

À travers ses nombreuses fonctions, comme directeur général du Travail, juge au Conseil d’Etat, et directeur de cabinet de la Première ministre Elisabeth Borne, Jean-Denis Combrexelle a occupé une place centrale dans la haute administration française, celle qui génère des normes.

Dans son livre Les normes à l’assaut de la démocratie (Odile Jacob), il aborde l’inflation normative en France et souligne les multiples mécanismes par lesquels la technocratie a tendance à engendrer trop de normes.

Cependant, il ne perd pas de vue que sur ce marché, la demande de normes variées, en particulier de la part des entreprises, est cruciale ! Sans oublier l’influence des juges et des régulations européennes. Un panorama de la machine à générer des normes et ses répercussions sur l’économie française.

Quel est le positionnement de la France concernant l’encadrement normatif de l’économie ?

Jean-Denis Combrexelle : La France se situe dans la moyenne supérieure des pays européens : notre tradition étatique de production de normes est significative. Cependant, si l’on additionne les règles des gouvernements fédéraux et des cantons en Allemagne ou en Suisse, on arrive à des niveaux similaires.

Le véritable enjeu en France réside davantage dans l’inflation normative, car notre rythme de création de nouvelles normes est élevé. Ce phénomène est en partie dû à notre tradition d’État. Par exemple, lors de la canicule de 2006, c’était le ministre du Travail qui se rendait sur les sites de construction pour ordonner la distribution de bouteilles d’eau ! Dans de nombreux pays, cela relèverait de la responsabilité des entreprises.

Est-il possible de dire si ce haut niveau de normes constitue un problème pour la France, et peut-on en évaluer le coût ?

J.-D. C. : Je ne suis pas ici pour affirmer que les normes sont superflues. L’État de droit requiert des normes pour éviter que les rapports de force ne dominent. Montesquieu l’a exprimé de manière plus éloquente. Nous manquons d’éléments pour évaluer précisément le coût d’un excès de normes. Certaines sont indispensables, d’autres superflues voire nuisibles, mais il est complexe de déterminer leur répartition. Des avancées sont nécessaires à cet égard.

L’État est le principal producteur de normes en France. Passons en revue les éléments qui le poussent à générer une inflation normative, en commençant par sa volonté d’exhaustivité.

J.-D. C. : C’est une question de culture. La haute fonction publique regroupe de jeunes professionnels compétents, qui ne comptent pas leurs heures et qui veulent tellement bien faire qu’ils tombent dans le syndrome du Pont de la rivière Kwaï, un roman de Pierre Boule où un officier anglais prisonnier s’efforce tant d’être à la hauteur qu’il construit un splendide pont pour l’ennemi ! La technocratie aspire à produire des normes tellement parfaites qu’elle cherche à couvrir tous les cas imaginable. Il faudrait parvenir à accepter l’idée que tout ne peut pas être parfait.

Prenons l’exemple des 35 heures. En simplifiant, dans les anciennes lois, on aurait pu simplement substituer 39 heures par 35 heures. Au lieu de cela, toutes les compétences mobilisées ont entraîné l’élaboration d’une structure complexe du temps de travail, incluant jusque dans le détail le temps de déshabillage. Je ne remets pas en cause le choix politique, mais techniquement, nous avons été trop loin : il aurait été préférable d’établir des principes et de laisser la négociation collective trancher les détails, comme cela a été fait ultérieurement en 2016, car ce qui est applicable à une entreprise d’un secteur ne s’adapte pas nécessairement à une autre.

Autre illustration : lorsqu’on a instauré l’interdiction de fumer dans les lieux de travail. Alors que j’étais directeur du Travail, aussi bien les médias que les représentants des entreprises me réclamaient des précisions sur la procédure à suivre si un employé descendait fumer et se faisait percuter par une voiture !

Il y a aussi la volonté de contrecarrer l’optimisation et les situations abusives…

J.-D. C. : La mise en place d’un dispositif implique des coûts, donc les services cherchent légitimement à éviter l’optimisation fiscale et l’abus social. Dans la pratique, cependant, les fonctionnaires passent la plupart de leur temps à créer des normes anti-fraude, et beaucoup moins à établir les principes des dispositifs. En fin de compte, en encadrant excessivement, on alourdit la contrainte administrative pour les citoyens honnêtes, sans entraver les fraudeurs qui trouveront toujours des moyens de contourner les règles : un excès de paperasse ne changera rien.

La norme étatique devrait définir des principes et laisser leur application à des instances comme le préfet, le directeur régional d’administration, ou le maire. Cela implique, par exemple, que si vous introduisez une nouvelle prime pour les entreprises, il faut accepter que son application ne soit pas interprétée de la même manière à Dunkerque qu’à Marseille. On n’est pas encore prêt à l’accepter en France tant notre attachement au principe d’égalité est fort.

Un autre problème est que chaque législation évolue dans son propre « couloire »…

J.-D. C. : Cela découle d’une logique administrative : chaque administration suit sa propre logique et ne prend pas suffisamment en compte, malgré de nombreuses réunions interministérielles, les effets combinés de « sa » loi et des autres lois gérées par d’autres ministères sur les entreprises et les particuliers. Par exemple, les régulations concernant les travailleurs étrangers touchent plusieurs ministères – Travail, Intérieur, Justice – et chacun opère selon sa propre logique.

Le plus inquiétant, c’est que tout cela a été théorisé par ce qu’on appelle le principe de l’indépendance des législations. Si une entreprise déclare : « Ce que exige votre norme m’impose des difficultés par rapport à une autre norme », la réponse sera que son argument est « inopérante », qu’il existe peut-être d’autres législations, mais que cela ne remet pas en cause l’injonction contradictoire à laquelle l’entreprise est soumise.

Vous décrivez un processus long alors qu’on a souvent l’impression que les lois sont faites rapidement et maladroitement.

J.-D. C. : Après avoir traversé le bureau administratif, la loi se rend à l’Assemblée, et il est possible de se retrouver avec des centaines, voire des milliers d’amendements. J’ai passé beaucoup de temps au Parlement, et il arrive un moment où l’on perd la vision d’ensemble. Entre le dépôt d’une loi et sa promulgation, le nombre d’articles peut augmenter d’environ 2,5, et dans des cas exceptionnels, cela peut grimper jusqu’à 10 !

Lorsque vous étiez directeur du Travail, vous avez participé à une recodification du Code du travail et ensuite à sa révision suite à votre rapport sur la négociation collective : le nombre d’articles a doublé…

J.-D. C. : Il y a une explication technique à cela : le principe d’« incompétence négative ». Si la loi détermine, par exemple, le taux de rémunération des heures supplémentaires, elle ne peut pas simplement affirmer : « Dorénavant, je laisse l’application aux partenaires sociaux. » La loi doit encadrer la négociation, fixer des minima et d’autres paramètres, etc. Cela a permis d’améliorer le contenu du code sans nécessairement réduire le volume.

Vous avez beaucoup œuvré sur ce sujet : quel état des lieux faites-vous du dialogue social actuel ?

J.-D. C. : Lorsque la direction des ressources humaines et les syndicats sont de bonne volonté, cela se passe bien au niveau de l’entreprise. Pour les branches, les organisations professionnelles n’ont pas toujours les ressources nécessaires pour négocier, ce qui souligne l’importance de restructurer les branches, tout en évitant de tomber dans une logique bureaucratique.

Le niveau le plus compliqué est celui des négociations interprofessionnelles. Il est ardu de concilier les syndicats, les organisations professionnelles et l’État. Ce dernier peut affirmer : « Ce n’est pas parce que les deux autres acteurs sont d’accord que je l’accepte, car un intérêt général que je considère non respecté prédomine. » Or, comme je l’ai constaté, les organisations professionnelles peuvent faire preuve d’une certaine méconnaissance vis-à-vis de l’État et qualifier ses demandes d’illégitimes. Il est impératif que tous les acteurs communiquent et se respectent mutuellement.

De manière concrète, le Code qui contient le plus d’articles est celui de la santé publique, suivi du Code du travail : sont-ils pleins de normes superflues ?

J.-D. C. : Il sera difficile de réduire l’ensemble de normes existant. Je propose de commencer par diminuer le flux. Il faut en finir avec l’habitude de créer une loi après chaque actualité. Pour un ministre, il est paradoxalement plus facile de répondre à un événement en déclarant : « Je vais légiférer. »

Les communicants, qui occupent une part disproportionnée, encouragent d’ailleurs cette idée. Pour le système politico-médiatique, si aucune loi n’est adoptée, c’est comme si rien n’était fait ! Si l’on mobilisait l’expertise de l’administration pour évaluer les résultats des lois passées dans le but de réduire les normes, cela bénéficierait au pays.

Beaucoup de politiques vous rejoignent sur ce point, plaidant pour des « chocs de simplification », des « comités de la hache ». Agissent-ils avec de vraies intentions politiques ?

J.-D. C. : Tous les politiques ne sont pas cohérents, ni même sincères, dans ce discours… Les chocs de simplification ne sont jamais apolitiques, car il y a toujours des choix importants à faire. Les politiques laissent entendre que seule l’administration est responsable des problèmes, et qu’il suffit de l’exposer à la réalité pour qu’elle change. Ils souhaitent agir sur l’offre de normes plutôt que sur la demande de normes, mais cela ne fonctionne pas ainsi ! Il existe également une forte demande pour des normes.

Quel rôle faudrait-il assigner aux garde-fous contre l’inflation normative : études d’impact en amont et évaluation des politiques publiques en aval ?

J.-D. C. : Les études d’impact sont là pour évaluer ex ante l’efficacité potentielle d’une loi, mais elles sont réalisées par les services qui conçoivent le texte. Ces études sont également influencées par le politique. Ainsi, pour un candidat élu démocratiquement avec l’objectif de créer un contrat de génération entre jeunes et seniors, il n’ira pas dire que l’étude d’impact montre des résultats peu probants : il veut que sa mesure soit mise en œuvre.

La France s’appuie peu sur l’évaluation des politiques publiques. Je plaide pour que les chercheurs s’engagent davantage dans ce domaine, même si cela représente un exercice délicat et que beaucoup d’entre eux craignent, à tort, de se compromettre avec le pouvoir.

Les acteurs de la société civile expriment une forte demande pour des normes. Première raison : chaque groupe souhaite faire reconnaître ses spécificités.

J.-D. C. : L’expression que j’ai le plus souvent entendue durant ma carrière, c’est : « Nous sommes spécifiques » ! Et chacun désire que l’État traduise cette spécificité à travers les normes. L’administration commence par repousser ces demandes, mais dès qu’une porte s’ouvre, d’autres acteurs dans des situations similaires formulent la même requête. Cela alimente l’inflation normative. Par exemple, durant la pandémie de Covid, lorsque certaines contraintes ont été assouplies pour les théâtres ou les cinémas afin de soutenir la culture, les libraires ont rapidement demandé un traitement identique.

Deuxième raison : les acteurs économiques recherchent une sécurité juridique.

J.-D. C. : C’est un point fondamental, car cela concerne les relations avec la justice. Les chefs d’entreprise doivent savoir où se situe clairement la limite entre ce qu’ils peuvent ou ne peuvent pas faire. En cas de dépassement, ils risquent des sanctions administratives, pénales, et des atteintes à leur réputation – les fraudeurs volontaires étant l’exception. Les organisations patronales réclament constamment une simplification des normes tout en souhaitant parallèlement l’ajout de règles pour garantir leur sécurité juridique.

Elles tentent ainsi de répondre à l’énorme pouvoir des juges administratifs, civils et commerciaux, qui exercent leur influence à partir d’une certaine vision sociétale. La frontière est donc définie par la loi et la jurisprudence, et elle reste floue. Les organisations patronales estiment que plus la loi est précise, plus elle les protégera des jugements, ce qui est une vue simpliste : le pouvoir d’interprétation de ces juges est large et indépendant.

En contrepartie, il est essentiel que les juges soient plus en phase avec la société, en acceptant, tout en respectant leur indépendance, de dialoguer « à froid » avec les entreprises, les syndicats de travailleurs, les maires, etc., afin d’évaluer les impacts de leurs décisions et de considérer des enjeux au-delà du cadre purement juridique.

Le Premier ministre Michel Barnier a suggéré que la France surtransposa les directives européennes, est-ce une réalité ?

J.-D. C. : Cela résulte de plusieurs facteurs. Lorsque l’on introduce une directive européenne, la réaction initiale de l’administration française est souvent de la juger mal conçue et de chercher à la réécrire lors de sa transposition. Par la suite, si cette nouvelle loi est acceptable, on tend à considérer que l’ancienne loi nationale était de meilleure qualité… Ainsi, on se retrouve avec les deux qui coexistent, sur le fond et l’application.

De plus, si une directive indique, par exemple, qu’il doit y avoir une valeur limite de 10 pour une substance chimique, alors qu’une agence française d’évaluation du risque préconise 8, le fonctionnaire qui valide le passage de 8 à 10 prend des risques sur le plan pénal en cas de problème. Par conséquent, il cherchera à conserver le 8. Cela dit, d’importants progrès ont été réalisés ces dernières années, et la surtransposition a diminué. Il faut également reconnaître que la surtransposition n’est pas toujours synonyme de négativité, elle peut revêtir un intérêt.

Comment réduire effectivement l’inflation normative ?

J.-D. C. : Il faut reconstruire des espaces de dialogue où les gens peuvent échanger et parvenir à des compromis, à l’image de ce qui se faisait dans les commissions du Plan. Pour cela, il est nécessaire que les organisations professionnelles deviennent plus conceptuelles, en développant une vision au lieu de se limiter à des postures, notamment antiétatiques.

Il n’existe pas de solution miracle. Toutefois, si nous ne parvenons pas à gérer cette situation, en produisant plus de normes que de résultats, les citoyens auront une impression encore plus forte d’écart entre la création des normes par l’État et l’amélioration de leur quotidien. Cela peut conduire à des constats selon lesquels la démocratie n’est pas efficace et qu’il faudrait réduire le cadre de l’État de droit. C’est là un véritable danger politique associé à l’inflation normative.

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