À Paimpol, un accès aux services publics devenu plus complexe

ECONOMIE

À Paimpol, un accès aux services publics devenu plus complexe

Killian est en avance. Ce mercredi, il a rendez-vous avec son conseiller France travail, qui assure une permanence dans l’espace France services, installé au rez-de-­chaussée de la mairie de Paimpol. Cette fois, c’est tout près de chez lui. Cependant, comme il suit un « parcours emploi santé », il doit également se rendre une fois par mois à Lannion, à 45 minutes en voiture, pour rencontrer le psychologue du travail. Quant aux entretiens collectifs, ils ont lieu à l’agence la plus proche, située à Guingamp, à une demi-heure de route.

« C’est un peu compliqué, surtout que je ne conduis pas. Je fais tout à pied, en transports en commun ou bien ma mère m’emmène, si elle est disponible », explique le jeune homme.

A Paimpol, une petite ville de 7 200 habitants située à la pointe des Côtes-d’Armor, le bureau dédié aux demandeurs d’emploi a fermé il y a des années, remplacé par une permanence hebdomadaire. Ce n’est pas le seul service public à avoir réduit ses activités : La Poste ne compte désormais qu’une seule agence fonctionnant à plein régime, les villages alentour n’ayant plus qu’une agence communale.

La greffière qui gérait notamment les dossiers de tutelle est partie en retraite, et tout a été transféré à Saint-Brieuc. Le Centre des finances publiques a également été fermé en 2021 ; il comptait alors une vingtaine d’agents, remplacés aujourd’hui par seulement deux jours et demi de permanence à France services chaque semaine. Sans oublier la fermeture de deux classes dans l’école publique lors des deux dernières rentrées scolaires.

L’hôpital « démantelé »

L’hôpital a été « démantelé », selon les mots de la maire socialiste Fanny Chappé : la maternité a cessé ses activités en 2003, le bloc opératoire en 2010… Les urgences ont à plusieurs reprises risqué la fermeture, et les régulations qui frappent souvent les établissements voisins depuis l’année dernière font redouter un sort similaire à moyen terme.

Cela s’ajoute à la suspension des accouchements depuis avril 2023 à la maternité de Guingamp, vers laquelle de nombreuses femmes de Paimpol s’étaient tournées. Désormais, elles doivent parcourir 45 minutes en voiture jusqu’à Lannion ou Saint-Brieuc. « Les maternités deviennent surchargées, ça déshumanise », déplore Yves Ballini, président du comité de soutien à l’hôpital de Paimpol.

Concernant la chirurgie, « aujourd’hui, une fracture au bras, ce n’est plus considérée comme une urgence vitale. Donc, s’il n’y a pas de place au bloc à Saint-Brieuc, vous pouvez rester deux ou trois jours ici sous antidouleurs avant d’être transféré. Avant, vous étiez pris en charge dans la journée », raconte Céline Le Doré, de la section CGT de l’hôpital.

« Il y a deux ans, j’ai dû me battre parce qu’il n’y avait plus de radiologue pour réaliser les échographies et les mammographies. On n’a jamais l’esprit tranquille, surtout concernant la santé », confie une nouvelle fois Fanny Chappé. Elle raconte aussi devoir « sans cesse se battre pour maintenir des permanences, de la Caisse d’allocations familiales, de France travail… La numérisation peut être un atout pour certains, mais d’autres ont besoin d’un contact humain », insiste-t-elle.

Une population vieillissante

Ces fermetures de services publics entraînent également « le départ d’actifs et de familles, alors qu’on essaye justement de les retenir, de proposer des logements pour eux… Cela va à l’encontre de tout ce qu’on met en œuvre », regrette la maire.

Après la suppression du centre des impôts, elle a dû ouvrir un France services, financé à hauteur de 30 000 euros par l’Etat, alors que son coût total s’élève à 170 000 euros. Très apprécié, ce dispositif est même « victime de son succès », selon Hélène, l’une des conseillères. Pour elle, le principal atout, en dehors du lien humain, réside dans la facilité d’accès :

« Ici, la mobilité, c’est un vrai problème. Certains n’ont pas le permis, et la population vieillit  [20 % des habitants ont plus de 75 ans, la moitié plus de 60, NDLR]. Quand on leur demande d’aller à Guingamp pour une démarche, on les perd. »

Retrouvez ici notre dossier : « Manuel de défense des services publics »

Au cœur de l'Amazonie, une commune française souffre d'un manque d'eau et de nourriture en raison du changement climatique.

CULTURE

Au cœur de l’Amazonie, une commune française souffre d’un manque d’eau et de nourriture en raison...

Maripasoula, Parc amazonien de Guyane (973) – À travers les hublots du petit avion à hélices reliant le littoral à la ville de Maripasoula, située au sud de la Guyane, un océan de nuances de vert se déploie à perte de vue. Après une heure de vol, les premières maisons de cette commune, intégrée au vaste Parc amazonien, deviennent visibles, nichées au creux d’un méandre du fleuve Maroni. Ce cours d’eau constitue la frontière avec le Suriname et sert de chemin vers l’océan Atlantique – à plus de 300 kilomètres en aval. « D’habitude, on voit toujours des pirogues arriver avec des marchandises », indique Jonathan Abienso, à la tête d’une entreprise de fret fluvial dans cette enclave urbaine entourée par l’Amazonie.

En parcourant le « dégrad » de Maripasoula – le terme utilisé ici pour désigner un embarcadère – l’entrepreneur évoque qu’après 18 mois de sécheresse, alors que l’année 2024 s’annonce comme l’une des plus chaudes jamais mesurées par Météo France, cette voie essentielle n’est plus que l’ombre d’elle-même. Le niveau de l’eau est si bas que de nombreux rochers obstruent désormais le passage des personnes et des biens. À certains endroits, il serait presque faisable de traverser à pied les 500 mètres séparant les deux pays. Il ajoute :

« Cela fait deux semaines que personne n’ose remonter le fleuve, devenu trop dangereux. »

La gravité de cette sécheresse est attribuée à la double influence d’El Niño, un phénomène océanique répétitif qui se manifeste par un réchauffement des eaux du Pacifique, ainsi qu’au changement climatique, dont l’une des manifestations en Guyane est la diminution des précipitations.

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Les habitants de Maripasoula réclament une « route du fleuve » pour se connecter au littoral. /
Crédits : Enzo Dubesset

À Maripasoula, l’aérodrome et sa seule piste en latérite – cette roche rougeâtre et aride – sont les derniers liens entre les 10.000 résidents et le reste du monde.

Augmentation des tarifs

« La vie a toujours été difficile et coûteuse, mais la situation actuelle est bien pire », remarque Charles Aloïke. À la conduite de sa filong, ces motos importées d’Asie via le Suriname, principal moyen de transport sur les routes poussiéreuses de Maripasoula, il affirme que les habitants ressentent le poids de l’isolement depuis longtemps, bien avant le dérèglement climatique.

La commune, qui s’étend sur une superficie équivalente à celle de la Nouvelle-Calédonie, a connu un développement significatif suite à la découverte de nouveaux gisements d’or dans les années 1990, attirant de nombreux chercheurs d’or, exploitant les filons de manière plus ou moins légale. Cependant, les infrastructures n’ont pas suivi ce boom démographique. En 2023, la fermeture de la compagnie aérienne pendant cette sécheresse – déjà – avait isolé la ville durant plusieurs mois, entraînant une flambée des prix des denrées, qui n’ont depuis cessé d’augmenter. Charles Aloïke, le motard, exprime son inquiétude :

« Le prix de l’essence a atteint quatre euros le litre. Ça grimpe chaque jour, je ne sais pas comment nous allons nous en sortir. »

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Charles Aloïke, sur sa filong. /
Crédits : Enzo Dubesset

L’année précédente, c’étaient les interruptions fréquentes de l’électricité dues à la faible capacité et à l’isolement du réseau qui suscitaient de vives critiques de la part de la population.

Comme la plupart des résidents, Rosiane Agésilas, une infirmière, se rend régulièrement chez les « Chinois » d’Albina 2. Ces commerces, établis sur la côte surinamaise, constituent la base de l’économie informelle de la région tout en proposant des marchandises détaxées à bas prix. Ces supermarchés sur pilotis, où l’on peut payer en euros ou au gramme d’or, sont bien plus fréquentés que les épiceries françaises. Toutefois, eux aussi doivent se procurer leurs produits par avion, augmentant ainsi leurs tarifs :

« Il n’y a plus une différence claire dans les prix. Même en allant de l’autre côté, mon chariot de courses a augmenté de 80 à 150 euros par semaine. C’est intenable. »

La soignante est engagée dans le collectif Apachi qui, depuis 2023, dénonce les effets dévastateurs de l’enclavement. « Nous faisons des sacrifices et nous ne pouvons plus nous nourrir correctement. Cela va poser des soucis de santé publique. » Elle alerte que les bouteilles d’eau, ainsi que les œufs, le riz ou le gaz commencent à faire défaut.

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Les commerces surinamais sont au cœur de l’économie informelle de la région. /
Crédits : Enzo Dubesset

Rationnement

L’augmentation des prix a un impact d’autant plus fort sur les migrants venus du Guyana, d’Haïti ou du Brésil, attirés par l’espoir d’un emploi sur le sol français. « Je gagne 200 euros par mois pour un emploi à temps partiel et j’ai trois enfants », explique Maria (1). La citoyenne guyanaise est vendeuse dans l’une des boutiques du centre :

« Comme je ne possède pas les papiers nécessaires, je ne peux bénéficier d’aucune aide. Si mon mari ne m’assistait pas, je ne pourrais plus me nourrir. »

L’économie générale, déjà peu développée, en est complètement affectée. Les entreprises subissent désormais le coût élevé de la vie et des transports, amplifié par la pénurie de denrées. C’est le cas de la seule boulangerie de la commune. « Je n’arrive plus à trouver de farine. J’ai dû réduire ma production de pain, mais je crains de devoir fermer bientôt », témoigne Dewane Roger, le propriétaire.

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À Maripasoula, le prix de l’essence a explosé. /
Crédits : Enzo Dubesset

Retrait des services publics

Les effets de la sécheresse sont encore plus évidents dans les nombreux « kampus », des hameaux accessibles après plusieurs heures de pirogue depuis Maripasoula. L’accès aux services, déjà instable à cause des distances, est rendu encore plus compliqué.

Plusieurs écoles primaires ont dû fermer : le transport scolaire en pirogue étant impossible, de nombreux élèves sont désormais forcés de suivre les cours du collège à distance, lorsque la connexion internet le permet. Dans le kampu d’Antecume Pata, le dispensaire fonctionne comme une pharmacie et un cabinet médical, capable de fournir les premiers soins urgents. Ce centre, qui donne accès gratuitement aux soins pour près d’un millier de personnes, a dû réduire la fréquence de ses permanences. D’une visite hebdomadaire, le médecin n’intervient maintenant que quelques heures toutes les deux semaines, par le biais d’un hélicoptère affrété depuis Cayenne.

Dans plusieurs de ces hameaux, l’eau potable est extraite de nappes dont le niveau fluctue selon celui du Maroni. De nombreux forages sont complètement à sec. D’autres sources ne permettent d’accéder à l’eau que quelques heures par jour, souvent trouble et impropre à la consommation. Dans toute la Guyane, plusieurs milliers de personnes sont touchées et, bien que des solutions d’urgence aient été mises en place comme l’envoi de fontaines atmosphériques – des générateurs qui produisent de l’eau à partir de l’humidité ambiante – les habitants concernés estiment que c’est très insuffisant.

Aide aérienne

En réponse à la crise, la préfecture a activé un plan Orsec Eau le 29 octobre dernier. Cette mesure d’urgence inclut notamment la création d’un pont aérien par l’armée pour fournir en eau potable, nourriture, essence ou médicaments Maripasoula et d’autres communes isolées de Guyane – au total, près de 40.000 personnes. La collectivité territoriale de Guyane (CTG), de son côté, a annoncé qu’elle allait doubler les capacités de fret aérien de la compagnie privée, en charge des vols vers l’intérieur du territoire, pour augmenter également les capacités de ravitaillement.

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Le niveau d’eau étant si bas, des amas rocheux bloquent maintenant le passage. /
Crédits : Enzo Dubesset

Bien que le coût de ce fret aérien subventionné ait été fixé en dessous des prix moyens du transport fluvial, les tarifs demeurent pour l’instant relativement similaires. La majorité des Maripasouliens continuent de s’approvisionner au Suriname. « Ni la mairie, ni la collectivité, ni l’État ne nous ont intégrés aux discussions », déplore Patrick Valiès, président de l’association des commerçants de Maripasoula. Certains avouent d’ailleurs ne pas être informés du fonctionnement des dispositifs étatiques ni de la manière de bénéficier de ces aides :

« Cela fait des mois que nous demandons la constitution de stocks. Nous avons déjà connu la sécheresse l’année passée. Tout cela aurait pu être mieux préparé collectivement. »

La préfecture, quant à elle, souligne avoir organisé, en collaboration avec la CTG, des réunions pour discuter des besoins des commerces. L’administration assure travailler à l’instauration d’un dispositif de régulation des prix, englobant des contrôles préventifs visant à empêcher les commerçants locaux de profiter de cette aide exceptionnelle sans justifier une baisse de leurs prix.

Sentiment d’abandon

Plutôt que de perpétuelles mesures d’urgence, les Maripasouliens demandent – souvent sans grand espoir – la construction d’une « route du fleuve » pour les relier au littoral. Ce projet colossal, au cœur des discussions politiques locales depuis 20 ans, a été amorcé. Mais il reste encore 150 kilomètres de forêt dense à ouvrir, pour l’instant sans financements.

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La sécheresse est perceptible partout à Maripasoula. /
Crédits : Enzo Dubesset

En 2022, Emmanuel Macron en avait fait une promesse, mais a finalement annoncé un remodelage de la route en « piste améliorée » – sans donner plus de détails – lors de sa visite en Guyane, en mars.

À la suite de ce changement de cap, l’armée a reçu la mission de réaliser une étude sur la faisabilité d’une telle piste. Le rapport, finalisé depuis des mois, a été remis à la CTG et au gouvernement, mais n’a pas encore été rendu public. « La route est la seule solution viable pour sortir de l’isolement », affirme Rosiane Agésilas :

« Ce serait le début d’une nouvelle ère et un engagement pour le développement de Maripasoula. »

Cela pourrait également représenter l’une des solutions pour prévenir les sécheresses à venir : selon les prévisions du rapport scientifique GuyaClimat, publié en 2022, le territoire devrait connaître un réchauffement d’environ 2,5 à 4,5 degrés et une diminution des précipitations de 15 % à 25 % d’ici 2100.

La Grèce fait face à une grève générale alors que les travailleurs protestent contre la pression sur le coût de la vie.

ACTUALITÉS

La Grèce fait face à une grève générale alors que les travailleurs protestent contre la pression sur le coût de...

Les syndicats exigent des « salaires dignes » alors que la reprise inégale de la crise de la dette laisse de nombreuses personnes en difficulté face à des coûts plus élevésUne grève nationale des employés du secteur public et privé semble prête à paralyser la Grèce mercredi alors que le gouvernement pro-entreprise du Premier ministre, Kyriakos Mitsotakis, est soumis à une pression croissante pour faire face à une crise du coût de la vie qui s’aggrave.Les syndicats demandant des « salaires dignes » face à l’augmentation des coûts pour les consommateurs et à l’élargissement des inégalités de richesse ont promis que la grève de 24 heures mettrait le pays à l’arrêt, avec des manifestations prévues dans des villes à l’échelle nationale.

Les femmes ukrainiennes au cœur de la guerre et de la lutte pour l'égalité

ECONOMIE

Les femmes ukrainiennes au cœur de la guerre et de la lutte pour l’égalité

Natalia Myronenko avait prévu de tirer parti de son congé maternité pour se réorienter vers l’architecture d’intérieur. Contrôleuse qualité sur de grands projets à Kiev, la guerre l’a poussée vers un domaine qu’elle n’avait jamais envisagé : le déminage.

Employée comme ingénieure qualité, cette mère de deux jeunes enfants s’attendait à un rôle administratif. « J’ai compris que mon métier, c’était la guerre. Cela a été un choc », révèle Natalia Myronenko, 40 ans. Elle se retrouve à superviser, non la conformité des sites, mais des terrains jonchés de pièges létaux.

« Ce travail est infiniment plus captivant », admet-elle depuis Peja, au Kosovo, où elle suit une formation pour reconnaître des dizaines de dispositifs explosifs – mines, bombes à fragmentation, mortiers. Pour l’Ukraine, devenue le pays le plus miné au monde après le retrait des forces russes des zones occupées, c’est essentiel.

Valentina Kastrenko, 57 ans, ne s’était également jamais imaginé exercer un « métier d’homme », encore moins y éprouver du plaisir. Suite au siège et à la prise de Marioupol, elle a dû fuir sa ville natale et se reconvertir. Après avoir vu une annonce qui l’avait d’abord amusée, elle fait maintenant partie des 300 femmes certifiées conductrices de poids lourds.

Avec la fermeture des ports et aéroports, l’invasion a rendu le transport routier indispensable à l’économie ukrainienne. « Pour moi aussi, cet apprentissage était une question de survie », confie-t-elle.

La bataille de la main-d’œuvre

Inimaginables il y a peu, ces parcours reflètent une révolution en Ukraine : des dizaines de milliers de femmes maintiennent l’économie à flot, lorsqu’elles ne rejoignent pas les forces armées.

Entre les hommes mobilisés, ceux qui se cachent pour éviter la mobilisation et les millions d’expatriés, l’Ukraine souffrirait d’un manque de 4,5 millions de personnes pour reconstruire et soutenir son économie dans les dix prochaines années, d’après les chiffres officiels. Cette pénurie engendre « une bataille quotidienne entre les recruteurs militaires qui souhaitent mobiliser les employés, et les employeurs qui tentent de préserver leurs effectifs », explique Hlib Vyshlinsky, directeur exécutif du Centre de stratégie économique à Kiev.

Les propositions de formation et de reconversion pour les femmes se sont alors multipliées, par exemple pour conduire des excavatrices et des grues. « C’est comparable à Londres en 1942, compare Hlib Vyshlinsky. Mais ici, avec beaucoup de femmes ayant quitté le pays, nous faisons également face à un manque de femmes »

Neuf des dix millions d’Ukrainiens déplacés – principalement à l’étranger – sont des femmes. Celles qui sont restées prennent la relève dans des secteurs essentiels comme le transport, la construction et l’énergie.

« Force motrice de l’émergence d’une Ukraine plus inclusive et tolérante », les Ukrainiennes ne se contentent pas de « combler les vides », analyse Evgeniya Blyznyuk. Dans le cadre d’une série d’« enquêtes en temps de guerre », cette sociologue évalue une société « profondément transformée ».

Ouvrir le chemin

En occupant des rôles stratégiques dans des domaines devenus essentiels, tels le déminage, la fabrication de drones militaires ou le soin des traumatismes, « les femmes ukrainiennes ouvrent la voie vers l’avenir », affirme la déminueuse Natalia Myronenko.

Entre une rivière et un champ de pastèques à Kam’yanka, proche d’Izioum et près de la ligne de front, Galina Burkina passe soigneusement son détecteur de métaux sur le sol. Devant elle, des bandes rouges et blanches signalent la zone à déminer. Vivre ou travailler ici est potentiellement mortel. Galina Burkina, anciennement employée de la centrale électrique de Vouhlehirska, a fui sa région à pied. Oleksiy Kryvosheya, l’un des douze démineurs sous ses ordres, est habitué à travailler avec des femmes.

« En Russie, elles sont considérées comme des esclaves, mais ici, elles sont les descendantes des Amazones », prétend-il.

Dans le secteur du déminage, le manque de main-d’œuvre est évident, selon Iryna Kustovska, responsable des opérations humanitaires de Demining Solution. Voir des femmes démineuses, « cela a été une surprise au début », se souvient-elle. Aujourd’hui, elles constituent un tiers des effectifs.

Svitlana Streliana, PDG d’une société de transport routier à Kharkiv, voit plus loin que simplement « mettre des femmes au volant de camions ». Pour « rendre la profession attrayante pour elles, sans pour autant la romantiser », cette mère de cinq enfants a lancé une campagne sur TikTok et à la télévision, et vient de créer Sisters of the Road, un groupe de soutien.

« Nos femmes sont fortes, mais elles ne le réalisent pas encore. Cette profession peut les aider à découvrir cette force », affirme-t-elle.

« Le féminisme, c’est la défense de notre pays »

Svitlana Streliana elle-même a fait un long chemin. Lors de l’invasion russe à l’hiver 2022, des bombardements frappent les bureaux de son entreprise à Kharkiv, l’obligeant à se cacher pendant quatre jours avec sa fille cadette dans un parking souterrain. Quatre de ses conducteurs sont morts au combat, deux autres sont toujours capturés.

La guerre a ouvert la voie à plus d’égalité et d’indépendance pour les femmes, mais l’émancipation progressé indépendamment en Ukraine, souligne Anna Colin Lebedev, chercheuse à l’université de Paris Nanterre :

« Les femmes ukrainiennes ont toujours été actives dans la société. Il n’y a pas eu du jour au lendemain plus de cheffes d’entreprise : il y en avait déjà un bon nombre avant la guerre. Puisque toute la société est mobilisée pour la guerre, les femmes jouent forcément un rôle prépondérant ».

Tetyana Pashkina, économiste ukrainienne spécialisée dans le marché du travail, acquiesce : « Pour nous, le féminisme, c’est la défense de notre pays ».

La tournure a commencé en 2014 lors de l’agression russe dans le Donbass. Des femmes sont montées au front, sans salaire ni pension, car le métier de combattant, comme 450 autres jugés « dangereux pour la santé reproductive » des femmes – par une idéologie héritée de l’ère soviétique – leur était interdit.

À la suite d’une campagne de sensibilisation menée par la soldate volontaire Maria Berlinska et son film Le Bataillon invisible, le gouvernement a progressivement ouvert ces métiers aux femmes. Depuis 2022, elles peuvent notamment travailler dans les mines.

Faire la guerre ou œuvrer pour elle

« Vous pouvez fabriquerez un drone qui détruira un char russe depuis votre cuisine », affirme Maria Berlinska, qui organise une formation gratuite à la fabrication de drones à laquelle des milliers d’Ukrainiens ont participé. Parmi eux, Violetta Oliynyk. Cette artiste bijoutière de 29 ans a réalisé plus de 123 « drones de la victoire », avec environ dix fabriqués chaque semaine.

« En Ukraine, quand on souhaite défendre son pays, il faut en acquérir les moyens », explique cette jeune femme originaire de Ternopil, dans le sud-ouest du pays.

En 2022, elle vend ses bijoux pour financer l’achat de munitions. Et en décembre 2023, lorsque son père l’appelle avec une demande particulière – peut-elle se procurer cinq drones pour son unité près de Kherson ? – elle se met en action.

« Ici, il n’y a que deux options : faire la guerre ou travailler pour elle, déclare Violetta Oliynyk. Il est crucial de comprendre que si la Russie occupe ma ville, ma famille ne survivra pas. »

L’engagement des Ukrainiennes dans la guerre leur a ouvert des opportunités. Natalya Kolisnickenko a ainsi, à 52 ans, réalisé son rêve d’enfance de conduire des camions. Un rêve mêlé à un cauchemar : « Au-delà de la beauté de notre pays et de ses forêts luxuriantes, je fais face à des destructions, des voitures calcinées, des ambulances surchargées de soldats blessés. »

« Cela fait mal, mais je suis convaincue que si chacun y met du sien, nous parviendrons à tout reconstruire, espère-t-elle. J’ai de la valeur, c’est ma fierté ! »

Le Pacte vert européen mis en péril par la pression des partis de droite.

ECONOMIE

Le Pacte vert européen mis en péril par la pression des partis de droite.

Assiste-t-on à l’amorce de la fin du Pacte vert européen ? Le 1er octobre, la Commission européenne a proposé de repousser d’un an l’application du règlement sur la déforestation importée, ce qui a été perçu par les ONG environnementales et plusieurs eurodéputés comme le premier signe d’une potentielle démolition de l’ensemble des dispositifs législatifs adoptés par l’Union européenne (UE) pour viser la neutralité climatique d’ici 2050.

« Il s’agit d’un véritable retour de bâton, déclare Marie Toussaint, eurodéputée verte. Les lobbys travaillent d’arrache-pied pour affaiblir les acquis en matière d’environnement, soutenus par l’extrême droite et une partie de la droite européenne. »

Néanmoins, le 18 juillet, Ursula von der Leyen, soutenue par une large majorité des députés européens, allant de certains éléments des verts au Parti populaire européen (PPE), avait cherché à apaiser les inquiétudes concernant ses intentions. Bien que le Pacte vert (ou Green Deal) ait subi un coup d’arrêt à la fin de la précédente législature, ses objectifs de décarbonation, en particulier la réduction des émissions de CO2 de 90 % d’ici 2040, demeurent essentiels dans les politiques européennes.

Le Green Deal n’est donc pas abandonné. Cependant, il sera soumis à une nouvelle priorité, incarnant les nouveaux équilibres politiques européens, plus inclinés à écouter les arguments de l’industrie : la compétitivité des entreprises. Dans l’optique de « stimuler » les performances économiques et écologiques des entreprises, un « plan industriel du Pacte vert » doit être présenté dans les cent jours de cette législature.

Selon Amandine Crespy, professeure en sciences politiques à l’Institut d’études européennes de l’université libre de Bruxelles, la Commission se dirige désormais vers « une vision plus restrictive du Green Deal, axée encore plus sur la croissance verte. Les dimensions non productives du Pacte vert – protection de la nature, agriculture durable, santé, social – risquent d’être mises au second plan. »

Une « polarisation extrême »

Bien que les objectifs de décarbonation soient toujours intégrés dans la proposition politique d’Ursula von der Leyen, rien n’indique que sa majorité formée le 18 juillet démontrera une quelconque cohérence. À chaque proposition, des majorités alternatives – du PPE à l’extrême droite – peuvent émerger et démanteler des aspects critiques du Green Deal.

Quelle sera la réaction du PPE, alors que plusieurs de ses députés remettent en cause divers textes du pacte, notamment Manfred Weber, président du groupe au Parlement ?

« Le PPE devra choisir entre la stratégie d’Ursula von der Leyen et celle de Manfred Weber, qui se rapproche de celle de Giorgia Meloni (cheffe du gouvernement italien d’extrême droite, NDLR.) préconisant une union des droites, analyse l’eurodéputé français Pascal Canfin (Renew). Le Green Deal est en péril car il fait l’objet d’une polarisation extrême. »

De nombreux textes relatifs au climat ou à l’environnement vont faire l’objet de révisions ciblées. La directive habitat, qui concerne la protection des zones naturelles, de la faune et de la flore, sera modifiée pour réduire la protection du loup, conformément aux attentes de la présidente de la Commission. La directive sur la déforestation sera débattue en novembre au Parlement pour retarder sa mise en œuvre d’un an.

Les directives concernant le système d’échange de quotas d’émissions de CO2 et le mécanisme de réajustement carbone aux frontières – visant à préserver la compétitivité des entreprises européennes soumis aux quotas – seront évaluées et probablement révisées en 2025 et 2026.

À chaque ouverture de ces « boîtes de Pandore », des amendements soutenus par la droite et l’extrême droite pourraient annihiler les ambitions de ces textes. Déjà, des courriers d’eurodéputés, principalement issus des groupes d’extrême droite, dénoncent le « monstre bureaucratique » de la taxe carbone aux frontières de l’UE, appelant à une réaction rapide.

Plus concrètement, depuis les élections européennes, les enjeux se concentrent sur les transports et les objectifs de décarbonation des véhicules routiers. Des fabricants automobiles plaident ainsi pour que la Commission européenne reconsidère la législation sur la réduction des émissions de CO2 des véhicules, censée diminuer de 15 % d’ici 2025.

Au Parlement européen, environ une centaine de députés, allant de la droite à l’extrême droite, ont exprimé, en réponse aux demandes des fabricants, leur souhait de revoir au plus vite les objectifs et d’éviter d’imposer des amendes « excessives » aux industriels. Céder à ces exigences serait équivalent à accorder une « prime aux mauvais élèves », déplore Pascal Canfin.

Plus fondamentalement, la cible expresse d’une partie de la droite et de l’extrême droite reste la date limite de 2035, qui obligera les fabricants à ne plus produire que des véhicules non émetteurs de CO2. La pression monte, principalement d’Allemagne et d’Italie, sur la Commission, qui est sommée d’assouplir les contraintes imposées à l’industrie automobile dans un contexte concurrentiel et de revenir sur cet engagement de l’UE.

Pour l’heure, l’objectif n’est pas officiellement remis en question par la Commission européenne, bien qu’elle semble se diriger vers une plus grande ouverture aux carburants de synthèse, issus de CO2 et d’hydrogène vert ou bas carbone. Des lobbys industriels demandent que cette ouverture soit étendue aux biocarburants, malgré leur controverse.

« Simplifier » ou déréguler ?

La nouvelle Commission européenne aspire donc à rassurer les industries. Le 18 juillet, Ursula von der Leyen a déclaré aux eurodéputés qu’il est essentiel de « commencer par simplifier et rendre l’environnement des entreprises plus réactif ». Toutefois, de nombreux députés, pour la plupart de gauche, et des ONG redoutent que cette simplification ne soit que synonyme de dérégulation.

Par conséquent, la réforme ambitieuse de Reach, le règlement européen sur les substances chimiques, abandonnée lors de la précédente législature, visait à éliminer davantage de substances toxiques. Elle devrait revenir sous une forme très différente, ayant pour objectif principal de réduire le fardeau bureaucratique que ce règlement imposerait aux entreprises.

C’est également cette logique de « simplification » qui ressort du rapport sur la compétitivité européenne commandé par le gouvernement à Mario Draghi, ancien président de la Banque centrale européenne et ex-président du Conseil italien. Ce document très pris au sérieux à Bruxelles influencera les politiques publiques européennes pour les cinq années à venir.

Bien qu’il mette également une emphase sur les objectifs de décarbonation de l’industrie, certaines de ses propositions suscitent la controverse, notamment lorsqu’il n’exclut pas de prolonger l’octroi de quotas de CO2 à titre gratuit pour les industries les plus énergivores.

Et lorsque Mario Draghi propose d’assouplir considérablement les règles de protection de la nature et de l’environnement pour faciliter la construction de capacités de production d’énergies renouvelables, les ONG s’élèvent contre cela.

« Accompagner le secteur industriel dans sa transition doit s’accompagner de conditions environnementales et sociales beaucoup plus strictes. Le rapport Draghi demande un soutien pour les entreprises sans réellement imposer ce type de conditions », affirme Chiara Martinelli, directrice du Réseau action climat européen.

Reste à voir que la nouvelle Commission européenne n’est pas encore officiellement établie. L’avenir du Green Deal a été un point central lors des auditions des commissaires européens qui se sont déroulées au Parlement européen du 4 au 12 novembre. L’issue dépendra également des choix de casting.

Cédric Goyer, représentant syndical UNSA au sein de Kéolis Méditerranée

HERAULT NEWS

Cédric Goyer, représentant syndical UNSA au sein de Kéolis Méditerranée

Les employés de Kéolis entrent de nouveau en grève à partir de ce mardi. Un désaccord social qui a débuté en septembre mais qui avait été suspendu pendant les vacances scolaires. Et les transports scolaires pourraient encore être fortement affectés jusqu’à la fin du mois.

La mobilisation a été lancée en septembre. Après une interruption durant les vacances de la Toussaint, le personnel a choisi de relancer la grève avec les mêmes demandes : augmentations de salaires, amélioration des conditions de travail….

Les parents d’élèves sont vraiment contrariés et ont d’ailleurs décidé de mettre en circulation une pétition qui a déjà rassemblé plus de 200 signatures. Des parents lassés de devoir se réorganiser.

On en discute ce matin avec Cédric Goyer, représentant syndical UNSA chez Kéolis Méditerranée.

Le gouvernement abandonne le Plan vélo: un projet à «2 milliards d’euros» s’évapore

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Le gouvernement abandonne le Plan vélo: un projet à «2 milliards d’euros» s’évapore

Le gouvernement met au rebut l’ambitieux Plan vélo 2023-2027. Les plus d’un milliard d’euros d’investissements prévus sur cinq ans ne sont plus qu’un lointain souvenir. Le nouveau ministre des transports préfère, quant à lui, miser sur les cars.