ASSEMBLÉE – C’est un texte dont on aurait pu penser qu’il ferait l’unanimité. La proposition de loi visant à interdire les thérapies de conversion – des pratiques prétendant modifier l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’une personne – arrive dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale ce mardi 5 octobre après son adoption en commission la semaine dernière.
Mais avant même le début des discussions, un point du texte avait fait bondir plusieurs parlementaires et associations. Dans un mail envoyé à des députés le 21 septembre, l’Observatoire de la petite sirène -composé de psychiatres, psychologues, médecins ou juristes et qui a l’oreille d’une partie du camp conservateur- alerte sur “le danger d’inclure l’identité de genre dans cette proposition”.
Pourquoi? Les “attitudes de prudence” de certains professionnels vis-à-vis des enfants trans, qui leur conseilleraient a minima de reporter leur transition de genre à l’âge adulte, pourraient être interprétées comme “visant à réprimer l’identité de genre vraie ou supposée d’une personne”, ce que condamne justement la proposition de loi. Des craintes partagées par Noues femmes–WHRC France, un collectif de Terfs, c’est-à-dire des femmes qui considèrent que les femmes trans ne sont pas de vraies femmes.
Dans un courrier adressé aux députés le 15 septembre dernier, elles soutiennent “qu’élargir le champ de cette proposition à l’identité de genre conduit à des amalgames dangereux”.
L’appel a été entendu par des parlementaires de droite et d’extrême droite. Dans des amendements examinés ce mercredi en commission, et non adoptés, Xavier Breton (LR), Marie-France Lorho ou encore Emmanuelle Ménard (non inscrites) ont carrément demandé le retrait du terme “identité de genre” du texte. S’ils dénoncent -comme à chaque fois que le terme revient à l’Assemblée -, une “notion qui apporte de la confusion dans le droit” et qui “ne répond pas à une réalité naturelle”, c’est avant tout la question des mineurs trans qui est au coeur du sujet.
Un sujet qui a beaucoup gagné en visibilité ces derniers mois avec la diffusion de plusieurs reportages et des prises de parole médiatiques, notamment celle de Stella, une petite fille de 8 ans, qui a raconté son parcours de transition sur plusieurs plateaux de télévision. Et qui déchaîne les passions.
Des médecins condamnés pour thérapies de conversion?
Dans son amendement, lui aussi rejeté, le député LR Fabien Di Filippo souhaitait purement et simplement que les thérapies de conversion, quand elles visent à modifier ou réprimer l’identité de genre, ne soient pas considérées comme telles tant que la personne est encore mineure, dans la mesure où il estime que l’identité de genre “ne peut être fixée avant la majorité” “Sur le plan strictement juridique, il voulait donc autoriser les thérapies de conversion sur les mineurs trans, souffle une source parlementaire. C’est très grave”.
Autant d’arguments que l’on retrouve dans une tribune publiée dans l’Express le 20 septembre dernier. Dans ce texte intitulé “Changement de sexe chez les enfants: ‘Nous ne pouvons plus nous taire face à une grande dérive’”, une cinquantaine de psys, médecins et intellectuels (Élisabeth Badinter, Chantal Delsol, Christine Le Doaré, Catherine Dolto, René Frydman, Xavier Emmanuelli), dénoncent ce qu’ils nomment une “emprise idéologique sur le corps des enfants”. Les signataires évoquent, entre autres, “une inflation considérable de demandes de changement de sexe chez les enfants et plus particulièrement chez les adolescentes (…) au prix d’un traitement médical à vie, voire chirurgical sur des corps d’enfants ou d’adolescents”.
Une tribune vivement critiquée par des associations trans et féministes. “On ne soigne pas l’attirance des filles pour d’autres filles, l’attirance des garçons pour d’autres garçons, on ne soigne pas non plus le désir d’un enfant de vivre et d’être reconnu dans le genre qui lui convient”, assure ainsi Toutes Des Femmes sur Twitter. “Seule l’acceptation des personnes trans et de leurs besoins peut mener à leur épanouissement”, ajoute-t-elle.
Des arguments également réfutés par la rapporteure du texte Laurence Vanceunebrock. “Dans leur esprit, une personne trans trop jeune sera sommée d’attendre pour être sûre, de peur de banaliser la transidentité. Or, ce sont exactement les mêmes arguments qui étaient utilisés par les sénateurs pour maintenir les dispositions pénalisant l’homosexualité au moment des débats parlementaires de 1982”. “Il ne s’agit pas de préparer un ‘changement de sexe’, plaide encore la députée LREM. La volonté de la majorité des médecins spécialisés est, avant tout, de privilégier l’accompagnement de l’affirmation de l’identité de genre”.
“Nous sommes favorables au fait de donner à toute personne la capacité à s’autodéterminer et à choisir la manière dont elle décrit son orientation sexuelle ou son identité de genre”, glisse-t-on aussi au ministère de l’égalité femmes-hommes et la lutte contre les discriminations.
Des cas de “dé-transition”?
Les détracteurs du texte évoquent aussi des cas de “dé-transition” pour étayer leur argumentaire, c’est-à-dire des personnes trans qui, une fois adultes, souhaiteraient revenir à leur genre de naissance. “Après avoir réalisé un changement de genre avec une transition médicale, ils regrettent leur parcours et veulent retrouver leur sexe de naissance”, croit savoir l’Observatoire de la petite sirène, sans citer de chiffres ou d’étude à ce sujet.
Sur ce point, qui alimente de nombreux fantasmes, Laurence Vanceunebrock l’assure: “aucun enfant pré-pubère ne se voit prescrire de traitement hormonal ni chirurgical en France et aucune recommandation internationale ne le préconise”. “Pour les bloqueurs de puberté, les médecins attendent d’observer si l’enfant éprouve ou non une détresse au début de sa puberté. Pour ce qui est de la chirurgie, seules les torsoplasties (opération visant à transformer une poitrine féminine en torse masculin) sont autorisées conformément aux recommandations internationales. Pour autant, elles sont extrêmement rares avant l’âge de 18 ans”, poursuit la députée.
“Ce que décrivent ces organisations, c’est un parcours de transition où la personne ne donnerait jamais son consentement, regrette Claire, membre de l’association Acceptess-T. C’est une description mensongère de ce qu’est l’approche transaffirmative”.
Cette approche, à l’inverse de ce que prônent les opposants au texte, ne décourage pas la transition sociale de l’enfant et pose comme principe que les enfants et adolescents doivent être accompagnés dans leurs parcours. Des interventions médicales telles que le recours aux bloqueurs de puberté ou traitements hormonaux peuvent être proposés, mais ne sont absolument pas systématiques.
À ce sujet, le plan LGBT de la Dilcrah pour 2020-2023 prévoit une remise à plat des protocoles de prise en charge de la Haute autorité de santé (HAS) dans le parcours de transition des personnes trans. Des auditions ont été lancées à ce sujet par le ministère de la Santé et devraient aboutir d’ici à la fin de l’année.
Des prises de positions minoritaires
Autre élément invoqué par les détracteurs du texte: “aucun cas de pratiques visant à modifier l’identité de genre d’une personne n’a été relaté en France”, assurent-ils. “Faux”, rétorque Claire d’Acceptess-T qui assure avoir déjà reçu trois témoignages suite à un appel à témoins lancé le 27 septembre avec l’association et le collectif Rien à Guérir (composé de victimes de thérapies).
Les prises de position de ces collectifs et parlementaires restent toutefois minoritaires et ne devraient pas empêcher, dans quelques jours, le vote du texte dans les termes voulus par la majorité. Contacté par Le HuffPost, le cabinet de la ministre Élisabeth Moreno confirme qu’ils ne soutiennent aucun de ces amendements. “Les thérapies de conversion ne concernent pas que l’orientation sexuelle, mais aussi l’identité de genre”, indique cette même source, qui soutient que supprimer cette notion du texte serait “une erreur” et le rendrait “incomplet”.
La proposition de loi prévoit la création d’un délit spécifique punissable de deux ans d’emprisonnement et de 30.000 euros d’amende, voire trois ans d’emprisonnement et à 45.000 euros d’amende lorsqu’il s’agit d’un mineur.