Giuliana et Vincenzo Paparella gèrent la boutique avec leur oncle Franco. Il y a quelques années, les frères et sœurs sont tombés sur un vieux carnet ayant appartenu à l’oncle de leur grand-père, un entrepreneur nommé Luigi Marseglia. Ce cahier contenait les recettes qui constituent aujourd’hui la base de la carte du Mokambo.
Né en 1889, Luigi Marseglia a grandi à Naples. Sa vie professionnelle a commencé au Gran Caffè Gambrinus, qui proposait glaces et pâtisseries. Vers l’âge de vingt ans, il part s’installer à Ruvo di Puglia pour suivre l’amour de sa vie, où il ouvre alors un hôtel, puis un bar, nommé d’après le café dans lequel il bossait dans sa ville natale. En 1912, Marseglia ouvre même une station-service pour les marchands ambulants qui venaient acheter des amandes, le principal produit d’exportation de la région.
Le neveu de Marseglia, Vincenzo Paparella Senior, a travaillé dans le café de son oncle jusqu’au moment où il a été appelé par l’armée. De retour à Ruvo après son service militaire, Vincenzo espérait y retrouver son ancien job, ignorant que Marseglia avait fermé boutique et pris sa retraite.
Vincenzo Senior se débrouille comme il peut et passe les années suivantes au Caffe Italia, un établissement local. Probablement influencé par son oncle, il devient propriétaire et ouvre la première version de Mokambo en novembre 1967. Le nom, commun à tous les cafés et glaciers italiens, conduit certaines personnes à penser qu’il appartient à une chaîne. Mais ce n’est pas le cas : Vincenzo aime simplement la sonorité du mot.
Après le décès de Vincenzo Paparella Senior en 1984 à l’âge de 51 ans, ses fils Antonio et Franco prennent les rênes de l’entreprise. Ils gèrent l’affaire ensemble pendant dix ans, jusqu’à ce que Franco décide de se lancer seul et d’ouvrir son propre restaurant. Le Mokambo version 1.0 fermera quatre ans plus tard. Il en faudra vingt de plus pour qu’il revienne à la vie. C’est la nostalgie qui aurait provoqué cette renaissance, en partie du moins. « Pendant des années, j’ai espéré retrouver le goût des glaces que je mangeais enfant, une glace noisette qui aurait vraiment le goût de la noisette », nous explique Giuliana Paparella, petite-fille de Vincenzo Paparella.
« Cette boutique existe pour satisfaire les connards, parce que seul un connard ferait autant d’histoires pour une glace » – Franco Paparella
En 2015, Giuliana suit des cours à la faculté de droit, tandis que son frère Vincenzo — nommé d’après son grand-père — travaille à Rome pour une boîte de consultant. Cherchant à changer de vie et à recréer ces saveurs d’antan, ils commencent à harceler leur père, Antonio. Alors que ce dernier ne manifeste aucun intérêt, leur oncle Franco caresse peu à peu l’idée de se relancer dans le business de la crème glacée. Il possède déjà l’équipement et même un petit local prometteur, prêt à être rénové.
Le Mokambo Gelateria nouvelle génération ouvre donc ses portes à l’été 2016, faisant entrer les recettes de Luigi Marseglia dans le 21e siècle. Cette boutique existe pour « satisfaire les connards, parce que seul un connard ferait autant d’histoires pour une glace ». Ça ne vient pas de nous, c’est Franco Paparella qui le dit.
Suivant les ordres de Franco, ils n’utilisent ici que des ingrédients naturels. Noisettes à trois feuilles, pistaches précieuses et 36 variétés différentes de fèves de cacao… Voilà quelques-uns des paramètres qui font que les cornets de Mokambo s’élèvent au-dessus du commun des glaces.
« Au début, on achetait notre chocolat », nous confie Franco Paparella. « Même si c’était le meilleur du marché, nous n’en étions pas satisfaits car il était fabriqué à base de beurre de cacao et nous voulions le produit pur. Alors en 2017, on a pris la décision de tout fabriquer sur place, et on a commencé à importer directement les fèves. »
Cet accent mis sur la qualité explique en partie pourquoi les prix du salon sont un peu plus élevés que ceux pratiqués ailleurs. « J’ai dû augmenter mes prix et supporter les geignements des gens simplement parce que le coût des ingrédients a augmenté », dit-il, affirmant qu’il ne gagne que 70 centimes sur un cornet de glace vendu 4 euros.
« Ici, on offre une expérience totalement différente des glaciers classiques », explique Vincenzo Paparella. « Comme vous l’avez peut-être remarqué, on n’a pas d’enseigne tapageuse et on n’est pas situés dans un quartier branché. Ce qui nous intéresse, c’est de parvenir à séduire avec nos glaces, rien d’autre. »
Mais la proposition la plus originale du Mokambo reste le sceptre du roi, le cornet recouvert de safran qui est devenu le symbole de l’entreprise familiale. Importé de Mashhad, dans le nord-est de l’Irak, le safran coûte environ 55 € le gramme. La famille Paparella utilise la partie la plus précieuse de la plante, connue sous le nom de sargol.
Le sargol, qui signifie « sommet de la farine », est la partie la plus rouge d’un brin de safran, mais c’est aussi la plus chère. Ils en infusent ensuite le mélange d’œufs, de lait et de sucre qui constitue la base de leur crème glacée afin de recréer la recette conçue par leur ancêtre Luigi Marseglia.
Le sceptre final est une savante combinaison de crème, de beurre de pistache, de glace au safran, d’encore un peu plus de crème, de feuille d’or 24 carats et de caramel. Et il faut bien l’avouer, il ressemble vraiment à un sceptre. Sans parler de son effet en bouche, qui est absolument royal : une texture à la fois douce, légère et onctueuse, avec un arôme délicatement parfumé et une saveur enivrante. Ce que raconte ce cornet de luxe, c’est la détermination d’une famille à maintenir le passé vivant, quel qu’en soit le prix.
« L’idée [de la crème glacée] nous est venue en 2017, et on l’a lancée en août 2018 », ajoute Giuliana. « Mais on ne se contente pas de vous vendre un simple cornet : on vous kidnappe pour vous faire vivre une véritable expérience d’une heure et demie. »
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