Le refuge des Guides du Cervin, qui offre le gîte et le couvert dans ce coin des Alpes parmi les plus prisés des adeptes de la glisse, a fait l’objet d’intenses négociations diplomatiques pendant plus de trois ans, jusqu’à un compromis trouvé l’année dernière, dont les détails restent secrets.
La position stratégique de la bâtisse attise les convoitises: elle est située à la jonction de Zermatt-Cervinia, une des plus grandes stations de ski au monde, au cœur d’un projet pharaonique de modernisation.
“On a partagé un peu la poire en deux”, explique à l’AFP le responsable de la frontière nationale suisse Alain Wicht, qui a pris part aux négociations où chacun a fait des concessions pour trouver “une solution pour que les deux se sentent sinon gagnants, au moins pas perdants.”
Le glacier Théodule a fondu
Sur les glaciers alpins, la frontière italo-suisse suit la ligne de séparation des eaux dont l’écoulement vers le nord marque le territoire suisse, et celui vers le sud, l’Italie. Celle-ci a été modifiée par la fonte du glacier du Théodule qui, perdant près d’un quart de sa masse entre 1973 et 2010, a laissé place à la roche, forçant les deux voisins à redessiner quelques dizaines de mètres de leur frontière.
Selon M. Wicht, si ces ajustements sont fréquents, ils se règlent généralement en comparant les relevés réalisés par les équipes des deux pays, sans intervention politique. “Il faut savoir qu’on se bat avec des terrains de moindre valeur”, note-t-il. Ses collègues italiens déclinent de leur côté toute demande d’interview ”à cause de la situation internationale complexe”.
Le mystérieux contenu de l’accord négocié à Florence en novembre 2021 ne sera dévoilé qu’après son approbation par les autorités – côté suisse, le sujet ne pourra être présenté au Conseil Fédéral qu’en 2023, au plus tôt.
Ancien chef de la délégation suisse, Jean-Philippe Amstein est plus loquace, expliquant que ces différends se résolvent par un échange de territoires de surface et de valeur similaires. “La Suisse n’est pas intéressée à obtenir un bout de glacier”, éclaire-t-il, et “les Italiens n’arrivent pas à compenser la perte de surface suisse”.
Le refuge reste italien
Le gardien du refuge, Lucio Trucco, 51 ans, a été informé qu’il resterait sur le sol italien. “Le refuge reste italien parce qu’on a toujours été italien”, indique-t-il : “le menu est italien, le vin est italien, et les taxes sont italiennes”.
Ces années de négociation ont retardé la rénovation du refuge, aucun des villages des deux côtés de la frontière n’étant en mesure de délivrer le permis de construire. Les travaux ne seront pas terminés pour l’ouverture d’un nouveau téléphérique, qui permettra d’accéder au Petit Cervin, un des plus hauts sommets skiables d’Europe (3.883 m) depuis l’Italie fin 2023, assurant une traversée des Alpes “avec les pieds au sec” pour un coût estimé à 45 millions de francs (45.8 millions d’euros).
La zone n’était accessible que depuis Zermatt, que le ski d’été sur les 21 kilomètres de pistes du glacier a aidé à devenir une des stations les plus prospères de Suisse. Alors que certaines stations de moyenne montagne se préparent à la fin du ski alpin à cause du réchauffement climatique, Zermatt-Cervinia fait durer le plaisir, même si ces activités contribuent à la fonte du glacier.
D’ailleurs sur le Mont Cervin, les guides de haute montagne ont interrompu fin juillet leurs excursions en raison de la chaleur qui compromet la sécurité des randonneurs, notamment avec les chutes de pierres. Preuve du réchauffement: zéro degré a été enregistré à 5184 mètres d’altitude. Le précédent record était de zéro degré à 5117 mètres, mesuré en 1995.
Sur le Mont Cervin, entre l’Italie et la Suisse, les guides de haute montagne interrompent les excursions tant que le froid ne sera pas de retour. La chaleur est telle que dans les refuges, à 3500 m, on dort la fenêtre ouverte. “La montagne ferme”, titre @LaStampa
— Lucie Tournebize (@occhiodilucie) July 22, 2022
Comme annoncé hier, un #record absolu d’altitude de l’isotherme du 0 °C pourrait bien avoir été atteint la nuit dernière avec une valeur à 5184 m relevée par le sondage de Payerne à minuit, soit en-dessus du précédent record de 5117 m du 20 juillet 1995 ! A confirmer demain. pic.twitter.com/fY2R71i8cM
— MétéoSuisse (@meteosuisse) July 25, 2022
“Il faut bien valoriser la zone ici parce que ça sera sûrement la dernière à mourir”, défend malgré tout M. Trucco. “On skie avec le soleil, au chaud, sans avoir froid aux pieds, et quand même dans une neige qui est bonne”, dit-il. Pour l’heure, sur les cartes suisses, la frontière entourant le refuge reste en pointillés.
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