Quelques semaines après les premiers soubresauts de la révolte, la photographe française Juliette Agnel arrive dans le pays courant janvier 2019. Envoyée par l’Union européenne, elle est ici pour photographier les étoiles et les ruines archéologiques dans le nord du pays. Et dans la voiture qui la mène vers les vestiges de l’ancienne Nubie, Agnel partage la banquette avec Duha Mohammed, une jeune photographe soudanaise de 23 ans.
« Pendant 7 jours et 800 kilomètres, on discute beaucoup avec Duha, qui m’explique qu’elle va photographier les manifestations, puis poster les photos sur Facebook », remet la photographe française. Impressionnée par son courage, qui flirte parfois avec une quasi-inconscience (le Soudan est alors un des pays les plus hostiles au monde pour les journalistes), Juliette Agnel écoute Duha Mohammed, qui lui fait découvrir d’autres photographes soudanais, aussi impliqués dans cette impossible couverture médiatique de la révolte en cours.
« Quand je suis arrivée dans le pays, on m’a bien fait comprendre qu’il ne fallait jamais aller dans les manifs, ni envoyer de photos nulle part, puisque le NISS [les tout-puissants services de renseignements d’Omar Al-Bachir] surveille tout le monde, non-stop », continue Juliette Agnel. Malgré ces innombrables dangers, la poignée de photographes soudanais présentés par Duha Mohammed continue de photographier ce bout d’histoire qui s’écrit sous leurs yeux.
« Ils sont photographes, mais ce n’est pas leur métier principal, il n’y a pas de possibilités d’en vivre là-bas pour le moment », décrypte la photographe française. Si certains ont suivi quelques workshops dispensés au Goethe Institute de Khartoum, nombre des photos saisies dans les manifestations se font au téléphone portable – pour plus de discrétion. Sous leurs objectifs défilent des milliers de manifestants qui inondent le pays et maintiennent la pression sur le régime dictatorial d’Omar Al-Bachir.
Après un rapide passage par la France, Juliette Agnel est de retour au Soudan avec l’idée de monter un projet pour montrer le travail de cette émergente scène de photographes soudanais. Profitant d’une exposition de ses clichés à l’Institut Français de Khartoum, Agnel récupère les clichés des photographes rassemblés par Duha Mohammed. « Si je voulais récupérer des images, il fallait être sur place », tranche Agnel.
Ainsi, Agnel compile les images d’une révolution quasi-invisible hors du Soudan, d’où si peu ou rien ne sort. Ahmed Ano (1993), Suha Barakat (1986), Saad Eltinay (1995), Eythar Gubara (1988), Metche Jaafar (1998), Ula Osman (1998), Muhammad Salah (1993) et donc Duha Mohammed confient à Agnel leurs clichés, alors que les manifestations continuent pour aboutir à un immense sit-in à Khartoum, devant la « Qiyadah », le quartier général de l’armée.
Dès le 6 avril 2019, des milliers de Soudanais convergent vers ce vaste espace pour continuer d’exiger le départ d’Omar Al-Bachir. Un vœu enfin exaucé le 11 avril. S’en suit alors une période d’expérimentations, d’éducation politique et d’échanges inédite dans le pays. Plusieurs photographes sont présents, et immortalisent ce moment d’histoire du pays où l’on vient de tout le Soudan pour réclamer l’institution d’un gouvernement civil.
Mais, le 3 juin, les forces de sécurité du Conseil militaire de transition dispersent le sit-in – pacifique – dans un sordide bain de sang. Plus d’une centaine de personnes sont tuées d’après Amnesty International. Quelques mois plus tard, un accord sera finalement trouvé pour qu’une coalition civile intègre le pouvoir pour mener la transition post-Al-Bachir (période qui doit se conclure sur la tenue d’élections, repoussées dernièrement en 2024).
À Arles, c’est l’histoire de cette révolution que Juliette Agnel et Duha Mohammed (co-commissaire de l’exposition) tâchent de montrer. Une révolution toujours en cours, où la crise économique, les dévaluations, les pénuries compliquent un peu plus chaque jour la recherche d’un renouveau politique.
Les photographes exposés sont : Ahmed Ano (1993), Suha Barakat (1986), Saad Eltinay (1995), Eythar Gubara (1988), Metche Jaafar (1998), Hind Meddeb (1978), Duha Mohammed (1993), Ula Osman (1998), Muhammad Salah (1993).
Thawra ! ثورة Révolution ! – Soudan, histoire d’un soulèvement est visible à l’Eglise des Trinitaires jusqu’au 26 septembre de 10h00 à 19h30.
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