En se promenant le long de la côte belge, on peut voir traîner çà et là des vieux matelas gonflables ou des tubas abandonnés. Rien de trop foufou… Mais jetez un oeil vers le large quand le vent se lève. Vous verrez les vagues se former et, avec, une petite autoroute maritime faite de kites et de planches de surf prêtes à se lancer dans le courant. La Belgique, ce n’est peut-être que 67 kilomètres de côtes, mais oui, on peut y faire du surf.
Le fait que le surf rende heureux, voire crée une dépendance, n’est pas une nouveauté. On peut comparer ce phénomène à l’euphorie que ressentent les coureur·ses à pied ou les cyclistes. On dit que la sensation de chevaucher la vague peut vous élever et vous donner comme une sorte de résilience. Vous avez peut-être entendu parler de cet effet dans le documentaire Resurface, dans lequel des vétérans américains apprennent à surfer pour traiter leur syndrome de stress post-traumatique. Le surf leur fournit un exutoire pour leur dépression, leur agressivité et les différentes crises de panique auxquelles ils sont confrontés. Pour faire simple, la puissance de l’eau exige toute leur attention et leur vide la tête.
La surfeuse et psychologue Liselotte Oyen est également convaincue du pouvoir de la thérapie par le surf. Ça va faire un an qu’elle organise des sessions collectives à Wenduine sous le nom de Monstergolf. On s’est retrouvées dans un bar le long de la plage pour parler de l’effet psychologique et thérapeutique du surf qui, selon elle, est assez évident. « Je connais beaucoup de personnes pour qui le surf est une réelle échappatoire, dit-elle. Si elles ne pouvaient pas surfer, elles deviendraient complètement zinzins. Le surf est aussi super relaxant pour moi. Quand je me sens déprimée, je sais que je dois embarquer ma planche. »
VICE : Ça fait longtemps que tu surfes ?
Liselotte : Contrairement à la plupart des surfeur·ses belges, j’ai pas grandi sur la côte. J’ai vécu à Kessel-Lo (près de Louvain, NDLR) et bien que le surf me semblait être un sport assez cool quand j’étais gosse, j’étais persuadée que c’était impossible d’en faire en Belgique. Ma première expérience de surf n’a eu lieu qu’à l’âge de 24 ans, en vacances. J’étudiais à Chicago à l’époque. Il faisait si froid là-bas que j’avais réservé un vol avec des potes pour retrouver le soleil, à Miami. De là, on est passé·es devant un magasin de plongée, et une affiche collée sur la devanture proposait des cours de surf. On s’est dit « pourquoi pas ? », j’ai immédiatement accroché.
Du coup, quand t’es rentrée, tu t’es jetée sur les vagues belges ?
Même après cette première fois, ma relation avec le surf se limitait principalement aux vacances. Grâce à mon oncle, je savais que c’était possible de surfer dans notre pays – il allait parfois faire de la planche à voile sur la côte belge – mais je préférais la sécurité des vagues à l’étranger. En Belgique, tu dois être très flexible, t’as aucune garantie d’avoir de bonnes vagues, alors que sur l’océan Atlantique, les chances sont beaucoup plus grandes. J’ai commencé à davantage apprécier la mer du Nord que quand j’ai rencontré mon mari. Entre-temps, les enfants se sont joints à nous. Ils ont 7 et 9 ans et pour eux, les petites vagues belges sont très accessibles.
Comment t’as découvert la thérapie par le surf ?
Je faisais déjà de la psycho quand j’ai commencé à surfer et j’ai directement remarqué l’effet que cette discipline avait sur moi. C’est là que je me suis dit : « Je suis sûre que ça pourrait être bénéfique pour d’autres personnes que je connais » – elles bénéficieraient davantage de ce type de thérapie en plein air que dans une salle de consultation traditionnelle. Avant d’entamer ma première grossesse, j’avais donc à l’idée de monter une opération de thérapie par le surf. Mais la route s’est avérée longue et compliquée, surtout en Belgique.
C’est plus galère qu’ailleurs ?
Faire du surf en Belgique c’est possible, mais pas évident. Parfois, il y a trop de vent et c’est trop dangereux. Puis sans prévenir, il n’y a plus de vagues à surfer et on doit laisser tomber pour, par exemple, aller manger à la place. Les vagues aléatoires sont un bon exercice pour les participant·es cela dit : c’est une façon de lâcher prise, de prendre la mer comme elle est. En plus, les clubs de surf sont fermés en hiver et on peut pas louer de matériel, la saison est donc relativement courte.
Pourtant, t’as réussi à créer Monstegolf l’année dernière ?
Oui, après mûre réflexion, j’ai finalement réussi à monter ça l’an dernier, avec Fauve Bekaert. Je l’ai littéralement rencontrée sur la mer du Nord sur une planche de surf. Elle partage ma passion pour les vagues et pour le bien-être psychologique, l’alchimie parfaite pour se lancer dans de la thérapie par le surf. Ensemble, on voulait rendre ce rêve possible en Belgique. On a réalisé notre premier projet pilote à Ostende au cours de l’été 2021, en coopération avec l’organisation de jeunesse Habbekrats, et on a vraiment commencé les séances à l’automne. Entre-temps, Oliver DeWolf a également rejoint l’ASBL.
Comment se déroule une séance du coup ?
Ça dépend, il n’y a pas de programme fixe. Lors des séances individuelles, on commence souvent par surfer, puis on parle. En groupe, c’est parfois un peu différent. Le groupe que je viens d’avoir voulait se focaliser sur le surf, donc les moments de réflexion étaient plus courts. Parfois, on parle aussi pendant les sessions de surf, quand quelqu’un sort de la mer, par exemple. On discute ensuite de son expérience de la mer, qui est une bonne métaphore de la vie dans son ensemble. Je donne également des exercices de réflexion à faire chez soi. Certaines personnes les font bien, d’autres en ont moins besoin.
Il faut savoir surfer au préalable pour faire une séance avec vous ?
Non, juste savoir nager ! On apprend à surfer pendant la thérapie. C’est aussi une bonne façon de faire face à l’échec ou d’affronter des revers. On apprend à surfer en essayant et en faisant des erreurs.
Ça change quoi des cours de surf ordinaires du coup ?
Avec nous, il ne s’agit pas de surf en tant que tel, mais de développement personnel. Il y a aussi une atmosphère de « non-obligation » afin que les participant·es se sentent en sécurité, autant physiquement que mentalement. Lors d’une séance, t’es avec des coaches en qui tu dois avoir confiance. Cette relation de confiance est très importante.
Monstergolf organise principalement des sessions en groupe. C’est quoi la valeur ajoutée d’une séance collective ?
En fin de compte, de nombreuses personnes recherchent une connexion. Tout le monde s’encourage beaucoup et les participant·es apprennent en s’observant mutuellement. Une fois, par exemple, on était parti faire du kayak parce qu’il n’y avait pas assez de vagues pour surfer. Ça nous a beaucoup rapproché·es parce qu’on a pu échanger davantage en cours de route. En plus, un des kayaks avait fui, et on l’a réparé tou·tes ensemble. Des moments comme celui-là, ça rassemble. Sinon, je fais des entretiens préalables avec les personnes intéressées pour voir si leur groupe leur correspond.
La thérapie par le surf c’est comme une thérapie de plein air et de la thérapie d’aventure combinées. Tu dirais qu’il nous manque l’aspect physique dans la psychologie traditionnelle ?
Je crois beaucoup en la combinaison de la parole et de l’activité physique en extérieur. Le surf est une discipline curative, on ressent toute l’adrénaline et les hormones qui se libèrent, ce qui laisse un sentiment positif au final chez les participant·es. C’est très satisfaisant. Chaque personne commence à parler de sa vie et de son avenir à partir de ce bon sentiment, elles ont une approche différente des choses après avoir surfé.
Pourquoi choisir le surf plutôt qu’une autre activité physique ?
Parce que le surf c’est ma passion ! Mais aussi à cause de la libération immédiate d’adrénaline quand vous attrapez une vague. C’est différent que d’aller se promener. En plus, t’es très proche du moment présent quand tu surfes. Tu pagayes, tu tournes, tu dois sauter et tenir compte de la mer. Ça requiert une totale concentration, c’est très difficile de broyer du noir en pleine action.
Le surf, ç’a un impact sur la confiance en soi aussi ?
Oui, c’est un grand moment quand t’arrives à prendre ta première vague. Pour certain·es, le simple fait d’oser se jeter à l’eau, ça leur redonne vraiment la confiance nécessaire. On constate donc une évolution à plusieurs niveaux : en apprenant à surfer, les participant·es acquièrent une nouvelle compétence et ont une meilleure estime de soi. Ça rend plus confiant·e, et du coup plus disposé·es à partager des choses avec le groupe. Le surf apporte également le calme et aide à gérer les émotions négatives. Et n’oublions pas le plaisir : pendant une séance de ride sur les vagues, les hormones du bonheur sont stimulées et libérées, ce qui permet de se sentir mieux. Pour les personnes souffrant d’anxiété ou d’émotions négatives, c’est libérateur de découvrir qu’elles peuvent à nouveau s’amuser.
Tu gères à la fois Monstergolf et t’es chargée d’études en psychologie appliquée à l’école supérieure VIVES à Courtrai. C’est reconnu et soutenu auprès de la communauté scientifique, la thérapie par le surf ?
Plusieurs études d’impact ont été réalisées au cours des dix dernières années. Des recherches supplémentaires sont encore nécessaires, mais je suis convaincue qu’elles seront menées à bien. De par ma formation en psychologie, je trouve ces preuves scientifiques très précieuses. Ce sont des marqueurs d’efficacité qui sont cruciaux si on veut un jour prétendre au remboursement de la thérapie par le surf. En Angleterre, le surf peut déjà être prescrit par les médecins. La culture anglaise du surf est beaucoup plus importante avec son long littoral et ses vagues constantes. La thérapie par le surf est vraiment en plein essor là-bas. Aux Pays-Bas, il existe également diverses petites initiatives. On est sur la bonne direction et le fait que la thérapie en plein air soit tendance et se développe, surtout depuis le Covid, ça aide pas mal.
Ça vous arrive de coopérer avec des initiatives à l’étranger ?
On fait partie d’un réseau international qui organise une conférence chaque année en novembre. On est également en contact régulier avec d’autres thérapeutes du surf. C’est très instructif de voir comment d’autres organisations abordent le sujet, souvent avec des groupes cibles différents. À Porto Rico, par exemple, il existe une organisation qui travaille avec des enfants atteint·es de troubles du spectre autistique (TSA). Là, on apprend aux parents à surveiller leurs enfants pendant qu’iels surfent, pour qu’iels puissent également sortir en mer le week-end. Il existe aussi dans le monde un projet de thérapie par le surf dans un orphelinat. Là-bas, les enfants travaillent toujours avec les mêmes superviseur·ses ; le travail sur les liens interpersonnels est important. En Belgique aussi, il y a déjà quelques personnes qui travaillent sur la thérapie par le surf et dans l’idée, on essaye de créer un réseau, mais c’est encore au stade embryonnaire. Ici, la thérapie par le surf c’est un concept encore assez nouveau.
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