Ironie du calendrier, l’édition française de la bible de la mode fête ses 100 ans avec certes une grande exposition au Palais Galliera, musée de la mode de Paris, mais privée de sa rédactrice en chef et sous le contrôle accru de New York. Emmanuelle Alt a été remerciée en mai, après dix ans à la tête de Vogue Paris. Elle n’a pas été remplacée.
Cherchant à réduire les coûts, les propriétaires de Conde Nast International (qui édite le magazine) ont placé l’édition française sous le contrôle direct de la puissante Anna Wintour, rédactrice en chef de l’édition américaine de Vogue. Une évolution qui s’est déjà produite au Brésil, en Inde ou en Espagne.
“Nous n’avions aucune idée que cela se terminerait comme ça lorsque nous avons commencé à travailler” sur le sujet, déclare Sylvie Lécallier, commissaire de l’exposition “Vogue Paris 1920-2020″, retardée d’un an en raison de la pandémie.
Rivalités entre Vogue et Frog
Depuis son lancement, Vogue Paris était plus libre et plus bohème que la grande sœur new-yorkaise. Ce fut aussi l’endroit où une grande partie du style du XXe siècle a été définie. Des rivalités entre Vogue et Frog (appellation donnée à French Vogue, “grenouille” en anglais) ont ponctué l’histoire du célèbre magazine.
Y a-t-il beaucoup de différences entre les éditions américaine et française? “Au début, non. Et puis, de plus en plus”, déclare à l’AFP Sylvie Lécallier.
En 1929, vient l’idée de donner “une identité vraiment parisienne” à des contenus en lien avec l’intelligentsia et les milieux artistiques parisiens: Colette, Cocteau, Ray, la comtesse de Noailles… Dans les années 30, c’est Paris qui est un lieu d’expérimentation pour trouver de nouveaux photographes, “parce qu’à New York il n’y en a pas”.
Il devient aussi crucial pour Vogue Paris de défendre la haute couture française face aux Américains, et face au prêt-à-porter américain après la Seconde guerre mondiale. “Tout ce milieu bohème parisien est complètement à l’opposé du bureau new-yorkais. Il y a des échanges, des rencontres, des courriers, des mémos entre les différentes bureaux qui racontent des divergences de vue sur la façon de créer le magazine”, souligne Sylvie Lécallier.
“C’est très stimulant pour tout le monde: Vogue Paris nourrit de nouveaux points de vue, Vogue américain ramène un peu de raison, des choses plus commerciales”. Avec les derniers changements, “on ne sais pas vers quoi on va aller”. “C’est la fin d’une histoire”, souligne la commissaire.
Une “tempête parfaite”
Comme une grande partie de la presse écrite, Vogue affronte une chute des ventes et des revenus publicitaires à l’ère du numérique. Dans un monde où les nouvelles tendances de la mode peuvent faire le tour du monde en quelques secondes, il est devenu beaucoup plus difficile pour un magazine mensuel de donner le ton.
Les réseaux sociaux ont créé “une tempête parfaite” pour Vogue, déclare à l’AFP l’expert des médias Douglas McCabe du cabinet d’études Enders Analysis. “Les 80 premières années de la vie de Vogue, il avait le marché pour lui tout seul, c’était la bible de la mode”, souligne-t-il. “Aujourd’hui sur internet, il existe des tas de façons d’obtenir les informations. Influenceurs, Instagram, YouTube – tout le monde est une menace.” “Ce n’est pas qu’ils ne peuvent pas survivre encore 100 ans, mais ils seront de taille différente”, selon Douglas McCabe.
C’est la version imprimée qui génère l’essentiel du chiffre d’affaires et les ventes de Vogue Paris ne cessent de reculer: 81.962 exemplaires en 2020 contre 98.345 en 2017, selon le site de données ACPM.
Dans ce contexte, le nouveau poste de premier plan à Paris a été attribué à Eugénie Trochu, qui a joué un rôle clé dans le développement de la version du magazine en ligne.
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