Sur les réseaux sociaux, de nombreux internautes se plaignent des prix au moment “d’aller faire de l’essence”. Une expression utilisée dans certaines zones bien précises en France, comme l’analyse le linguiste Mathieu Avanzidans la vidéo en tête d’article.
Le professeur ordinaire à la faculté des lettres et sciences humaines de l’université de Neuchâtel a cartographié l’usage de cette expression en 2018, au moment de la crise des gilets jaunes. À l’époque, le prix de l’essence était déjà un point de crispation majeur. Pour son étude, 12.000 participants issus de toute la France ont précisé s’ils allaient “faire le plein d’essence” ou “faire (de) l’essence”.
Il en ressort cette carte qui présente les zones (en jaune) où l’expression est le plus utilisée.
Mathieu Avanzi
“Dans l’histoire du français c’est assez difficile de savoir précisément quand cette expression est née puisque quand on cherche ‘faire de l’essence’, on trouve beaucoup d’occurrences au sens de ‘faire de l’essence de vanille’ par exemple”, explique-t-il, qualifiant cette particularité de “régionalisme de fréquence”. Concrètement, cela signifie que l’expression est connue partout au niveau national, mais son usage est limité à certaines aires géographiques précises.
Parmi les autres régionalismes de fréquences connus, le linguiste évoque par exemple l’adjectif brun, connu de tous mais pourtant utilisé majoritairement dans les régions de l’Est de la France. Même cas de figure pour “point d’heure” que l’on retrouve notamment dans l’expression “rentrer à point d’heure”.
Mathieu Avanzi
Que dit l’Académie française?
L’Académie française avait déjà été consultée à propos de “faire de l’essence” en juillet 2013. Une certaine Joséphine G. avait sollicité l’institution sur ce sujet. “J’entends souvent l’expression ‘faire de l’essence’ utilisée dans le sens de ‘faire le plein’, et cela a tendance à m’agacer”, écrivait-elle. Les Sages étaient allés dans son sens précisant que “cette expression n’est, en effet, pas de très bonne langue, on dira plutôt ‘faire le plein d’essence’.”
Mais cette recommandation de l’Académie ne semble pas tellement avoir eu d’effet sur son usage, bien au contraire. Pour Mathieu Avanzi, si l’expression a émergé, c’est avant tout parce qu’elle répond à un besoin. “Elle est construite sur la même forme syntaxique que ‘mettre de l’essence’ ou ‘faire le plein’. Elle est tout à fait cohérente d’un point de vue du système puisqu’elle s’insère dans des paradigmes”, souligne celui qui est également directeur du Centre de dialectologie et d’étude du français régional.
“Elle a émergé dans un processus d’analogie. Il y avait un besoin et cette expression remplie une case qui était vide en quelque sorte. À partir du moment où une certaine partie de la population l’utilise, on doit admettre que l’expression fait partie de la langue.”
Un usage en hausse dans la presse
Un des outils plébiscité par les chercheurs pour mesurer l’emploi d’un mot consiste à observer si celui-ci est utilisé dans la presse. L’outil Europresse permet de faire ce travail pour observer la vitalité d’une expression, comme vous pouvez le voir ci-dessous.
europresse
“Lorsqu’une expression est pointée du doigt par l’Académie française, elle est rarement retrouvée à l’écrit. Le fait de retrouver ‘faire l’essence’ dans les journaux montre que finalement son usage se répand et que l’expression est bien entrée dans la langue.”
S’il est toujours difficile de faire des pronostics sur l’évolution des usages dans la langue française, Mathieu Avanzi pari sur la généralisation de “faire de l’essence” à toute la France. Vous pouvez participer aux recherches du linguiste qui prépare de nouvelles cartes sur son application “Français de nos Régions”.
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