Laura* est atteinte de schizophrénie paranoïde, une maladie mentale caractérisée par des délires et des hallucinations. Elle l’a découvert à ses 18 ans après avoir passé une soirée à boire avec un ami. Au début, elle a été troublée par les voix qui devenaient de plus en plus fortes.
« Je pensais qu’il y avait des gens dans la pièce, se souvient la jeune femme, aujourd’hui âgée de 21 ans. Je n’étais pas vraiment là, mais je n’étais pas vraiment ailleurs non plus. » Quand les voix lui ont soudain dit de mettre fin à ses jours, elle a essayé de s’étouffer avec un sac en plastique. Mais peu avant de perdre connaissance, elle a déchiré le sac et a appelé des amis qui l’ont immédiatement emmenée à l’hôpital.
Dans les mois qui ont suivi, Laura a connu plus de 20 épisodes psychotiques. Après avoir suivi une thérapie et modifié son traitement, elle s’est remise sur pied et a trouvé un stage dans une entreprise. Comme d’autres maladies mentales, la schizophrénie paranoïde est souvent mal représentée dans la culture populaire. Nous avons demandé à Laura ce que c’est que de vivre avec une maladie qui déforme la perception de soi et de la réalité.
VICE : Combien de personnes vivent dans ta tête ?
Laura : L’idée que les schizophrènes ont des personnalités multiples est une connerie. Je suis toujours moi, mais disons que j’ai cinq compagnons qui sont toujours là avec moi. C’est plus comme si je sortais de mon propre corps. Par curiosité, je me suis déjà entaillé profondément la cuisse avec un cutter. Je voulais regarder les différentes couches de graisse et voir à quoi ressemblaient mes veines lorsqu’elles pompaient le sang hors de mon corps.
« Maintenant, prends une cigarette et écrase-la sur le dos de ta main »
Que te disent les voix ?
J’entends cinq voix et elles sont toutes étrangères. Il y a une petite voix d’enfant, une fillette d’environ cinq ans qui me défend quand les autres m’insultent. Il y a une voix d’homme, c’est le soumis. Et puis il y a trois autres voix féminines. L’une d’elles est la meneuse, les deux autres sont des suiveuses. J’évalue mes psychoses à l’aide d’un système de feux de circulation. Le vert, c’est quand on ne fait que parler. Le jaune, ils m’insultent et disent que je suis moche. Le rouge, c’est quand ils disent : « Maintenant, prends une cigarette et écrase-la sur le dos de ta main. »
As-tu peur de toi-même ?
Une fois, je me suis fait interner parce que j’avais peur de ne pas survivre à ma prochaine psychose. Pourtant, on ne m’a jamais considérée comme une suicidaire. J’ai essayé de me suicider à plusieurs reprises, mais seulement à moitié, on va dire. Une fois, j’ai ingéré un cocktail de médicaments dont je savais qu’il n’était pas fatal. Dans ces moments-là, je sais que ce que je fais n’est pas bien, mais c’est la seule façon de faire taire les voix dans ma tête si je n’ai pas mes médicaments avec moi. Jusqu’à présent, j’ai toujours cherché de l’aide lorsque la situation est devenue grave. Quand ma mère a appris combien de fois j’avais essayé de me suicider, elle a fondu en larmes. Mais quand vous êtes déprimée comme moi, vous pensez toujours que vous ne manquerez à personne. Mais je n’oublierai jamais sa réaction. Je ne peux pas lui faire ça.
Quand tu fréquentes quelqu’un, à quel moment de la relation lui dis-tu que tu es schizophrène ?
En dehors du travail, j’en parle ouvertement. Mais, en général, je dis d’abord que je fais une dépression. Si la personne change de sujet, je sais que ça ne va pas marcher.
Est-il difficile d’avoir une relation avec toi ?
Je ne pense pas que ce soit si difficile pour mon copain. Je suis l’une des personnes les plus communicatives qui soient. Il remarque assez vite quand je montre les premiers signes d’un épisode psychotique. Je parle soudainement d’une voix très enfantine ou bien je deviens apathique.
Tes amis ont-ils peur de toi ?
Non, ils savent où se trouvent mes médicaments d’urgence et ils savent qu’ils ne doivent jamais me laisser seule pendant une crise. Ils savent aussi qu’il ne faut pas chuchoter autour de moi, afin que je ne croie pas entendre quelque chose que les autres ne peuvent pas entendre. Je déteste quand les gens me disent que les voix ne sont pas réelles. Pour moi, elles le sont complètement dans le moment présent.
Quelle a été ta pire hallucination ?
Il m’est souvent arrivée de sentir des fourmis ramper sur moi. Maintenant, quand je vois une fourmi, je ne sais toujours pas si elle est réelle.
Es-tu imprévisible ?
Non, j’arrive toujours communiquer avec le monde extérieur, même quand je fais une crise. Je ne me ferme pas complètement. Si les voix me disent de me faire du mal, je vais le dire à un ami sur le moment.
Quelle est la pire chose que tu aies faite pendant une psychose aiguë ?
L’incident avec le sac plastique. Je ne voulais pas mourir, mais les voix m’ont dit de le faire. Je n’avais pas la force de me défendre. Je pensais que si je refusais, quelque chose de pire que la mort allait arriver. Heureusement, j’ai eu un moment de lucidité.
Redoutes-tu la prochaine crise ?
Vraiment, oui. Actuellement, je ne souffre « que » de dépression, mais la situation peut s’aggraver à tout moment. Les psychoses peuvent être déclenchées par le stress, mais aussi par un bonheur extrême. J’ai eu un épisode après avoir réussi mon permis de conduire, par exemple. Mais ma plus grande crainte est que mes médicaments finissent par ne plus faire effet et qu’il n’y ait pas d’alternative pour moi.
Merci, Laura.
*Le prénom a été modifié.
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