Écrit et réalisé par Ameen NAYFEHPalestine 2020 1h37mn VOSTF – avec Ali Suliman, Anna Unterberger, Lana Zreik, Gassan Abbas…

Du 30/06/21 au 14/07/21

200 MÈTRESDeux cents mètres c’est, à vol d’oiseau, la distance qui sépare le balcon de Mustafa de la fenêtre de Salwa. Autant dire rien, presque rien. Une paille. Si on est un oiseau. Mustafa et Salwa s’aimaient d’amour tendre et vivaient à deux cents mètres l’un de l’autre, dans deux villages palestiniens, l’un en Cisjordanie, l’autre en Israël, mais n’avaient jamais éprouvé le besoin d’avoir des ailes. Jusqu’à ce qu’en 2002, pour « sécuriser » Israël, soit édifié entre Salwa et Mustafa un mur-frontière infranchissable, haut de dix mètres, long d’un petit millier de kilomètres, dont l’essentiel est bâti en Cisjordanie. Palestinienne originaire du côté israélien du mur, Salwa a de facto la nationalité israélienne. Elle peut à peu près sans encombre aller et venir, avec leurs trois enfants, de part et d’autre du mur. Mustafa, Palestinien de Cisjordanie, ne peut, lui, franchir les check-points vers Israël que pour travailler – et impérativement muni d’une carte de travail, d’une pièce d’identité et d’un visa. Car, c’est toute la subtilité de la situation, l’activité économique se développe essentiellement pour ne pas dire uniquement sur le versant israélien de la frontière. D’où la décision de Salwa de s’établir avec les enfants de ce côté-ci, où elle gagne sa vie. D’où la difficulté quotidienne de Mustafa, tributaire des chantiers, des contrats précaires, pour se rapprocher temporairement de sa famille. Kafka aurait adoré. D’autant que Mustafa est foncièrement légaliste et se refuse obstinément à jouer le jeu des petits trafiquants et autres passeurs pour ruser avec l’occupant. Seule solution possible : que Mustafa obtienne la nationalité israélienne. Encore faudrait-il qu’il la demande. Mais ça non, pas moyen, c’est au-dessus de ses forces. La famille est donc rassemblée deux jours par semaine, et le reste du temps Mustafa s’efforce de trouver du boulot, joue avec ses enfants en leur envoyant des signaux lumineux depuis son balcon, en attendant des jours meilleurs – les temps à venir ne pouvant, pense-t-il, être pires.

Or il advient un jour que Mustafa a trouvé in-extremis un travail. Mais sa carte d’identité n’est pas à jour. Ou démagnétisée. Bref, ce jour-là, après des heures d’attente dans le goulet d’étranglement du check-point, Mustafa est sèchement renvoyé dans sa Cisjordanie par une fonctionnaire pointilleuse. Il advient, ce même jour, que le fils de Mustafa est victime côté israélien d’un accident et transporté à l’hôpital. Hors de question pour le père d’attendre des nouvelles prostré en Cisjordanie. Il met incontinent un mouchoir sur ses principes et part en quête de passeurs. Et ce qui aurait pu n’être qu’une petite balade de deux cent mètres se transforme en un interminable périple en minibus le long du mur, à la recherche d’une faille, d’un passage, en compagnie d’un petit aréopage hétéroclite de passagers, qui ont chacun de bonnes raisons de vouloir passer en Israël sans montrer patte blanche.
Il n’y a que la Palestine qu’on puisse faire tenir tout entière dans les six mètres carrés d’un véhicule, cahotant sur des routes défoncées, et dont on doute que le conducteur ait une idée précise de sa destination (ou, à la rigueur, la défunte Yougoslavie – en témoigne le formidable Qui chante là-bas ?, opportunément ressorti ces jours-ci). La fable en forme de road-movie contée par Ameen Nayfeh joue à la fois de la chronique familiale, du drame social, du film d’espionnage et du thriller. Avec, comme fil rouge pour traverser toutes ces péripéties, le seul point de vue de Mustafa, tout entier tendu vers son objectif, sans cesse contrarié, d’arriver le plus vite possible auprès de son fils. Les aléas du voyage, les passeurs véreux, les errements des autres passagers, l’armée d’occupation, presque invisible mais omniprésente, tout conspire à le faire échouer – avec une constance dans l’absurdité, dans l’arbitraire des situations, qui force le sourire.
Mais Mustafa ne se démonte pas et avance. Déterminé à contourner, puisqu’il ne peut ni l’abattre ni le survoler, ce « mur de la honte », ce « mur de l’apartheid » qui symbolise à lui tout seul l’impossible sort fait aux Palestiniens.

Source

Tags:

Share this post

Articles similaires

21 NOVEMBRE 2024

Cop29 en direct : Le président de l’ONU « en a assez » de la défense des combustibles fossiles par...

L'ancien ministre du climat du Canada réagit après que la délégation saoudienne a déclaré qu'elle « n'acceptera aucun texte ciblant des secteurs spécifiques, y compris les combustibles fossiles »Mon collègue Patrick Greenfield suit la plénière où les pays donnent leur réponse...

0

21 NOVEMBRE 2024

Les États-Unis et l’Inde dirigent le G20 sur l’action climatique, selon un rapport

Exclusif : les plus grands émetteurs mondiaux font le plus de progrès dans l'introduction de politiques, selon une étude, mais les émissions devraient toujours augmenter de 2,7°CLes États-Unis et l'Inde ont réalisé les progrès les plus significatifs parmi les 20 principales économies...

0

21 NOVEMBRE 2024

La CPI émet un mandat d’arrêt contre Benjamin Netanyahu pour présumés crimes de guerre à Gaza

Mandats pour le Premier ministre israélien et l'ancien ministre de la Défense qui les exposent à un risque de détention s'ils se rendent dans certains autres paysCrise au Moyen-Orient – mises à jour en directLa cour pénale internationale (CPI) a émis des mandats d'arrêt contre le Premier...

0

21 NOVEMBRE 2024

Première image en gros plan d’une étoile en dehors de la Voie Lactée montrant une supergéante dans un «...

Les astrophysiciens affirment que le matériel pourrait indiquer qu'une étoile est en train de mourir et que l'éjection de matière signale une supernova imminente.Une étoile enveloppée dans un cocon en forme d'œuf a été révélée dans les premières images détaillées d'une étoile...

0

21 NOVEMBRE 2024

Netanyahu déclare que le mandat d’arrêt de la CPI à son encontre pour de prétendus crimes de guerre est «...

La cour pénale internationale délivre des mandats d'arrêt contre le Premier ministre israélien, son ancien ministre de la Défense Yoav Gallant et le leader du Hamas Mohammed DeifLa position d'Israël a toujours soutenu que les décisions de la cour pénale internationale ne s'appliquent pas à...

0

21 NOVEMBRE 2024

‘C’est le combat de tous’ : Vinícius appelle à plus d’aide dans la lutte contre le racisme

Le Brésilien croit que les choses vont dans la bonne direction‘J'ai tant souffert et je souffre encore parfois’L'attaquant du Real Madrid, Vinícius Júnior, a parlé de son combat contre le racisme, le décrivant comme une bataille continue qu'il est heureux de mener, mais en avertissant...

0