Souvent appelés « les rois de la prostitution », les soaplands jouissent d’un certain prestige dans l’industrie du sexe japonaise et comptent parmi les établissements les plus chers du secteur. Le bain préliminaire exige beaucoup d’efforts et de dévouement. Les hommes qui se rendent dans ces lieux, me dit Yasuo, sont « de riches salariés d’un âge avancé qui veulent se détendre après une longue journée de travail ». Les clients déboursent environ 30 000 yens (240 euros) juste pour le bain, qui vont directement dans les poches des propriétaires du lieu. Le prix de la suite est fixé par la travailleuse du sexe qui garde la totalité ; le tarif est généralement de deux à trois fois supérieur à celui du bain.
Bien que les soaplands soient légalement enregistrés comme des bains publics, ils autorisent les relations sexuelles tarifées qui, elles, sont illégales. Pour contourner la loi, ces établissements comptent largement sur le principe du « Ne demandez pas, n’en parlez pas ». Ils tirent également profit d’un vide juridique quelque peu fragile : ils affirment que leurs clients et leurs employées, soi-disant des masseuses, sont tombés amoureux. Ils ont alors le droit d’avoir des relations sexuelles, puisqu’il est question d’amour et non d’argent.
Ce travail, qui frise la criminalité, exige beaucoup de préparation et d’expérience. Pour commencer, comme le décrit Aya, employée dans un soapland, il faut maîtriser le bain érotique standard, comme le rituel de la lotion, qui consiste à enduire le corps du client avec une lotion lubrifiante diluée dans de l’eau chaude, ou le rituel du tabouret, qui consiste à masturber le client.
En raison de l’expérience requise, il n’est pas facile de trouver du travail dans un soapland. Les travailleuses du sexe, qu’elles soient expertes ou novices, doivent suivre une période de formation officielle. La plupart des instructions sont fournies sous forme de manuels ou de DVD, mais selon l’établissement, les candidates peuvent également s’attendre à devoir faire une démonstration de leurs connaissances sur des employés masculins. Le processus d’entretien est compétitif, car de nombreuses travailleuses du sexe recherchent une place dans une maison close mieux rémunérée.
Selon le rang du lieu, la description du poste varie. Les filles qui travaillent dans des kōkyu-ten, ou « magasins » de luxe, doivent consacrer environ 2 à 3 heures par client. Parfois, on leur demande de fournir des services sans préservatifs, ce qui n’est généralement pas le cas dans les entreprises de rang inférieur. Aya explique que le risque de contracter une maladie sexuellement transmissible est souvent récompensé par un salaire plus élevé. Le prix de base pour un service sexuel est généralement de 60 000 yens (480 euros), mais il peut atteindre 100 000 (800 euros) ou 120 000 yens (965 euros). Certaines de ces femmes travaillent dans des bains publics pendant quelques années et cherchent ensuite à devenir mannequin de charme ou actrice porno : « C’est dire la qualité des filles », dit Yasuo.
Bien que les profits annuels de ce qui est probablement une industrie de plusieurs millions de dollars soient une raison suffisante pour ne pas déranger les travailleurs du sexe japonais, les soaplands restent en partie dus à leur histoire. C’est la plus ancienne forme de prostitution connue au Japon et rappelle la période d’Edo entre 1603 et 1868. Mais ces filles ne doivent pas être confondues avec les geishas, qui sont devenues populaires au cours de ces siècles parce qu’elles étaient douées pour le chant et la danse.
Sous le shogunat d’Edo, le travail du sexe était à l’origine limité à trois zones, selon les historiens. Parmi les quartiers de soaplands qui existent aujourd’hui dans le pays, le plus historique et le plus connu est celui de Yoshiwara à Tokyo. Bien qu’il n’existe pas techniquement sur les cartes, son nom attire toujours des milliers de clients et de sōpu-jyō de toutes les préfectures. En fait, la promesse de profit est telle que de nombreuses travailleuses du sexe des zones rurales y émigrent pour gagner de l’argent. Parfois, elles vivent dans des dortoirs offerts par les soaplands, m’explique Yasuo en me montrant quelques bâtiments délabrés.
Avant le grand tremblement de terre et l’incendie du Kanto en 1926, les clients accédaient à Yoshiwara par bateau depuis la rivière Sumida. Aujourd’hui, les rues sont étrangement calmes, faiblement éclairées par la chaude lueur des devantures des soaplands. À chaque porte, on peut voir des hommes en costume noir qui gardent l’entrée et qui ne changent d’expression que pour saluer les clients et les employés arrivant en voiture. Pour ceux qui ne s’y attardent pas, Yoshiwara est tel qu’il apparaît sur les plans de la ville : inexistant, voire effacé. Mais derrière la morosité et la vapeur, il y a une réalité cachée qui devient évidente pour quiconque reste un peu plus longtemps.
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