J’ai écrit un livre pour enfants sur l’environnement et donné des conférences sur l’activisme climatique dans les écoles. Mais j’imagine aussi régulièrement un avenir dystopique à la Mad Max. Il paraît que nos enfants vont changer le monde ; qu’ils vont réussir là où notre génération a échoué. Mais si les prévisions les plus sombres se révèlent exactes, lorsque Bruno aura l’âge de Greta Thunberg, il sera déjà trop tard pour sauver la Terre.
J’ai décidé de contacter d’autres parents soucieux de l’environnement pour leur demander comment ils arrivent à dormir la nuit.
Leonardo Caffo est professeur de philosophie à la Nouvelle académie des beaux-arts de Milan, écrivain et journaliste. Dans ses publications, il soutient que seule une transformation radicale loin du capitalisme peut sauver notre espèce. « Il arrive que la réalité vienne foutre en l’air nos convictions, dit-il. La preuve : je viens d’avoir une fille. » Morgana est née en 2020, au moment où le taux de mortalité lié au Covid-19 en Italie atteignait son point culminant. « Elle est arrivée soudainement, dit Caffo. Elle nous a trouvés, et nous en sommes heureux. »
Dans son livre Fragile Umanità (« humanité fragile »), Caffo écrit que lorsqu’une espèce voit sa survie menacée par des changements dans son environnement, elle change de comportement. Elle peut sembler identique, mais en réalité, elle se transforme lentement en une espèce biologiquement différente.
Selon lui, ce processus est déjà enclenché pour l’Homo sapiens. Les personnes qui adoptent un régime alimentaire à base de plantes et un mode de vie rural ne sont pas seulement l’expression de nouvelles valeurs culturelles, mais aussi d’un changement vers une nouvelle espèce qu’il appelle « le post-humain contemporain ».
« Nous assistons à la coexistence de l’Homo sapiens avec cette nouvelle espèce, poursuit Caffo. À l’avenir, nous verrons les deux se séparer progressivement. » Bien sûr, si la science soutient l’idée qu’une espèce change son comportement sous la pression de l’environnement, rien ne prouve que l’homme évolue vers une nouvelle espèce. De son côté, Caffo est actuellement à la recherche d’une école maternelle où sa fille pourrait apprendre à cultiver et à reconnaître les plantes comestibles.
Francesca Mapleston et Giovanni Montagnani sont militants pour l’environnement et parents d’une fille nommée Nora. Giovanni est également ingénieur et membre de CrowdForest, une organisation qui relais des informations sur le changement climatique. Francesca me parle de la naissance de sa fille, il y a deux ans : « A l’âge de 25 ans, j’ai soudainement ressenti le désir d’être mère. Un an après la remise de mon diplôme, Nora est née. Je sais que j’ai apporté la vie dans un monde qui ne promet pas grand-chose, mais je crois que le désir d’avoir des enfants est intrinsèquement égoïste : elle a été conçue pour me compléter, mais depuis qu’elle est née, je travaille chaque jour à son bonheur. »
Giovanni et Francesca sont optimistes quant à l’avenir. Ils ont déjà opté pour un mode de vie qu’ils estiment capable de résister à l’effondrement du climat. Contrairement à de nombreux jeunes Italiens, ils ont décidé de ne pas partir à l’étranger en quête de fortune, mais de s’installer à la campagne dans le nord-ouest de l’Italie. Leur maison alimentée par l’énergie solaire est entourée d’un potager, d’un poulailler et de ruches, et ils disent avoir réduit leurs émissions de 70 % en deux ans. Giovanni espère que la banalisation du télétravail aidera le monde à renoncer au carbone.
Lorenzo, musicien, et Lucia, traductrice et blogueuse sur le zéro déchet, sont originaires de la région de Ligurie, qui entoure Gênes. En 2018, le couple, qui n’a pas souhaité divulguer son nom de famille, a adopté un garçon qui a maintenant deux ans, et prévoit d’adopter un deuxième enfant. Lucia tente de résister à l’envie de céder au nihilisme. « Les scénarios décrits par les scientifiques ne sont pas inévitables, dit-elle. Leur réalisation ou non dépend des décisions que nous prendrons dans les dix prochaines années. »
J’ai tendance à être d’accord. Comme l’affirme la psychanalyste australienne Anouchka Grose, les opinions excessivement négatives et excessivement positives sur l’avenir de notre climat sont toutes deux des tentatives d’auto-préservation à leur manière, avec leurs propres avantages et inconvénients.
Selon une étude de 2017, la décision d’avoir un enfant de moins que prévu est le choix de vie individuel le plus impactant que vous puissiez faire pour réduire vos émissions de carbone. Mais cette idée a été déformée par les extrémistes de droite, qui reprochent aux pays en développement à fort taux de natalité de contribuer à la surpopulation et à la crise climatique.
En réalité, les pays européens ont émis 5,64 milliards de tonnes de CO2 en 2018, soit cinq fois les émissions de l’Amérique du Sud et quatre fois celles de l’Afrique. Bien que l’UE ait promis de devenir neutre en carbone d’ici 2050, il ne fait aucun doute que la responsabilité du changement climatique incombe en grande partie aux riches pays occidentaux.
En fin de compte, décider de ne pas avoir d’enfants à cause de la crise climatique ou d’en avoir malgré elle sont des choix tout aussi radicaux et tout aussi valables. Mais ce débat met en évidence un problème beaucoup plus vaste : l’action en faveur du climat ne peut pas réussir si elle se fonde uniquement sur des choix individuels. Alors que les gouvernements et les institutions internationales ne parviennent pas à trouver des solutions, de plus en plus de citoyens prennent le sort de la planète en main, estimant qu’il est de leur devoir de faire quelque chose pour y remédier – et maintenant, même la vie de famille pose une crise existentielle.
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