L’un des cambrioleurs est repoussé et, dans le tumulte, le propriétaire de la plantation, Saghawat Ramzan, lui décoche deux flèches. La première rate sa cible et touche son frère Waseem. La deuxième se plante dans le jeune cambrioleur, Khuzaimah Douglas, un champion de kickboxing âgé de 19 ans. Il parvient tout de même à se relever et à s’échapper, mais s’effondre en traversant la rue et se vide de son sang. Waseem meurt également peu de temps après à l’hôpital.
Saghawat Ramzan, son fils et un autre homme ont été condamnés à la prison à vie en février de cette année.
Depuis le milieu des années 2000, la culture domestique du cannabis au Royaume-Uni a commencé à remplacer l’herbe de contrebande importée depuis l’étranger. Les plantations sont partout : dans les greniers des pavillons de banlieue, dans les boutiques abandonnées des centre-villes ou encore dans les grands entrepôts à la campagne. Parallèlement à cette nouvelle industrie, peuplée d’un mélange de criminels professionnels et de consommateurs respectueux des lois, un nouveau type de criminalité a émergé et semble s’aggraver : le vol dans les plantations de cannabis.
La dernière décennie a vu naître une guerre entre les voleurs et les cultivateurs, qui n’hésitent pas à recourir aux armes à feu, aux incendies criminels, aux arbalètes, à l’ammoniac, aux couteaux et même aux gilets par-balles en cotte de mailles pour se protéger. Et bien que ces affrontements brutaux se produisent relativement régulièrement, le vol dans les plantations fait partie de ces crimes que les autorités ignorent complètement, du moins tant qu’il n’y a pas de morts ou de blessés graves.
« Non seulement le cannabis représente une industrie de plusieurs millions de livres au Royaume-Uni, mais c’est également une drogue de plus en plus puissante et nocive, de même qu’une voie d’entrée dans la criminalité, explique Jason Harwin, chef adjoint de la police. Nous continuerons à concentrer nos efforts sur les criminels et les bandes organisées qui détruisent des vies et alimentent la violence que nous observons dans nos rues. » Selon Harwin, les tactiques de la police contre la culture du cannabis ont porté leurs fruits : entre mars 2019 et mars 2020, la quantité de cannabis saisie a augmenté de 13 %.
Mais Gary Potter, criminologue à l’université de Lancaster et expert de la culture illégale du cannabis au Royaume-Uni, voit les choses un peu différemment. Selon lui, la plupart des cultivateurs craignent davantage les criminels que la police. « Beaucoup des cultivateurs de cannabis à qui j’ai parlé ont évoqué la menace des criminels qui tentent de voler leurs plants ou de les extorquer, explique-t-il. Ils avaient presque tous entendu des histoires de cultivateurs qui avaient été victimes de vols, de violences ou d’extorsions. » Les gangs profitent du fait que les cultivateurs enfreignent eux-mêmes la loi. Potter estime que le nombre de cultivateurs de cannabis au Royaume-Uni se compte « en centaines de milliers ».
La culture du cannabis étant illégale, les criminels supposent que les cultivateurs hésiteront à signaler les vols à la police. « Ils ont raison. La plupart des cultivateurs à qui j’ai parlé ont été victimes des gangs mais ne sont pas allés voir la police, dit Potter. Ceux qui y sont allés ont été traités comme des criminels, même si les crimes dont ils ont été victimes étaient clairement plus graves que ceux qu’ils ont commis. » Selon lui, certaines victimes ont « pris les choses en main », soit en répondant elles-mêmes par la violence, soit en faisant appel à des « individus douteux » pour le faire à leur place.
Parfois, il faut savoir se débarrasser des gangs. Une femme qui cultivait du cannabis chez elle a reçu la visite de criminels locaux qui lui ont réclamé une part de ses bénéfices. Elle les a chassés avec une batte de baseball. Potter parle également d’un jeune couple qui attendait un bébé et dont la plantation a été pillée par un gang. Lorsqu’ils sont allés voir la police, ils ont été rapidement arrêtés.
Surveiller une ferme de cannabis est une tâche extrêmement ingrate, souvent déléguée à des personnes venues illégalement de pays comme l’Albanie. Tels des esclaves des temps modernes, ils doivent travailler pour de faibles salaires dans des conditions abominables. Même s’ils ne se font pas attaquer par des gangs, cette activité peut leur coûter la vie. Quatre mois après que Khuzaimah Douglas et Waseem Ramzan ont été tués par des flèches d’arbalète, l’Albanais Margaritis Xhindi est mort dans l’incendie d’une plantation de cannabis dans la même petite ville, Brierley Hill. Il était le père de trois enfants.
Mais la plupart des vols dans les plantations se déroulent sans violence extrême. Ils sont devenus si courants que certains criminels en ont fait leur spécialité. Souvent, les voleurs veulent s’enfuir avec leur butin le plus rapidement et le plus discrètement possible. C’était le cas de Lee*. Pendant son adolescence, il a pillé des fermes de cannabis dans l’est de Londres, l’Essex, le Kent et les West Midlands. Il dit avoir pénétré dans environ 150 propriétés pour voler des plants de cannabis. Lors de son premier cambriolage dans une plantation, il a également pris un chien maltraité qu’il y avait trouvé. Bien qu’il ait été arrêté après ce premier crime, il s’est spécialisé dans le vol de cannabis et a travaillé sur commande pour un gang de l’est de Londres.
« Je n’ai jamais refusé un travail. J’étais bon en cambriolage, dit-il. Nous y allions généralement avec des cagoules, à trois ou quatre, toujours la nuit. Je n’ai jamais été armé, ça peut dégénérer. J’avais une règle : je ne vole que la cachette et l’argent. Je n’ai jamais pris la Xbox de quelqu’un ou quoi que ce soit. » Pourtant, la violence n’était jamais loin. « Une fois, on nous a tiré dessus avec un pistolet à billes et un des gars a perdu son œil. Un type à Derby a essayé de m’asperger d’acide, mais j’ai réussi à me protéger avec un rideau. »
Pour Potter, qui mène actuellement une enquête mondiale sur la culture illégale du cannabis, c’est précisément le caractère illégal de la culture qui est à l’origine de cette nouvelle bataille brutale dans le commerce de la drogue. « Il y a une certaine ironie à ce que la culture, même en petites quantités, soit un crime qui peut conduire à des crimes plus graves. »
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